Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Émiettements et fermentation

La revue numérique D’ailleurs et d’ici publie une enquête intitulée « Que cache la croisade contre le wokisme ? » Le Woke, mouvement un peu difficile à caractériser, polarise des actions multiformes contre les préjugés et discriminations drainées par le cours de l’histoire au nom de la race, du genre, de l’orientation sexuelle, etc. Ça ne se fait pas sans désordres polémiques. Cette publication m’a donné l’envie d’aborder ma contribution par cette rive. Comment est-il possible, « à partir de ce qu’expriment les manifs, les pancartes, nombre de propos », d’envisager que le mouvement social commence à « investir davantage le champ de l’alternative ».

L’enquête évoquée cite le sociologue Olivier Roy qui prend de suggestives distances avec le Woke : « Depuis les années 80, écrit-il, nous vivons un fort processus de désocialisation, dopé par l’ubérisation croissante de la société. Et c’est sans doute la première fois dans l’Histoire que les nouvelles générations n’imaginent plus vraiment d’enchantement pour demain /…/ Aussi, (mon hypothèse) c’est que toutes ces revendications identitaires – loin de s’insérer pour l’instant dans un projet politique cohérent, créateur d’un nouveau collectif – entraîneront malheureusement d’abord toujours plus de concurrence victimaire et un vivre-séparé. »  

Cette description peut je crois s’appliquer à bien des champs de la revendication politique et sociale dans les formes qu’elle a prise après la victoire de l’autoproclamé « libéralisme ». L’ubérisation de la société se nourrit de l’envahissement des esprits par l’imaginaire marchand qui nous assigne au tête à tête avec nos caddies, nos frustrations, nos communautés (ou groupuscules), nos adversaires du moment, nos logos partidaires. A chacun sa cause ? Auto-entrepreneurs de l’avenir social ? 

Filons la métaphore.

Mon sentiment est que cette poussière de pôles revendicatifs commence, en se déposant, à « faire sol ». Un sol en fermentation. L’exemple du Woke est de ce point de vue éclairant. Il mobilise, sans toujours éviter les échappées paranoïdes, tous types de victimes des dominations identitaires. Mais le sol est unique et commun. Chaque cause – ses lumières, ses excès – agit sur ce sol comme un ferment. 

La décomposition en moût putride est un des effets de la fermentation. Le vin de Champagne aussi ! La confrontation des idées et des actions portées par le Woke peut déboucher sur du n’importe quoi rhétorique, de l’impasse politique ; mais elle génère aussi, presqu’à notre insu et non sans lien avec les aléas de la décomposition, les exhalaisons d’un esprit, comme on parle de l’esprit de vin. Respirées par le grand nombre, voici que ces effluves contribuent à ouvrir la voie à des dépassements historiques majeurs. Pour une partie conséquente de la jeunesse des quartiers populaires, la racialisation séculaire des humains par le suprématisme blanc commence à s’évaporer. Un « Jaune », ça ne se dit plus. Un Noir, un Blanc ? La charge raciale s’estompe. Il s’agit là d’une modification considérable de l’histoire humaine. Polarisés par cette issue, le pétillement des controverses comme les relents du moût prennent tout leur sens.

1. https://dailleursetdici.news/que-cache-la-croisade-contre-le-wokisme-enquete

2. Problématique définie pour le dossier de mai 2023 de Cerises

3. Je partage les interrogations d’Olivier Roy, mais considère aussi que beaucoup d’actions et de propos pertinents naissent du Woke.

Chantier : identifier les processus de fermentation à l’œuvre, les nommer, renforcer leur capacité à décomposer ce qui doit l’être, ne pas s’effaroucher des âcres humeurs qui en naissent, accompagner et valoriser toute voie de passage à « l’esprit » de dépassement vers de nouveaux univers symboliques communs ? 

Jean-Louis Sagot-Duvauroux

 

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