Il faut souligner deux moments clés pour le féminisme latino-américain : celui de la première mobilisation du mouvement Ni Una Menos (2015) et celui du Paro Internacional de Mujeres, Lesbianas, Travestis y Trans[1] (2017), connu comme le #8M, qui a eu une expansion mondiale. Ces deux moments ont mis sur la table l’ampleur des féminicides, l’urgence du droit à l’interruption volontaire de grossesse et les inégalités salariales résultant de la division sexuelle du travail.
L’ampleur des luttes, la puissance des manifestations et des revendications, la capacité d’articulation avec le syndicalisme et l’ensemble du mouvement social, ont constitué, au cours de la dernière décennie, les caractéristiques les plus remarquables de la résistance à la montée des extrêmes droites et fait du mouvement féministe un acteur politique majeur. Ses luttes, notamment la campagne Elenão contre Bolsonaro ou la Women’s March[2] contre Trump, et ses conquêtes expliquent pourquoi les extrêmes-droites ont choisi de mener une bataille culturelle contre les mouvements féministes et de diversité, cherchant à éliminer ce qui a déjà été institutionnalisé et réglementé. L’élan, qui est venu d’abord des collectifs contre les violences sexuelles et sexistes et en faveur de l’élargissement des droits sexuels et reproductifs, a pris une telle ampleur qu’il a mis fin à l’invisibilisation des questions de genre et du droit à l’avortement.
En Argentine, cela est caractérisé, par exemple, par la suppression du ministère de la femme, des genres et de la diversité, et la déclaration de Javier Milei qualifiant de « crime aggravé par le lien » l’avortement, légalisé par la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Au Chili, le leader d’extrême-droite José Antonio Kast explique que le « féminisme radical » prétend « imposer le droit à des enfants d’avoir des relations sexuelles avec des adultes ». En Uruguay, le dirigeant du parti Cabildo Abierto, le général Manini Rios, affirme que « l’idéologie de genre est une leçon qu’on nous impose pour nous transformer en tribus ».
La puissance du mouvement féministe et de sa lutte concrète pour l’avortement légal, sûr et gratuit a porté ses fruits : dépénalisation en 2022 pour la Colombie, en 2023 au Mexique. Au Brésil, la dépénalisation a commencé à être discutée jusqu’à 12 semaines de grossesse. Cependant, au Salvador, l’avortement est toujours pénalisé. Au Guatemala, au Panama, au Costa Rica, au Pérou et au Venezuela, il n’est autorisé que si la santé de la mère est menacée ; sinon, les lois prévoient des peines d’emprisonnement. Au Panama et en Bolivie, la dépénalisation n’est prévue qu’en cas de viol et jusqu’à 12 semaines de grossesse.
La réaction des courants réactionnaires est due au fait que les causes féministes sont devenues dynamiques et puissantes, et que les structures organisationnelles sur lesquelles elles s’appuient représentent des défis réels pour le pouvoir. Le chemin parcouru par les féminismes latino-américains au cours de la dernière décennie a sans aucun doute connu quelques inconvénients, mais il continue à constituer une expérience encourageante pour l’avenir. Dans les moments sombres que nous connaissons, cette expérience doit être valorisée et, en même temps, analysée. Une question essentielle est de savoir comment renforcer davantage les liens de l’agenda féministe, avec celui du syndicalisme de lutte et de transformation sociale, car il est un agent clé qui défie les droites radicales dans toutes les latitudes et longitudes. Et notamment, en matière de « grève » féministe, c’est bien via l’organisation autonome des travailleuses et des travailleurs, que le slogan devient réalité … sur tous les continents.
Nara Cladera
[1] « Pas une de moins » et « Grève internationale des femmes, lesbiennes, travestis et trans ».
[2] « Pas lui » et « Marche des femmes ».
Image : ©capiremov
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