Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Une équation complexe

Physicien et enseignant, issu d’une discipline où les hommes sont majoritaires, j’exerce un métier où les femmes le sont. Dans un contexte écologique et social angoissant, un professeur ne peut que craindre pour l’avenir des enfants. Un métier et des préoccupations de femmes ?

Evidemment, ce sont de faux paradoxes. Mais de véritables contradictions existent dans mon syndicat, le SNES FSU, au sein duquel je milite pour mon métier, pour les luttes écologiques et sociales : nous sommes surtout des hommes et représentons une profession à 70% constituée de femmes. Nous essayons pourtant de mettre davantage les femmes en avant. Ironiquement, cela met plus de pressions sur elles… L’équation est complexe.

Les luttes féministes me tiennent à cœur. Pourtant, il est difficile de se sentir légitime : comment en tant qu’homme, recueillir la parole d’une collègue ayant subi des violences sexistes et sexuelles sans qu’elle soit intimidée par notre condition même d’homme ? Et puis, quel crédit peut-on avoir quand certains de leurs collègues, pédagogues et soi-disant « hommes féministes », minimisent leur traumatisme : « Ce n’est pas grand-chose, elle est trop sensible ! ».

Heureusement, les femmes syndicalistes nous guident et nous forment. Parler et faire comprendre qu’on est à l’écoute, si la victime le souhaite. Expliquer que des représentantes expertes peuvent l’accompagner, qu’elle peut faire un signalement ou des réclamations. Et la laisser revenir vers nous plus tard même si, souvent, les victimes préfèrent malheureusement « tourner la page » sans insister. Parfois, lassées de se répéter, les femmes se taisent. Un homme peut alors prendre le relai. Tristement, dans nos sociétés profondément patriarcales, cela a souvent plus d’impact… Et il ne risque pas de procès en hystérie.

Notre rôle : aider, encourager, soutenir nos camarades, collègues ou tout autre femme proche… À condition qu’elles le souhaitent. Sans s’imposer.

Et pourtant, comment ne pas le remarquer… les hommes monopolisent la parole dans les réunions. Entre hommes, nous devons nous discipliner et nous contrôler mutuellement. Apprenons à ne pas nous laisser aller aux tirades… Résumer notre propos fera d’ailleurs gagner du temps à tout le monde.

Parfois, certaines militantes féministes ont du mal à s’exprimer en présence d’hommes. Je comprends. « Homme féministe », « allié du féminisme », ce n’est pas à nous de nous qualifier, mais aux féministes de décider collectivement de la place et du rôle qui nous reviennent. Je suis davantage gêné quand les hommes considèrent spontanément comme acquis que je suis des leurs. Leurs idées devraient forcément être les miennes, comme si nous avions un esprit de ruche. Soyons humbles, même quand nous avons la douloureuse sensation d’être pris pour notre ennemi. D’autant plus aujourd’hui, quand les révélations de #MeToo et les procès de Mazan donnent une impression de « tous pourris ». Où se situer en tant qu’homme ? Suis-je comme eux ? Suis-je l’un d’eux ? Face à ces trop nombreux cas individuels, le travail des sociologues est éclairant, en particulier dans le domaine des études de genre. Leur conclusion est simple : nos sociétés font que tout homme peut être oppresseur, même malgré lui.

La lutte d’un homme est donc d’abord intérieure : chercher les engrenages installés dans sa tête afin de retirer les rouages risquant d’induire des comportements toxiques. Raewyn Connell a ainsi défini la notion de « masculinité hégémonique », socialement appliquée comme une injonction à tout homme. Libérons-nous-en, assumons nos propres masculinités. En tant qu’homme, le féminisme est aussi une lutte pour le droit d’être soi-même : ni violent, ni lubrique.

Guillaume Bodinier,
membre du Comité Féministe de la FSU 35

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

Elles s’émancipent, nous nous émancipons ?

Samedi 23 novembre 2024, partout en France, les femmes manifesteront contre les violences sexistes et sexuelles, les violences sociales et violences d’État. Alors que l’égalité des ...
Partager sur :         
Retour en haut