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Mayotte, une colonie

La catastrophe liée au cyclone qui a touché les îles Comores, en premier lieu Mayotte, mais aussi le Mozambique a mis ou remis en avant quelques points très politiques. Le cyclone ne connait pas de frontières. A ce jour, 22 décembre, le gouvernement français parlait toujours de 35 morts à Mayotte ; au Mozambique, le bilan était alors de 94 morts. « La moitié de la population vivant sur le territoire de Mayotte est étrangère » affirment le ministre de l’Intérieur et consorts, en désignant les Comoriens et Comoriennes. Or, s’il y a une « population étrangère » à Mayotte, ce sont les Français et Françaises qui vivent sur ce territoire dont la France s’est accaparée au 19ème siècle et qu’elle a gardé lors de l’indépendance des Comores un siècle plus tard, il y a maintenant 50 ans. Aujourd’hui, 85% de la population de Mayotte survit au-dessous du seuil de pauvreté.

Les quatre îles des Comores (Mayotte, Grande-Comore, Anjouan et Mohéli) ont donc été colonisées au cours du 19ème siècle. Comme toutes les colonies françaises, leur dénomination a évolué au cours des années, pour tenter de masquer le fait colonial lorsque celui-ci devenait de moins en moins assumable. Les quatre îles des Comores ont été successivement « colonies de Madagascar et dépendances » jusqu’en 1946, puis « Union française », « Territoire d’outre-mer », enfin « Département d’outre-mer » pour une seule de ces îles, Mayotte.

La grande majorité des colonies françaises d’Afrique ont accédé à l’indépendance entre 1956 et 1962 : Maroc, Tunisie, Guinée, Cameroun, Togo, Mali, Sénégal, Madagascar, Bénin, Niger, Côte d’Ivoire, Tchad, Républicaine centrafricaine, République du Congo, Gabon, Mauritanie, Algérie. Les Comores seulement en 1975 (et Djibouti en 1977).

Le 15 juin 1973, des accords avaient été passés entre le gouvernement français et le gouvernement du territoire des Comores concernant l’indépendance des îles. Ils étaient signés par le ministre de l’Outre-mer Bernard Stasi et le président du Gouvernement du territoire, Ahmed Abdallah Abderamane. La loi française du 24 novembre 1974 reprend les termes de ces accords et une consultation a été organisée le 22 décembre 1974.

Auparavant, la France, par la voix du président de la république (Giscard d’Estaing) s’était engagée à ne pas séparer les îles quels que soient les résultats de la consultation : « C’est une population qui est homogène, dans laquelle n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. […] Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores.[1] »

Si la France proclamait ainsi sa volonté de ne pas fractionner les îles Comores, ce n’était pas par anticolonialisme, c’est parce qu’elle entendait bien que ces territoires s’inscrivent dans la Françafrique, comme nombre des anciennes « dépendances ». L’armée française ayant dû quitter Madagascar l’année précédente, en 1973, l’Etat colonial voulait se maintenir dans le stratégique Canal du Mozambique.

Le scrutin du 22 décembre 1974 était officiellement dénommé « Consultation du 22 décembre 1974 sur l’indépendance du territoire des Comores ». Mais Mayotte était depuis un moment le lieu d’une très forte campagne pro-française, dans laquelle le parti d’extrême droite L’Action française s’est fortement impliqué. Les résultats furent les suivants : 93,28% de participation, 94,57% de votes pour l’indépendance.

99,98 % pour l’indépendance en Grande-Comore (89215 inscrit⸳es), 99,93 % à Anjouan (61406 inscrit⸳es) et 99,92 % à Mohéli (6351 inscrit⸳es), mais 36,78% à Mayotte (17946 inscrit⸳es), où la participation fut moindre qu’ailleurs : 77,88%, alors qu’elle était de 94,36%, 95,99% et 95,45%. Reniant ses engagements, l’Etat français organisait alors la sécession de Mayotte. Jusqu’en 1994, l’Assemblée générale des Nations unies condamnait chaque année l’occupation française illégale à Mayotte. À la suite de négociations immorales, elle s’abstient désormais de le faire, mais le problème reste entier.

Pour entériner cette occupation la France a « départementalisé » Mayotte, sans y mettre les moyens qui auraient peut-être permis aux Mahorais⸳es d’atteindre le même niveau de vie que les hexagonaux. Comme partout ailleurs, la politique républicains française a prétendu que la solution à tous les problèmes était la chasse aux immigrés. Mais les lois répressives anti-immigration ont créé une situation terrible : des milliers de morts dans les transports maritimes que la clandestinité rend extrêmement précaires et dangereux, et pour les survivants et survivantes, cette même clandestinité créée par l’Etat français conduit à une extrême pauvreté, caractérisée notamment par les bidonvilles. C’est cette population migrante, avec ses conditions de vie imposées par le colonialisme français, qui a été le plus touchée par le cyclone : d’une part, à cause de la fragilité des abris en tôle mais aussi parce que nombre d’entre eux et elles ne se sont pas rendu⸳es dans les abris par crainte de la répression d’Etat.

Le colonialisme n’est pas responsable du cyclone.

Mais il est au cœur de l’extrême gravité de ses conséquences.

[1] Déclaration du 24 octobre 1974.

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