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Emilia Perez : plus qu’un film baroque

Embarras du choix pour présenter le dernier film de Jacques Audiard « Emilia Perez » dont la projection cannoise pouvait laisser croire à l’obtention d’une nouvelle Palme d’or après « Dheepan » en 2015 déjà ! Le jury a préféré décerner son prix du jury et le prix d’interprétation féminine aux quatre actrices, toutes remarquables.

Alors comédie musicale, thriller, film de genre ??? Tout cela à la fois, sur un rythme endiablé dès les premières images pour un scénario improbable et trop souvent présenté sous l’angle du changement de genre d’un narco-trafiquant, archétype de la violence et du machisme. Un résumé bien trop réducteur pour un film aussi étonnant sur le fond que sur la forme. Camille et Clément Ducol à la musique, Damien Jalet pour la chorégraphie réalisent tous les trois un beau travail avec des épisodes chantés et dansés parfaitement intégrés à l’intrigue et qui donnent envie de s’agiter sur son siège, d’où la dénomination de « comédie musicale ». On soulignera la force dénonciatrice du dîner de récolte des fonds et la dernière séquence particulièrement poignante. Un thème pour chaque séquence, une interprète, une chorégraphie, une musique : une réussite. De sombre dans le premier tiers, le film devient flamboyant, décors et couleurs flashy rappelant l’Almodovar de la Movida, à l’image d’Emilia Perez qui « bouffe » tout sur son passage, le dernier tiers replongeant dans le noir : c’est la nuit et pas seulement en temporalité. Et si on se demande bien comment Audiard va sortir de son histoire, force est de constater qu’il y arrive de manière plausible.

Ce sont avant tout les questions de fond abordées par le film qui touchent parce qu’elles sont universelles : peut-on changer ? Est-on limité par ces déterminants sociaux et de genre ? La violence est elle uniquement masculine ? Que peut bien vouloir dire « devenir une femme », comment définit-on le genre ? L’argent sale peut-il servir à faire le bien ? « Emilia Perez » n’écarte pas, loin de là, une certaine réalité mexicaine : le poids du narcotrafic, de la violence et de la corruption qui gangrène la société…

Le quatuor de comédiennes est époustouflant et le scénario donne à chacune une personnalité propre. Zoe Saldaña campe avec Rita Maro Castro une avocate brillante mais exploitée qui va devenir une femme énergique, lumineuse et… riche une fois réalisée la mission confiée par Manitas. Selena Gomez a le redoutable rôle de Jessi, l’épouse puis veuve éplorée, ballottée entre le Mexique et la Suisse. Mais elle interprète aussi une femme jeune, séduisante, pleine de vie, riche et qui décide de continuer à vivre sa vie de femme… Loin d’être écervelée, elle se montre d’une grande clairvoyance lors d’un dialogue particulièrement subtil avec cette « cousine » tombée du ciel. Adriana Paz joue Epifania la femme du peuple, et son personnage est souvent oublié par les critiques, battue, humiliée et qui va offrir à Emilia une relation tendre. Carla Sofia Gascon en Manitas puis en Emilia est la véritable vedette du film, attachante et toujours dans le « trop ». Audiard a eu l’intelligence d’éviter les numéros d’actrices et met en scène les relations complexes entre les unes et les autres.

Bref, à voir absolument si ce n’est pas encore fait !

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