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EN TOILE DE FOND, L’APARTHEID

Crimes de guerre contre crimes de guerre : l’affrontement entre Israéliens et Palestiniens atteint un degré inédit de haine. Seuls s’en disent « surpris » ceux qui ignorent 75 ans de conflit qui ont débouché sur un régime d’apartheid.  

Coup sur coup, en un an, trois grandes organisations de défense des droits humains ont caractérisé le régime israélien comme une forme d’apartheid : Betselem, Human Rights Watch et Amnesty International. Leurs rapports invoquent, au-delà de l’expérience sud-africaine, la Convention internationale sur le crime d’apartheid de 1973 et le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998, qui l’ont défini et classé dans les crimes contre l’humanité. 

Cette caractérisation a suscité une levée de boucliers. À croire que toute critique de la politique de Benyamin Netanyahou serait anti-juive, de celle de Poutine antirusse, de celle de Xi Jinping antichinoise et celle de Macron… antifrançaise !

Or la Knesset elle-même a gravé l’apartheid dans le marbre constitutionnel. La loi fondamentale du 19 juillet 2018 définit Israël, non plus comme « État juif et démocratique », mais comme « État-nation du peuple juif ». Son article 1 stipule : « Seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale en Israël. » Et son article 4 réserve au seul hébreu le statut de « langue d’État » que l’arabe partageait avec lui jusque-là. Voilà qui bafoue la promesse de la Déclaration d’Indépendance du 14 mai 1948 : le nouvel État « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ».

Les plus sérieux des opposants à la qualification d’apartheid admettent que celui-ci domine en Cisjordanie, voire à Jérusalem-Est, mais nient qu’il en aille de même en Israël même. Certes, les citoyens palestiniens peuvent s’organiser en partis politiques, voter et être élus. Si le « régime militaire » imposé aux « Arabes israéliens » a été aboli en 1966, demeure un ensemble de discriminations légales ou réglementaires analysées dans les rapports des trois ONG. Prenons l’une des plus significatives : la violation structurelle de leur droit à la terre :

–       Premier obstacle : la loi sur les propriétés des « absents ». Elle a permis à Israël de confisquer les terres (et les biens) de tous les Palestiniens qui n’étaient pas chez eux à sa naissance ;

–       Second obstacle : la loi fondamentale sur « Les Terres d’Israël » (1960) qui stipule : « La propriété des terres d’Israël, qu’il s’agisse des terres de l’État, de l’Autorité de développement ou du Fonds national juif, ne pourra pas être transférée par la vente ou de toute autre manière » ;

–       Troisième obstacle : l’officialisation des « comités d’admission » (2011) chargés, dans les communautés juives, de décider si une personne désirant s’y installer est « convenable » (sic) : devinez qui ne l’est pas… 

Bilan : les Juifs, à la veille du plan de partage de 1947, avaient acquis moins de 7 % des terres de la Palestine sous mandat britannique ; aujourd’hui, les Palestiniens ne détiennent que 3 % des terres d’Israël.

Nous nous trouvons donc bien dans la situation décrite par le droit international, qui définit l’apartheid par « des actes inhumains […] commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime. » Si l’expression « groupe racial » n’est pas appropriée pour qualifier les Juifs israéliens et a fortiori les juifs en général, on mesure néanmoins là l’oppression que subissent les Palestiniens depuis 1948. 

Par Dominique Vidal, journaliste et historien.

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