Quand il est question du loup, de l’ours ou du lynx, tout le monde a entendu : « Pourquoi cela se passe-t-il si mal en France alors qu’ailleurs cela passe très bien ? ». S’il peut y avoir des oppositions très fortes et compréhensibles, des contraintes occasionnées localement lourdes, l’herbe n’est pas forcément plus verte à l’étranger et plusieurs choses fonctionnent tout de même en France. Si l’exemple des Abruzzes semble montrer des loups plus ou moins acceptés, il faut avoir en tête que le Parc national des Abruzzes investit depuis les années 1970 dans la cohabitation et la continuité de présence du carnivores (contrairement à la France où les loups ont disparu des années 1940 à fin 1992). Par ailleurs, si l’élimination illégale existe aussi dans ces « paradis de la cohabitation », dès que l’on sort des zones historiques de fortes densités de loups, les éleveurs et les chasseurs veulent éliminer le loup. Dans le nord de l’Espagne et dans le nord de l’Italie, les climats de tensions n’ont rien à envier aux tensions françaises.
Il y a des points communs et des spécificités à l’opposition à la présence de l’ours, du lynx et du loup. L’élevage ovin est dans la filière élevage, qui ne se porte pas bien dans l’ensemble, celle qui est dans la position la plus précaire en termes de vieillissement, de difficultés de dégagement d’un revenu et de contraintes diverses (sanitaires, chronophagies, moindres aides). La nouveauté de la présence du grand carnivore explique aussi les tensions. Dans un front de colonisation du loup, notamment dans les zones d’élevages de plein air clôturés difficiles à protéger par la présence humaine et les chiens de protection, l’importance des dégâts potentiels est conflictuelle. Mais l’opposition est aussi liée à des facteurs moins objectifs. Pour l’ours en Ariège notamment, dans la continuité de ce qui a pu se passer dans toutes les Pyrénées, l’ours est un faire-valoir politique permettant à des personnalités de se mettre en avant à bon compte. Certes, les dégâts d’ours y sont proportionnellement les plus importants de la chaîne, mais les acteurs agricoles politiquement dominants ne font rien pour apporter des réponses techniques pour faire baisser une prédation, amplifiée statistiquement par les pouvoirs publics qui ont fait croître le nombre d’indemnisation, y compris quand les preuves sont tenues. La visée de paix sociale de ces pratiques politico-administratives n’est pas atteinte, puisque les opposants sont confortés au contraire. Pour un leader politique et ou agricole, l’opposition à un grand carnivore emblématique est fortement médiatisée et donne l’impression d’un activisme pro-agricole, alors que les racines du mal-être agricole indépendamment des grands carnivores ne sont pas traités dans le fond (renouvellement, rémunération juste, accès au foncier, injustice des aides…). Avec des groupes comme Lactalis ou SODIAAL qui ne rémunèrent pas justement les éleveurs et un syndicat dominant qui abandonne les plus petits au profit du plus grands, les grands prédateurs ne sont pas toujours là où on le croit.
Il faut noter également qu’avec quelques centaines d’animaux indemnisés pour l’ours, moins d’une centaine pour le lynx et près de 11500 pour le loup, nous ne sommes pas dans les mêmes ordres de grandeurs d’impact. Pourtant, les tensions médiatiques sont comparables, notamment pour l’ours et le loup.
Cependant, ces questions ne sont pas qu’agricoles, si les éleveurs sont en premières lignes, c’est une question de société où tous les citoyens ont potentiellement leur mot à dire. S’il faut investir dans les aspects techniques pour diminuer les dégâts, il est nécessaire d’œuvrer avec tous les acteurs des territoires concernés citoyens, chasseurs, naturalistes, forestiers, professionnels du tourisme, mais aussi acteurs du secteur social et culturel. Tous ont vocation à mieux appréhender la réalité pastorale, mais aussi à décider de l’avenir d’espèces qui accompagnent une période de mutations globales où les enjeux liés au climat, à la biodiversité, à la gestion de l’eau et des paysages sont l’affaire de tous.
Farid Benhamou (Docteur d’Agro Paris Tech Professeur de Géographie, CPGE, Poitiers Chercheur associé, Laboratoire Ruralités UFR-13823 – Université de Poitiers))
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