Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Du métier 

Peut-on encore être fier d’avoir un métier ? Je ne vous parle ni d’un « job » ou d’un « boulot » mais d’avoir un métier, celui qu’on a mis des années à acquérir. De ce métier qui se transmet de génération en génération et nous oblige à répéter cent fois les mêmes gestes pour maîtriser le bon, en usant des mêmes mots techniques et de géométrie, qui nécessitent d’observer les plus anciens, de comprendre leur langage et de se prendre parfois quelques coups de cul si l’outil est mal affûté ou l’équerre déformée.  Je parle de ce métier qui nous a fait souffrir dans notre chair à force de persévérance à vouloir trouver le bon geste avec le bon outil. De ce métier qui parfois déforme nos mains et brise à petit à feu notre carcasse et encrasse de poussière nos poumons. Je parle de ces métiers qui nous obligent à rester sous la pluie, avec ces maudites gouttes qui tombent toujours à l’arrière du cou, de ces matins où le thermomètre est sous zéro et que les outils restent collés dans les mains. Je parle de ces métiers qui ne sont pas payés bien chers mais qu’on n’échangerait pas contre une place au chaud les pieds sous un bureau (tant qu’on a la santé). 

Et puis un jour, en se promenant dans la grand’ville avec ses enfants, l’ouvrier se met à lever les yeux. Ils regardent ensemble les monuments, les décors des ministères, les gargouilles des églises, et il leur dit : « Regardez ! celui-là aussi c’est moi qui l’ai fait ! ». Derrière ce fleuron en pierre, ce dôme en ardoise, cette grille en fer forgé, cette porte en chêne, cette sculpture en marbre, ce vitrail, ce décor en stuc ou en staff, il y a des hommes et des femmes de métier.  Les enfants sont fiers, et le père aussi de pouvoir leur apprendre que sans les charpentiers la tour Eiffel n’aurait pas pu être levée. Il est fier de s’inscrire dans cette tradition des bâtisseurs qui érigèrent le temple de Salomon. Il est fier d’avoir le sentiment d’avoir une utilité pour la collectivité et d’apporter du beau et de la poésie parfois. 

L’ouvrier qui a conscience de sa propre force, connaît sa juste valeur. Respectueux de son métier et des règles qui le régissent, amoureux de la matière et des gens, il refusera dès lors de saboter son ouvrage sur l’autel du profit car le temps des bâtisseurs n’est pas celui des politiques et des actionnaires. Il est celui du savoir, de la transmission et du temps long de la connaissance ; il est aussi celui de l’entraide et de la solidarité, instincts naturels de sa propre condition. 

Depuis des années les gouvernements successifs tentent de valoriser les filières d’apprentissage et l’expression « métiers d’art » tend à remplacer celle de « métiers manuels » qui conserve une connotation péjorative. Récemment encore le ministère de la Culture et le ministère des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, ont annoncé un nouveau plan de 340 millions d’euros pour valoriser ces filières autour de cinq grands axes : jeunesse, formation, territoires, innovation et international. Réjouissons-nous ! Mais de quels métiers parlons-nous ? Le slogan de cette campagne « Métiers de la main, métiers de demain » laisse encore la part belle à des effets de sémantique où « Métiers de la main » remplace cette fois les « Métiers manuels » et l’on fait fi une fois encore de l’intelligence et de l’esprit nécessaire à ces cultures de métiers. 

Métier et mystère sont étymologiquement liés (mestier, misterium). Le métier a su acquérir un sens noble qui, aujourd’hui encore, le distingue de la profession ou du job qui ne sont que des moyens pour acquérir une position sociale ou des biens matériels. Le métier fait œuvre de création dans laquelle l’homme peut trouver un sens à sa vie. Et si la transformation de la matière première en œuvre renvoie le travail de l’ouvrier à une création, il n’est pourtant ni artisan, ni artiste. 

F. Thibault, Compagnon tailleur de pierre 

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