Semaine de 4 jours : l’avenir ? (1)
Alors qu’en France gouvernement et Medef martèlent le « travailler plus », l’idée de la semaine de 4 jours signe-t-elle un renouveau ? Dans plusieurs pays, des programmes pilotes sont lancés par les gouvernements, en Espagne avec subventions publiques, ou au Royaume-Uni pour 60 firmes et 3000 salariés ; des entreprises prennent l’initiative : Microsoft au Japon ou un grand groupe bancaire en Italie.
Si salaires inchangés et volontariat des salarié.es sont la règle, le passage à 4 jours peut se faire sans réduction du temps de travail, comme en Belgique avec allongement des journées d’une heure et demie, ou avec réduction totale ou partielle.
La France semble à la traîne. Pour certains patrons toutefois, les 4 jours feraient passer la pilule du recul de l’âge légal de la retraite : travailler plus longtemps, mais moins et « mieux ». On trouve surtout des entreprises moyennes, dans des branches très variées. Pour le secteur public, une tentative à l’URSSAF de Picardie a rencontré peu de succès, en raison de l’allongement de la durée journalière. Si la durée totale du travail varie, il s’agit toujours d’effectuer en 4 jours le même travail qu’en 5 : limitation des pauses, chasse aux temps morts et aux tâches jugées inutiles, sans embauches supplémentaires.
Pourquoi cet engouement ? Côté patronat, on avance l’augmentation du coût de l’énergie – ce qui suppose une journée de fermeture fixe, peu compatible avec le volontariat–, les difficultés de recrutement, alors que la crise sanitaire a modifié le rapport au travail d’une partie des salarié.es. On parle aussi de gains de productivité (en réalité surtout des effets de l’intensification du travail).
Les salarié.es volontaires mettent en avant les trajets en moins et les avantages pour leur vie privée et familiale, et pour la plupart souhaitent poursuivre l’expérience. Il faudrait voir toutefois si ce bilan positif perdure, s’il est le même pour les ouvriers ou les cadres, les hommes et les femmes, etc. ; si une généralisation du dispositif n’ouvrirait pas la porte à une décentralisation accrue de la gestion du temps de travail au niveau des entreprises, renvoyant aux rapports de force locaux ; si la chasse aux temps morts ne se traduit pas par la disparition de toute possibilité de travail collectif. Enfin, s’il y a allongement des journées de travail, cela peut être particulièrement difficile pour les mères seules, et compliquer la vie familiale en général.
On reste encore loin de la bataille historique du mouvement ouvrier pour une réduction collective du temps de travail !
Stéphanie Treillet
(1) Contribution parue dans le mensuel l’Âge de faire
Abandonner le champ du travail ?
Extrait du débat
La réduction du temps de travail, revendication permanente des
organisations syndicales, est aussi portée à gauche avec l’idée de se
libérer du travail, une question qui fait débat. Pour Muriel, « face à la
pénibilité du travail et aux conditions de travail dégradées, la
réponse qui est souvent donnée à gauche, c’est qu’on va réduire le temps
de travail… ». Et citant l’exemple mis actuellement en avant par le gouvernement : « une
réduction de la semaine de travail à 4 jours, c’est pour moi abandonner
le champ du travail. La réduction à la semaine de 4 jours, on peut y
être favorable, la question de l’emprise du temps de travail sur la vie,
on peut y être favorable, mais mettre ça en avant sans parler du
travail, c’est se dire : bah tant pis on lâche, on lâche le travail,
alors qu’il pourrait être enfin question d’une politique du travail ».
Un point de vue non partagé par Marylène : « l’idée de diminuer le temps de travail, c’est une conquête du mouvement ouvrier depuis le 19ième
siècle, avoir conquis la diminution du temps de travail. On demande le
partage du travail comme on demande le partage des richesses, pas de
faire le même travail en moins de temps, plus de productivité », ni par
Nara : « je voulais revenir sur ce que disait Muriel par rapport au
besoin de réfléchir sur le travail. Sauf que pour réfléchir il faut du
temps. C’est la raison pour laquelle -là je rejoins Marylène- la
question de la réduction du temps de travail est essentielle pour que
les travailleurs et les travailleuses, justement, puissent réfléchir sur
le travail, sur leur travail, etc… ».
La rédaction
Semaine de 4 jours et affrontement incontournable
Stéphanie Treillet met en lumière un vrai problème quant aux ambivalences qui peuvent découler de cette revendication.
Pour une majorité de salarié/es le passage de 40 à 35h s’est traduit par faire en 35h le travail de 40. Faut-il revenir à 40 heures ?
L’aspiration à ne plus subir le poids d’une hiérarchie étouffant la personnalité, la volonté d’être son propre maître a débouché sur l’ubérisation alors qu’elle aurait dû poser la question de l’autogestion pour ne pas être récupérée.
La plasticité du capitalisme le rend capable de caresser dans le sens du poil des aspirations fondamentales pour les retourner en leur contraire. Est-ce une raison pour renoncer ? Non. Ni pour les personnes concernées ni pour ce qu’elles pourraient injecter dans leur savoir et savoir-faire issu d’autres pratiques que leur emploi. Le temps « libre » n’est pas que du loisir, il contribue à la formation de la personnalité des salarié/es et donc au développement de la société. Le patronat exploite les « compétences » acquises hors emploi et hors formation tout en niant ce qui les produit.
Il est temps que chaque lutte ose investir l’au-delà du système actuel, et en fasse dès maintenant un objectif revendiqué. Remettre la perspective du recul du capitalisme dans les limbes d’un avenir aussi lointain qu’abstrait rend vulnérable. Cette revendication sur le temps de travail pose en termes immédiats et concrets le dépassement de l’organisation actuelle des pouvoirs de décision sur le travail : qui en décide devient incontournable.
Pierre Zarka
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