Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Remettre le vivant sur ses pieds !

Admettons quelques idées simples, basiques :

  • L’analyse et l’évolution des forces productives ne peut qu’intégrer des ressources non humaines, pas seulement de l’ordre de la matière et des outils, mais aussi du vivant, faune et flore, tant les écosystèmes sont imbriqués.
  • On a parfois subi un scientisme qui considérait une sorte de supériorité intrinsèque de l’espèce humaine, dont la capacité à tout dominer n’avait que des limites ponctuelles ou éphémères. La crise climatique, la finitude de la planète nous démontrent l’inverse. 
  • La couche d’ozone n’est qu’un des éléments (ou un des rapports) qui relient terre et ciel, mondes des vivants et mondes des volants, alchimie chère à la pensée amérindienne, et que les enjeux écologiques rappellent même quand on prend les rapports du GIEC pour billevesées et qu’on ne veut pas voir que les lois anti (im)migrations ne réparent pas les trous de cette même couche stratosphérique. 

Quelle peut-être est la nature de l’alternative ? Comment progrès social et respect du vivant peuvent-ils se nourrir mutuellement ?

Daniel Bensaïd, dans des textes publiés en 2002-2003, relevait qu’ « un préjugé tenace veut que le marxisme ait peu apporté à la critique écologique, du moins jusqu’aux années soixante-dix. Pourtant, la dimension écologique de la critique de l’économie politique n’était pas méconnue des héritiers les plus directs de Marx et d’Engels. ».  Dans sa recension du livre  Marx’Ecology. Materialism and Nature de John Bellamy Foster (New York, Monthly Review Press, 2000), il invite à réfléchir aux fondements possibles d’une écologie matérialiste et dialectique. De nombreux auteurs (d’Ivan Illitch à André Gorz) ont travaillé ces rapports et la nécessité d’un réajustement général. La question n’est donc pas neuve, mais son acuité est désormais urgente et sur plusieurs plans, le temps est compté qu’il s’agisse de la ressource ‘eau’, des forêts, du réchauffement climatique, des plastiques, ou de la disparition d’espèces animales, d’insectes, et du péril qui guette les abeilles. 

Si quelques luttes emblématiques (Givet, GM&S,…) ont utilisé l’arme écologique pour se faire entendre, l’agro-industrie, les nitrates en Bretagne ou Bhopal en Inde, inscrivent le comportement prédateur des humain.e.s dans les désastres de l’époque. Quelle alternative sinon une inversion totale de la méthode ? S’appuyer sur les ressources, le valoriser et non les piller. 

S’emparer de la durabilité économique locale, sortir du cycle infernal du productivisme, du ‘toujours plus’, de la course au gigantisme et au monopole

 

N’est-ce donc pas toute une chaîne de dominations qui est à remettre en question ? Pas seulement le rapport Capital/Travail. Pas seulement les inégalités Femmes/Hommes ou l’instrumentalisation des enfants par leurs parents. Comment s’exonérer d’une remise en question au plus fondamental de notre irrespect de la nature, et plus globalement de la marchandisation – là aussi – de toute relation ? L’air reste gratuit, la pollution aussi ! Pour le reste…

Comment peut-on envisager une alternative écologique qui remettrait sur ses pieds l’utilité fondamentale, sociale et écologique de tout vivant ?

Paul Guillibert, dans son dernier livre, défend que la transition écologique doit forcément aller de pair avec la lutte sociale et la prise en compte de l’exploitation des animaux. On peut étendre le propos à la flore. Des ergonomes peuvent expliquer comment telle végétalisation est apaisante dans un cadre de travail, l’utilisation de plantes et fleurs a été la condition du développement de l’industrie textile. Sans « bleu du roi », que serait la basilique de Saint-Denis ? Quant à la chlorophylle et au rôle des effluves, les impacts en sont connus. S’agit-il seulement de « respecter la nature » ? Tenir compte de la biodiversité est une chose et il est légitime d’empêcher sa destruction. Est-ce suffisant ? Ne doit-on pas prendre la biodiversité comme une ressource pour tous les vivants ? Aménager, élaborer les économies locales à partir même de ce qu’elle rend possible ? 

Laissera-t-on encore longtemps le marché et la dictature de l’immédiateté bousiller la forêt amazonienne et assécher les lacs ? Quelle alternative écologique ne pourrait trouver là un formidable levier, un rhizome qui permettrait de penser une société qui s’attache à répondre à tous besoins sociaux (de l’humain) et à tous les besoins (vitaux) du vivant ?

Humanité, faune, flore : l’ère d’une nouvelle créolisation a peut-être bien sonné. Il s’agit de faire tout à fait autrement, de changer le regard du constructeur, la visée de la compositrice de cette métamorphose. 

Au fond, rien d’exceptionnel : Remettre l’humain à sa place, la floraison dans son espace, la faune en ses équilibres. Programme ambitieux – ou simplement nécessaire – Qui posera inéluctablement la question de sa gouvernance. En finir avec les dominations qui détruisent le monde appelle un effort d’imagination. On ne peut rêver une autogestion de la société où le vivant non humain participerait aux conseils coopératifs ! Leur redonner de l’honneur, démarchandiser leur existence pour respecter leur « valeur d’usage » : sommes-nous capables de remettre le vivant sur ses pieds ?

Patrick Vassallo

https://danielbensaid.org/lecologie-de-marx/

https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/240923/marx-et-les-betes-pour-une-politique-du-vivant

Pour une écologie pirate 

L’écologie accompagnée de la figure du pirate comme symbole de liberté.

« Nous sommes tellement dépendants du système qui détruit le vivant et l’humanité, ce système s’est tellement immiscé dans nos espaces les plus intimes, qu’envisager de le renverser peut paraître impossible ».

Fatima Ouassak est cofondatrice du Front des mères et de Verdragon, première maison de l’Écologie populaire en France, à Bagnolet. L’écologie en soi n’est pas révolutionnaire, il faut un projet qui permette à chacun.e de s’émanciper, et les quartiers populaires sont au cœur de ce projet, qui doit lier l’exploitation et les différentes formes de dominations, en partant des quartiers populaires les plus touchés par la pollution, mais aussi par les violences policières, par les assignations à résidence et les interdictions de circuler.

Fatima Ouassak nous invite à penser l’écologie autrement que dans un rapport descendant entre les habitants des quartiers pavillonnaires, les « sachants »,  et les habitants des quartiers populaires, les ignorants. Donner du pouvoir aux habitants des quartiers populaires est la clef. L’abstention électorale y est très forte, l’autrice considère que c’est déjà une forme de rupture, une simple non-participation au système, sans pour autant déboucher sur une alternative politique. 

Construire ce projet politique se fait dans un lieu autogéré. A Verdragon première maison d’écologie populaire, les habitant.es gèrent un espace de près de 1000 mètres carrés : débats, rencontres, cantines, ateliers… Portée au début par le Front des mères et Alternatiba, Verdragon est un lieu de construction d’une alternative écologique populaire. 

Fatima Ouassak a aussi le souci de transmettre aux enfants la soif de se libérer et de construire sa propre émancipation en passant par le conte.

Sylvie Larue 

Pour une écologie pirate, Fatima Ouassak, Éditions La Découverte, janvier 2023, 198 pages, 17 euros 

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