Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

La gratuité pour retrouver les chemins du socialisme

red and black Public Market signboard

Défendre l’extension de la sphère de la gratuité contre celle de la marchandisation est une façon de penser et d’organiser, dès à présent, un au-delà du capitalisme et du productivisme.

La gratuité dont nous parlons n’est pas le produit débarrassé du coût, mais du prix, il s’agit donc bien d’une gratuité construite et d’abord économiquement. L’école publique est gratuite mais financée par nos impôts. Cette gratuité doit être aussi construite juridiquement, culturellement, socialement, politiquement.  Elle présente alors le grand mérite de participer à la construction du peuple, alors que les politiques progressistes actuelles, du type wokisme, conduisent à opposer des fractions du peuple à d’autres fractions du peuple.

Les gauches politiques, sociales, mouvementistes n’ont pas assez pris au sérieux « l’Appel à avancer vers une civilisation de la gratuité » que ses représentants avaient pourtant signé en 2018. Le prochain grand rendez-vous pour redonner du souffle à ce mouvement seront les élections municipales de 2026. Ce n’est pas étonnant pour qui a conscience que la conception même du territoire, son invention géopolitique, est un enjeu majeur. L’alternative ne peut être que du côté des territoires contre les métropoles… dommage que les partis dits de gauche aient oublié cette vérité dans la campagne des européennes !

La gratuité a quelque chose à voir avec le « communalisme » à venir, de même que l’essor de la gauche au XXe siècle fut en rapport direct avec le « socialisme/communisme municipal ». Nous ne partons heureusement pas de rien pour mener ce combat en faveur de la défense et de l’extension de la gratuité mais du bilan des milliers de réalisations déjà existantes. Mais nous ne devons jamais oublier que ce combat pour la gratuité repose sur trois grandes règles pour être émancipateur.

Première règle : la gratuité ne se limite surtout pas aux biens et services qui permettent à chacun de survivre, comme l’eau vitale ou le minimum alimentaire. Elle s’étend, au contraire, au superflu, comme la beauté des paysages, les soins esthétiques dans le cadre des parcours thérapeutiques pour les cancéreux, etc. La gratuité n’est pas en effet une roue de secours pour les naufragés du système mais une autre conception de l’existence. L’enjeu est donc bien de multiplier les îlots de gratuité dans l’espoir qu’ils forment demain des archipels puis après-demain des continents.

Deuxième règle : si tous les domaines de la vie ont vocation à devenir gratuits, cela ne signifie nullement que tout doit être gratuit. Et pas d’abord par réalisme politique, mais parce que cette gratuité doit être mise au service d’un projet de société. C’est pourquoi nous proposons la gratuité du bon usage, face au renchérissement du mésusage, et parfois à son interdiction. C’est au peuple de décider ce qui doit être gratuit, renchéri, interdit, dans le cadre de la construction d’une véritable démocratie des usagers maîtres de leurs usages. Pourquoi paye-t-on, par exemple, son eau le même prix pour faire son ménage et pour remplir sa piscine privée ? Ce qui vaut pour l’eau devrait valoir pour l’ensemble des communs.

Troisième règle : il ne s’agit surtout pas de rendre gratuits les produits et services existants mais d’utiliser le passage à la gratuité pour repenser les modes de production (que produit-on ? comment ? et pour qui ?). Amoureux de la gratuité des cantines scolaires, nous n’allons pas rendre gratuite la malbouffe, mais repenser une alimentation relocalisée, resaisonnalisée, issue de l’agro-écologie, servie à table, etc. Les centaines d’expériences de gratuité dans les domaines des transports en commun, des services culturels ou funéraires, etc, prouvent que le passage à la gratuité est toujours l’occasion d’une inventivité sociale grâce à un surcroit de démocratie. Soit ce qu’on appelle la gauche retrouve les chemins d’un autre socialisme, dont la gratuité est un ingrédient structurant, soit elle continue à oublier la construction du socialisme et elle deviendra, ce qu’elle tend à être, un « syndicat de minorités » dans le cadre d’un « progressisme » oublieux du peuple.

Paul Ariès

Politologue, directeur de l’Observatoire International de la Gratuité (OIG), auteur du livre-manifeste Gratuité vs Capitalisme (Editions Larousse).

http://appelgratuite.canalblog.com/

 

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