La coopérative de débats.

L’espace où vous avez la parole.

Une autre façon d’être au monde

Le capitalisme et davantage encore l’ultra-libéralisme ont réussi à nous voler nos imaginaires et à nous faire croire que nous sommes soumis aux lois du marché. Mais rappelons-nous qu’il ne s’agit pas de lois physiques. Nous sommes bien en face de choix politiques .Il n’y a donc pas de fatalité. Pourtant difficile de faire face à cette macabre puissance, de penser le changement plutôt que de changer le pansement.

De plus, les lieux et organisations d’éducation populaire qui permettaient une lecture systémique et politique de l’actualité et des perspectives d’émancipation collective ont vu leurs moyens et leurs actions décliner. Plus aucun ministère ou secrétariat d’État n’ont dans leur intitulé “éducation populaire” et plus aucun membre du gouvernement ne s’en soucie. Même si l’institutionnalisation de mouvements populaires peut s’interroger quant à leur puissance de transformation sociale, il n’empêche que des soutiens financiers permettent de multiplier présence, échanges et propositions dans des territoires et espaces oubliés (cf Maisons des Jeunes et de Culture, Maisons de quartier, terrains d’aventure, Foyers Ruraux…). Et il reste toujours possible “de mordre la main qui nous nourrit” surtout quand elle le fait avec de l’argent publique !

Il me semble dans un tel contexte que la transition écologique apparaît comme une obligation pour les dominants entravant production, croissance et bénéfices, à laquelle ils répondent par des pseudos solutions technologiques (cf le livre Croissance Verte contre la Nature d’Hélène Tordjman). Quant aux plus démunis, elle peut être un souci secondaire quand se loger, se nourrir, se soigner constituent des préoccupations incessantes du quotidien. Alors qui s’en préoccupe ? Une petite frange de bobos et de réseaux alternatifs ? la réalité est peut-être plus complexe que cela.

Quand on prend le temps de parler aux gilets jaunes, on constate qu’ils sont en grande partie conscients de la problématique écologique. Mais, s’ils se sentent concernés par l’avenir de la planète, ces représentants de cette France rurale et périurbaine refusent de payer pour les turpitudes d’un système économique qui détruit l’environnement. D’autant que c’est ce même système qui est à l’origine de la désindustrialisation et de la dévitalisation des territoires, dont ils subissent depuis trente ans les conséquences en première ligne.

De même, il est un certain nombre de personnes, des jeunes en particulier, qui sont également lucides et inquiets quant à l’état de la planète et l’inégale répartition des richesses. L’éco-anxiété et l’éco-colère en sont la preuve. Ils et elles remettent en cause projet professionnel (cf discours de jeunes à l’issue de la remise des diplômes à Agro Paris Tech), projet de vie, façon de produire, de consommer, rapport à l’argent, à la gouvernance pour imaginer des alternatives écologiques et sociales.

Par ailleurs c’est vrai que les relents d’extrême droite refont fortement surface et avec eux les idées climatosceptiques, extractivistes, masculinistes… Mais ne serait-ce pas là les derniers souffles de celles et ceux qui s’accrochent au vieux monde ? de celles et ceux qui ne trouvent pas leur place et se sentent déconsidéré·e·s parce que méprisé·e·s par nos élites ?

La question du sens, de la conscience peut nous pousser à bouger. Comme de nouveaux récits qui peuvent nous faire nous lever. Ou encore les situations nous impactant dans notre quotidien (le cancer d’un proche dont l’origine est les pesticides, la destruction d’une partie de notre habitat suite à une tempête…).

En tant que paysanne impliquée à la Confédération Paysanne (co-porte-parole régionale), je me nourris des mobilisations locales menées par des collègues, des réflexions et actions portées par notre mouvement internationale la Via Campesina regroupant des organisations paysannes du monde entier. Je suis également sensible à la convergence des luttes.

2 rencontres et expériences m’ont beaucoup touchée :

– la rencontre avec 6 femmes zapatistes accueillies chez nous à la ferme.

La région du Chiapas, au sud du Mexique, travaille avec obstination à son autonomie depuis maintenant 25 ans. La base de leur système est l’assemblée de village (ou communauté) qui se fédère, avec d’autres assemblées , en commune dotée d’un conseil municipal dont les membres sont élu.e.s pour 2 ou 3 ans. Les communes autonomes envoient des délégué.e.s à l’assemblée générale de zone (région), laquelle désigne un “conseil de bon gouvernement” chargé de la mise en oeuvre des décisions collectives sur l’éducation, la santé, la justice… Ce dernier travaille avec le slogan “le peuple commande, le gouvernement obéit.”Les discussions entre les 3 niveaux territoriaux font de fréquentes navettes avant qu’une décision soit prise, de préférence par consensus. Les mandats sont révocables et non rémunérés. Il n’y a pas de constitution ni de corpus de lois mais un droit coutumier en perpétuelle élaboration.

Le Chiapas accorde une même importance au féminisme qu’à l’écologie et à la démocratie directe. Paysan.ne.s indigènes pour la plupart, elles et ils ont une matière à l’école qui se nomme “le plaisir” et une autre “connaissance de la nature”.

Les activités économiques s’organisent autour des coopératives et de la mise en commun des moyens de production et des terres, de façon à ne plus dépendre du système capitaliste. Au moment de produire, les questions qui sont posées sont : en avons-nous besoin ? cette production a-t-elle un impact sur la santé humaine, celles des autres espèces et sur celle de la planète ?

Les zapatistes défendent avec une énergie incroyable leur espace vital face au gouvernement mexicain qui souhaiterait récupérer leurs terres pour y lancer de “grands projets inutiles et nuisibles”.

Ce fut des rencontres très inspirantes pour imaginer, “construire un monde nouveau. Un monde pouvant contenir beaucoup de mondes, pouvant contenir tous les mondes”. (phrase du sous-commandant Marcos)

– la mobilisation contre l’aéroport de Notre Dame des Landes.

Au fur et à mesure des années d’occupation pour empêcher la réalisation du projet, confié à la multinationale Vinci, la ZAD s’est transformée en lieu d’expérimentation sociale : décisions prises en assemblées générales, création de médias, construction de bâtiments pour les activités communes (la bibliothèque, le phare, la grange…), développement de maraîchage diversifié… Ont vu le jour aussi des habitats légers faits de matériaux de récupération, cabane en bois, yourte, caravane ou roulotte dont l’empreinte carbone était nulle et qui pouvaient se reconstruire ailleurs. Elles incarnaient une nouvelle conception de notre relation à la nature, non anthropocentrée. Un groupe d’architectes et de paysagistes déclarait en avril 2018 que la ZAD était comme un laboratoire du futur. Un terrain d’expérimentations pour de nouvelles manières d’habiter, de travailler, de cultiver la terre, de bâtir, de vivre ensemble dans le contexte actuel d’épuisement des ressources. Je n’idéalise pas l’expérience de la ZAD, parfaitement consciente et au courant des difficultés rencontrées tant dans la vie sur place que dans la mise en pratique de la démocratie directe mais elle reste porteuse d’espoirs, d’entraide et de coopérations. Elle est devenue le symbole de l’autogestion et du respect de la Terre et ça, aucun blindé ne pourra le détruire, ni aucun président. Nous pourrons nous appuyer sur cette expérience pour réussir à vivre dans un monde post-capitaliste.

Enfin que d’émotions quand en janvier dernier, lors de nos manifestations pour faire part de notre colère paysanne, nous recevons par message Signal, depuis le Forum Mondial Social au Népal, une vidéo de confrères et consoeurs d’Afrique Noire, d’Asie et d’Amérique Latine exprimant toute leur solidarité avec les mobilisations de la Confédération Paysanne en France !

Progès social et transition agro-écologique ne sont qu’un seul et même projet, une seule et même ligne d’horizon car ils relèvent d’une autre façon d’être au monde, d’être en lien avec le vivant, humains et non-humains.

Murray Bookchin explique que les problèmes écologiques sont des problèmes sociaux car si la nature devient de simples ressources naturelles, c’est que les gens sont considérés comme de simples ressources économiques.

De même Jocelyne Porcher pense que “nous, les animaux domestiques, la nature ne faisons qu’un pour le capitalisme industriel et financier. Nous ne sortirons pas les animaux domestiques et la nature de leur condition sans nous sortir nous-mêmes de la nôtre. Notre destin est lié aux leurs. La manière dont on les traite dans ces marchés libéralisés et mondialisés est le miroir dont on considère les êtres humains quant à leurs droits sociaux dans cette mise en concurrence des peuples du monde”.


Gustavo Pedro, président de la Colombie, nous rappelle que “ce système est prêt à répondre par la mort” pour “défendre la bulle de consommation des riches de la planète et ne pas sauver l’humanité, dont la majorité est jetable, comme les enfants de Gaza. Nous allons vers la barbarie si nous ne changeons pas de pouvoir. La vie de l’humanité, et en particulier des peuples du Sud, dépend de la manière dont l’humanité choisira la voie pour surmonter la crise climatique…. Gaza n’est que la première expérience pour nous considérer tous comme jetables”.

Naomi Klein, quant à elle, nous dit que “la guerre contre la misère est la seule guerre qui vaille la peine d’être menée, et nous devons la mener. Soit nous transformons cette machine de mort par une redistribution juste et équitable des richesses dans les limites de la terre, soit ce cauchemar nous engloutira tous.”

Comme le scandent les paysan.ne.s dans le livret illustré de la déclaration universelle des droits des paysan.ne.s votée en2018 à l’ONU, ” la solidarité est notre seule arme contre le capital mondial. Réapproprions nous le monde que le capitalisme nous a brutalement arraché. Nous, paysan.ne.s, ruraux/rurales, citoyens, consommateurices, insistons sur le fait que cette terre, cette eau, cette forêt n’est rien d’autre que nous, notre vie.”

Alors oui tout ce que nous avons c’est d’être ensemble. Tout ce que nous avons, ce sont nos mouvements et le pouvoir que nous construisons ensemble. Tout ce que nous avons, c’est notre solidarité. Notre détermination. Et notre engagement moral commun en faveur du caractère précieux de la vie.

Soazig LE BOT, paysanne dans le 56, impliquée à la Confédération Paysanne

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