« Comment la colère sociale, les revendications de plus de justice, plus d’égalité peuvent se concrétiser dans des décisions politiques conformes à ces aspirations ? » questionne la rédaction de Cerises, pour amorcer la réflexion collective à laquelle nous voulons contribuer dans cet Esprit de suite.
C’est la question stratégique que nous nous posons toutes et tous, habitant.e.s mobilisé.e.s et militant.e.s des mouvements sociaux et écologistes, militant.e.s politiques avec ou sans organisations. Elle se pose avec d’autant plus de force après la nomination du gouvernement Barnier dont la composition et les premières déclarations sont une victoire politique pour le RN, le résultat d’une nouvelle étape du rapprochement entre macronisme, droite et extrême-droite. Mais aussi le signe de l’impuissance et des erreurs des principaux partis de gauche qui, après la mobilisation électorale pour faire barrage à l’extrême-droite, ont fait la démonstration de leur division, de leur enfermement dans la logique étroite de l’électoralisme et de leur dépendance à des institutions politiques délétères quand il aurait fallu renforcer les mobilisations sociales et l’auto-organisation populaire. Pour nous, militants de Rejoignons-nous et impliqués dans le processus de l’Alternative, cela renvoie à la nécessité de créer, à partir des diverses luttes, expériences et pratiques qu’expriment les contributions du dossier, une nouvelle force politique révolutionnaire, unitaire et pluraliste, construite avec la nouvelle génération de militant·es qui s’implique en politique et veut en finir avec le vieux logiciel électoraliste et vertical des partis de la gauche pour constituer le pôle populaire, démocratique et offensif du Nouveau Front Populaire.
Tou.te.s les camarades sont d’accord, et nous aussi, concernant la nécessité de construire un front social et politique durable contre la menace néofasciste, au-delà des seules mobilisations électorales. C’est ce qu’expriment notamment Murielle Guibert et Julie Ferrua de Solidaires : « Il s’agit de réfléchir : comment le rassemblement peut être plus efficace, respectueux des diversités, et en lien avec des organisations politiques, tout en préservant l’indépendance et le lien direct avec les travailleurs et travailleuses dans la période qui s’ouvre. » Karl Ghazi de la CGT : il faut construire « un véritable front populaire qui entraîne les partis et dans lequel le monde syndical, le monde associatif et toutes ces personnes nées au militantisme à cette occasion jouent un rôle essentiel. » Benoît Teste de la FSU : « Les citoyen.es rassemblée.es, les jeunes, les syndicats, les associations, ceux et celles-là même qui ont permis le succès du NFP, doivent continuer à se mobiliser pour exiger le respect de la volonté des électeurs et des électrices et notamment la mise en œuvre du volet d’urgence du programme du NFP. » C’est le premier point d’appui fondamental dans la période : les mouvements sociaux s’impliquent dans le champ politique, pour faire front contre le néofascisme et le néolibéralisme autoritaire, dans la rue comme dans les urnes, tout en conservant leur autonomie par rapport aux partis politiques. Pour nous, les limites et difficultés de cette alliance – évidente encore lors de cette rentrée, avec les deux dates du 7 septembre et du 1er octobre qui rejouent la division entre organisations politiques et mouvements sociaux – sont d’abord de la responsabilité des principaux partis politiques du NFP qui continuent, malgré les déclarations d’intention, à mépriser et instrumentaliser les mouvements sociaux à des fins électoralistes, sans volonté de construction commune dans la durée et par en bas. C’est particulièrement le cas de LFI, dans la grande tradition du PS, dont ses dirigeants sont issus, et du PC. Pour faire avancer les choses, il nous semble qu’il n’y a donc que deux moyens, qui peuvent être complémentaires : celle d’une coalition des mouvements sociaux qui s’organise pour peser sur les partis politiques, et celle d’une nouvelle organisation politique construite à partir et avec les militants.es des mouvements sociaux – c’est ce que propose l’Alternative.
Lou Chesné et Alice Picard, d’Attac ajoutent : « La transformation de mobilisations intenses, mais limitées dans le temps, en mouvements de long terme capables de porter largement des horizons émancipateurs est l’enjeu auquel sont confrontés les mouvements sociaux. ». C’est aussi pour nous l’autre bonne nouvelle de la période : les mouvements sociaux, les syndicats et Attac mais aussi par exemple les Soulèvements de la Terre ou l’Assemblée nationale des Quartiers Populaires, se posent des questions stratégiques très directement, parce que nous savons que, face à la menace néofasciste et contre le capitalisme écocidaire, patriarcal et raciste, la bataille sera longue, sur de multiples terrains. Cela ouvre des questions de pratiques, d’organisation, d’alliance mais aussi de composition des luttes et de nos organisations : il nous faut urgemment des mouvements sociaux et des partis politiques moins blancs, plus ruraux, plus populaires, avec plus de femmes et plus de jeunes. Cet élargissement, que nous portons particulièrement à Rejoignons-nous, est une exigence de justice, de démocratie et d’égalité mais aussi une question d’efficacité dans la durée.
Les autres camarades contributeur.ices abordent aussi la question du projet politique, de l’alternative globale à la société que veut nous imposer l’alliance des néolibéraux et des néofascistes : « Là on est devant ce choix : monde du travail ou « français de souche » ? » (Pierre Zarka) ; « la première [des choses], « c’est de continuer à parler d’alternative avec les classes laborieuses de manière continue, de développer des espaces communs, de préparer autre chose que le chaos néolibéral. » (Arya Meroni) ; « un projet de dépassement émancipateur nécessite de partir de l’action concrète qui accompagne une réelle réflexion politique » (Jean-Pierre Martin) ; « nos pratiques, fondées sur l’invention en commun et contre la barbarie ethnocentrée, outilleront un monde débarrassé des discriminations et des oppressions systémiques » (Laurent Eyraud-Chaume). C’est un enjeu fondamental : construire l’unité de la classe des travailleur.ses, salarié.e.s et non reconnu.e.s comme des travailleur.ses, dans toute sa diversité, autour du projet d’une société radicalement alternatif. Car c’est aussi le projet politique qui manque aujourd’hui à gauche : il faut promouvoir des alternatives, propositions et perspectives permettant aux habitant.e.s de redéfinir démocratiquement les besoins dans le cadre des limites écologiques, auxquels les travailleur.ses, libéré.e.s de la contrainte de l’entreprise, du marché et de l’Etat capitalistes, pourront répondre. Cette démocratisation et cette écologisation du travail sont une question centrale, dont les mouvements sociaux s’emparent toujours plus, mais qui reste à la marge des projets et discours politiques, y compris de la gauche radicale et anticapitaliste. Il y a des mondes du travail très divers, il faut en construire l’unité à partir des expériences d’injustice, des aspirations, des luttes, mais aussi des alternatives, des alliances et des contre-projets écologiques et sociaux (pensons à ceux portés en France par l’ONF, Bassines Non Merci, la sécurité sociale de l’alimentation, par exemple, mais aussi ailleurs autour de GKN en Italie ou les militant.e.s paysan.ne.s du Kisan Andolan en Inde…). C’est aussi pour cela que nous nous impliquons dans Rejoignons-nous et le processus de l’Alternative : il nous faut un nouveau projet politique désirable, promouvant de nouveaux droits, de nouveaux pouvoirs, de nouvelles institutions démocratiques pour les habitants.es et travailleur.es afin que deviennent réalités nos exigences de justice, de démocratie et toutes les égalités…
Alexis Cukier et Fabien Marcot
A lire également
Réaction au dossier “Travail/Hors travail”
Gratuité est un mot féminin, il doit être aussi un mot féministe
Rennes, Les 5 jeudis du travail