Fatigué.es et aussi un peu déprimé.es, celles et ceux qui se sont jeté.es dans la campagne sans compter leur temps. Toutefois, un sentiment ambigu perdure. Entre joie d’avoir fait tout son possible et sensation que cela ne suffira pas. Quelque chose a manqué. D’abord du temps bien sûr. Pour comprendre, partager, informer, expliquer, écouter, analyser, se rencontrer, trouver des chemins communs. Du temps, beaucoup en fait. Du temps sans doute que nous aurions déjà dû prendre avant, déjà dû imposer, il y a longtemps. 22 ans après le premier coup de semonce, devait-on s’y attendre ? Si la dissolution ne l’était pas, la poussée de l’extrême-droite était attendue. Tout le reste, oui. Fortement. Avec peur sans doute. Dans le déni parfois. Avec un sentiment d’impuissance souvent. Tant le logiciel capitaliste nous aspire, et nos imaginaires avec.
Émotions politiques mêlées. Colère, peur, doute, résignation, déni, aveuglement, espoir, lutte, joie. On semble être ensemble. Il semble pourtant que nos bulles ne se croisent pas vraiment. Pas tout à fait. Pas suffisamment ?
On ne pouvait plus se contenter de faire barrage, cela ne suffirait plus à nous faire aller aux urnes. Il allait falloir quelque chose de plus puissant, de plus rassembleur. Une alliance indispensable. De Hollande à Poutou, était-ce bien raisonnable ? On s’est galvanisé de cette alliance inédite, historique, légendaire. Et pourtant, je me souviens du programme commun en 1972. Je me souviens de la gauche plurielle entre 1997 et 2002. Je me souviens de la NUPES entre 2022 et 2024. Mais elle avait quelque chose de différent cette alliance-là. Elle était voulue par le peuple de gauche. Réclamée, scandée, hurlée et déjà mise en œuvre par le peuple de gauche avant même qu’elle soit actée.
On s’engueulera après, a-t-on lu un peu partout ! Étrange slogan qui semble déjà annoncer une rupture, des scissions, des trahisons, des reniements ?
Et pourtant, on a vu se mettre en mouvement dans un même temps, miliant.es, sympathisant.es, associations, syndicats, ONG, médias indépendants, artistes, citoyen.nes. Chacun.e s’est mis.e à faire ce qu’il sait faire. Et on a vu l’étendue de nos savoirs, de nos pouvoirs, de nos pouvoirs sur, de notre puissance collective. Du travail que fait chacun.e dans sa bulle depuis tout ce temps. On a vu l’invisible, les interstices, les marges se croiser, s’associer, se tisser. Tout le travail d’éducation populaire qui est fait depuis 2002 a pris sens. On se croyait divisé à jamais. On a fait front commun et pas barrage cette fois. De Hollande à Poutou, ça semblait possible et souhaitable.
On a fait le job sans rechigner face à l’immonde fascisme qui attend, sans autre programme que le racisme et la violence policière, que le capitalisme finisse de lui faire la courte échelle. On avait besoin de ça pour se compter, faire face ensemble. Mais sortis de nos bulles, qu’en est-il ? Une France coupée en trois, la résignation d’un côté, la haine de l’autre et l’espoir de faire émerger d’autres mondes enfin. Des ruptures si fortes.
Et puis, un résultat qui alterne entre soulagement de ne pas voir les fachos au pouvoir, joie d’avoir réussi ce tour de force qui semblait si peu attendu par les médias et peur que cela ne suffise pas pour tenir dans la durée. A nous alors de porter ce premier mouvement pour qu’il ne soit pas vain, à nous de continuer à faire ce qu’on sait faire, à demander des comptes, à mettre la pression, à s’approprier les espaces, la parole jusqu’à la prendre sans attendre qu’on nous la donne, une bonne fois pour toute.
Corinne Lepage
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