Vue l’expérience des dernières décennies, pensez-vous qu’on peut continuer à déléguer sa confiance aux modes du système représentatif ?
Sami
Les questions soulevées, nous permettent de voir comment nous organiser à nos échelles, déjà nous-mêmes et puis après de faire le lien avec une échelle territoriale plus grande. Je ne suis pas convaincu que ce soit une échelle plus qu’une autre qui soit la clé. Clairement ce n’est pas le système institutionnel tout seul qui va changer les choses, par contre ce n’est pas une organisation autonome locale qui permettra de remettre en question les problématiques nationales. Je penche plutôt sur agir à nos échelles, et en même temps tisser des liens pour les élargir. Un peu comme ça s’est fait avec la sécurité sociale. Il y avait déjà des organisations qui existaient en local puis la loi a permis de la généraliser à tout le monde. Je crois assez à ce modèle.
Sylvie
On a pu entendre en salle des profs : « putain on n’en a encore pour trois ans à en chier ». Autrement dit la seule perspective c’est un hypothétique changement de gouvernement.
Cela renvoie l’alternative à l’alternance politique, à la possibilité de gagner aux élections. Nous savons tous ici que cela ne va pas fonctionner ainsi ! Je m’interroge : même s’il y a des questions qui fâchent, si nous ne les posons pas, nous ne parviendrons pas à dénouer les obstacles au développement des luttes.
Alex
Cette espèce d’envie de se reposer en vue d’une prochaine élection, se retrouve un peu partout. Peut-être « qu’ils » ont tellement joué sur notre individualisme, que nous sommes tombés dans une forme de paresse. Ce que disait Laurie sur les jeunes me redonne de l’espoir : si les jeunes tentent de tenir des AG qui font plus attention aux autres, qui sont ouvertes au fait de ne plus avoir quelqu’un qui va déverser LA Parole…
Dans les associations, je me suis heurtée à des gens qui avaient envie d’une hiérarchie et si quelqu’un prenait une place qui ne lui était pas attribuée, il/elle se faisait rembarrer. Il y avait une petite lutte interne de pouvoir. Cela se retrouve sur le terrain politique mais aussi sur le terrain associatif. Si les jeunes commencent à agir différemment, tant mieux !
Pierre
Vous avez évoqué d’aller jusqu’à la loi. Aujourd’hui on est citoyen le temps passé dans un isoloir pour désigner à qui obéir ensuite. Est-ce que la citoyenneté ce n’est pas de se saisir des enjeux, des propositions, sans attendre que cela vienne d’en haut, que cela vienne d’une organisation ou d’experts ?
Joëlle
Quand les gens disent : dans 3 ans on aura les mêmes, à la limite ce n’est pas grave, si nous, on n’est plus les mêmes. N’attendons pas d’en haut les réponses mais créons les nous-mêmes. Ne nous reposons plus sur : un « bon » gouvernement, un syndicat, une association. Soyons directement partie prenante de l’élaboration. Pas simple : on a eu des décennies de dressage à la délégation de pouvoir,
Prendre vraiment le pouvoir, collectivement, doit se préparer dans nos pratiques et notamment, de cesser de parler à la place de.
Laurie
Je bosse dans un bahut à Rennes. La plupart des gamins vivent des situations défavorisées. Notre posture à leur égard m’interroge. Elle est souvent condescendante et peut-être encore plus envers leurs parents. Bien sûr, c’est compliqué d’aller les chercher mais on a besoin d’être ensemble ; rien ne se fera sans eux. On accepte aussi trop que nos élèves subissent des dispositifs qui sont une assignation permanente à être étiquetés.
Gérard
La société accepte de moins en moins ce qui tombe tout fait d’en haut. Quant aux partis politiques, il n’y a plus rien. Ils pêchent des idées puis ils en font un catalogue pour les élections. Les principales discussions en leur sein, sont sur les stratégies électorales. Je suis tout-à-fait d’accord sur le système représentatif, une minute de citoyenneté tous les cinq ans, c’est un peu limité ! Après, il faudra bien qu’à un moment, ça passe par un vote à l’Assemblée Nationale.
Sur la sécurité sociale de l’alimentation, il y a des réseaux. Ils ont déjà la clé pour nous donner la solution à tout. Tout ce qu’ils font est dans un objectif qui ne laisse pas de place à la démocratie, en vrai. Officiellement, si, mais en vrai, non. Je leur ai dit, un jour : « vous êtes en train d’essayer de mettre en place un projet démocratique d’une façon totalement non démocratique. » Et le mec ne m’a pas répondu. Alors que je suis 100 % d’accord avec eux, je pense qu’à cause de la méthode, leur truc ne tient pas la route. A partir du moment où ils considèrent qu’ils ont la clé, ils l’imposent aux autres, là je ne suis plus d’accord. Des fois, je peux retrouver ces tendances-là chez des féministes, par exemple.
Daniel
Je rejoins Joëlle sur l’idée qu’il fallait qu’on crée des réponses nous-mêmes, et qu’on n’attende pas qu’elles viennent d’en haut. Ça soulève la question du peuple souverain, du peuple législateur. Cela s’est posée en 1848 et lors de la Commune de Paris. Toutes deux écrasées dans le sang. Puis il y a eu une tentative avortée en 1917 en Russie Soviétique où le parti bolchevique a mis fin aux conseils ouvriers dans les usines. Aujourd’hui, les municipalités gérées par des gens dits de gauche – écologistes, PC, PS – ont peur du peuple. Ils ne font rien dans leur pratique pour que l’élaboration des politiques municipales soit une élaboration collective. ET aussi dans toutes les luttes, les syndicats, n’ont jamais associé, concernant les choix à faire, les usagers pour en faire un combat commun. Les syndicalistes considèrent qu’ils détiennent les bonnes réponses, sans prendre en compte ce qui pouvaient être exprimés par les usagers. Pour autant, ils ont une expertise, qui peut être sacrément utile, mais on ne fait pas avec l’usager.
Pierre
Je ne crois pas non plus à la spontanéité. Saisir la réalité, se fait comme un puzzle. Tout le monde n’a pas les mêmes pièces, mais beaucoup de gens en ont. On le voit dans des AG de personnels en lutte. Trop souvent syndicat ou parti politique n’embrayent pas sur ce qui ne vient pas de lui. Alors que la capacité d’analyse des gens quand ils parlent d’eux est frappante.
Daniel évoquait 1848 et la Commune, je vais prendre une autre référence : la Constitution de l’an 2, -ça a duré deux ans – c’étaient les comités locaux, au niveau du canton si on veut, qui travaillaient sur des propositions, et les représentants étaient des commissionnaires -c’était le terme utilisé – avec mandats impératifs. Et ça marchait.
Daniel
Nos élus devraient être nos commis !
Alex
Je veux revenir sur une difficulté. J’ai été dans des AG autour de squats à Rennes, et j’étais proche des communautés exilées, et il y a un problème sur le fait de donner la parole aux communautés, parce qu’elles ne se sentent pas toujours légitimes à le faire.
Il y a aussi la peur d’apparaître. Un gars qui s’était porté volontaire pour parler devant un groupe de français, dont le préfet, au dernier moment, m’a dit qu’il ne pouvait pas, parce qu’il voulait rester anonyme. Il avait peur. Ça s’est terminé par une lettre que j’ai traduite puis dite. Donc c’est moi qui ai porté la parole à sa place ; moi qui ne suis pas exilée !
Sylvie
Il y a du boulot à faire dans nos organisations : quand des gens décident de se mettre en mouvement mais pas dans les formes habituelles des mobilisations sociales ils ne sont pas reconnus dans leur action. Je pense aux Gilets Jaunes qui ont trouvé des formes de politisation différentes de ce qu’on fait d’habitude et qui n’ont pas été tout de suite reconnus. Même s’il y a eu avancées et c’est maintenant qu’on en reparle.
Gérard
La démocratie. C’est un horizon. Pour l’instant ça recule au fur et à mesure qu’on avance. Il y aura toujours des gens qui auront du pouvoir sur d’autres par la parole, par le savoir par de multiples canaux possible et imaginables mais n’empêche qu’il faut aller vers plus d’horizontalité, c’est cela qui est émancipateur. Démos Kratos. Dans la politique les armes ce sont les mots. Avec l’industrialisation et le salariat le peuple a été soumis. Cela a imbibé toute la société. Prenons l’hôpital : on a mis en place en 46 un hôpital qui est formidable mais sur un mode militaire, il y a un chef qui commande les autres obéissent, et 10 ans avant la retraite ma femme (sage-femme – NDLR) s’est mise en libérale et là je peux vous dire qu’elle revenait le soir du boulot avec la banane.
Pierre
Gérard et Daniel disent que la gauche ne reconnaît pas le peuple : les partis sont enfermés dans des logiques institutionnelles, dans la course au pouvoir d’État. Je sors d’un parti (le PCF) on ne peut pas dire qu’il ne parlait pas du peuple mais c’était pour qu’il ne nous soutienne pas pour qu’il invente et fasse lui-même. Je ne dis pas qu’il suffit de dire Yaka pour que ça se fasse, c’est d’abord ça la politique.
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie