Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Démocratie mon amour

« La démocratie ce n’est pas la rue, c’est les urnes » c’est ce que disait Manuel Vals en 2016 pendant les manifestations contre la Loi Travail.  Nous avions élu un gouvernement et c’était en notre nom qu’il agissait pour sauver notre système de protection, au besoin contre notre volonté.

Derrière cette phrase assassine et condescendante, on comprend au contraire très bien les dérives de notre démocratie qui en se nommant représentative au 18ème siècle, confisque définitivement le débat et le pouvoir, effaçant le Démos du peuple pour ne faire exister que le Kratos du pouvoir. Et la représentativité devenant l’apanage d’une aristocratie élective non représentative, il ne nous restait que la rue pour choisir notre destin collectif.

Lors des manifestations contre la réforme des retraites à point en 2019, Macron réutilise cette phrase, tronquée de sa seconde partie « La démocratie, ce n’est pas la rue ». On comprenait alors aisément qu’au vue de son résultat électoral, il ne pouvait même plus se targuer des urnes qui ne lui avaient pas donné mandat. Qu’à cela ne tienne, il s’inventerait une mission divine, guidée par la main invisible…des actionnaires. 

La démocratie, déchue de son qualificatif de représentativité, devient au contraire un symbole de la rue, du pavé rebattu, du rapport de force, de la joie militante. Une lutte des classes que les vendeurs du néolibéralisme auraient voulu voir dépassée au profit de la stupide et simpliste méritocratie célébrant les destins personnels et s’incarnant dans la dégueulasse expression du « Quand on veut, on peut » alors qu’il s’agit surtout de l’exact inverse…Quand on peut, on veut. Une lutte des classes qui, depuis #me too, Black lives matter et les différentes libérations de la parole, s’articule enfin avec le sexisme, le racisme, le validisme, la transphobie, et les différents rapports de domination qui se répandent sur la toile et dans la rue. L’intersectionnalité remplace la convergence.

Et la rue redevient un espace démocratique où le peuple fait corps. On s’y retrouve d’abord avec peur et appréhension, le souvenir de la violence contre les gilets jaunes en tête, celle que les quartiers connaissaient depuis longtemps. Puis avec étonnement de se retrouver là ensemble, si nombreux.ses, parmi des visages inconnus. Mais aussi en colère de revivre sans cesse la même séquence depuis 1995, déçu.es d’en être toujours à lutter « contre » sans espoir d’un désir « pour » et parfois même fatalistes… « ça va passer quand même ».

Qu’il est dur pour des corps déjà violentés, maltraités, exploités par un emploi dont l’utilité sociale et écologique et le salaire disent l’état de ce monde, de vivre dans un même moment un espoir de changement et l’assurance de ne pas y parvenir. Que s’est il passé pour que si nombreux.ses dans la rue, nous n’y croyions déjà presque plus ? Pour que nous rêvions plus d’autres mondes possibles ? Quelle bataille avons-nous perdues ? « Nous sommes foutu.es et la Terre aussi » ?

C’est la guerre des récits. Ils performent un monde sans alternative au capitalisme qui ne tient  plus que par la peur, la violence et le mensonge. Réinventer un récit. Écrire notre histoire.

Quand le gouvernement montre du doigt un déficit temporaire des retraites de 12 milliards (sur un budget global de 350) alors que la fraude fiscale est estimée à 80 milliards…cherchez  l’actionnaire. Faisons un geste pour la planète, supprimons les dividendes ! On comprend surtout que cette caisse est au contraire très bien gérée, et que sous la fumée néolibérale existe une utopie déjà là : la sécurité sociale et ses caisses, dont celle des retraites. 

Crée par les salarié.es et gérée par la CGT, la sécurité sociale voit le jour sous l’impulsion du Conseil National de la Résistance. Ambroise Croizat, alors ministre du travail en 1945 réalise un monde enviable, une reprise en main de notre destin collectif.  C’est ce « déjà là » qu’il nous faut tenir, dont il faut révéler la puissance du modèle pour aller plus loin encore et en faire un mot d’ordre de mobilisation.

C’est ce que porte Bernard Friot, économiste et sociologue ainsi que le réseau salariat quand ils nomment au travers du « Salaire à vie », l’enjeu de la réforme des retraites.

Si, pour le capitalisme, la retraite est un salaire différé, mérité après de longues années de travail et de cotisations, ce n’est pas comme ça qu’il fut pensé à sa création. Le geste révolutionnaire de Croizat fut d’en faire un salaire continué, hors de l’emploi, une qualification à la personne jusqu’à la mort.

C’est ce « déjà là » communiste qu’il faut réhabiliter et pousser plus loin en se mobilisant pour étendre le salaire des retraités à tou-te-s et supprimer la condition d’activité, de carrière pour le versement d’un salaire. Car nous sommes les créateur.trices de valeur ! En reprenant le pouvoir sur le travail, en réclamant un salaire à vie lié à notre personne et obtenu à partir de 18 ans, nous pouvons ainsi choisir ce que nous produisons et dans quelles conditions. C’est une réelle rupture écologique.

Et dans ce modèle, le salaire à vie s’accompagne de deux autres droits, la propriété d’usage de l’outil de travail par les salarié.es et la participation aux décisions politiques de tous niveaux. Le retour du Démos, ou quand la rue et les urnes se rencontrent.

Corinne Lepage, éducatrice populaire, membre de Réseau Salariat

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