Samedi matin, soit le jour même où se sont tenues les manifestations de soutien à la résistance ukrainienne, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, répondait aux questions de France Culture.
Que disait-il ?
A la question que lui pose le journaliste sur les mutations de l’armée ukrainienne, il répond d’emblée : il n’y a pas au sens classique d’armée ukrainienne, mais un peuple en armes pour sa libération. L’Etat major a été profondément remanié, ce sont de jeunes chefs qui ont remplacés les anciens cadres. Ceux-ci sont capables d’utiliser sur le plan militaire les technologies du numérique, et infliger des pertes à une armée russe qui ne sait pas ou n’a pas la volonté de les utiliser. Le général Trinquand prend l’exemple tout simple du téléphone portable qui permet de faire des vidéos sur les unités russes, images transmises immédiatement à une unité de commandement permettant de réagir très vite… Ni les lourdeurs conventionnelles des systèmes de l’OTAN d’un côté, ni d’un autre le commandement russe n’a cette souplesse de mouvement. On est en face d’une réalité militaire d’un type nouveau, qui ne répond ni aux canons de l’OTAN, ni aux lourdeurs de l’état-major russe.
J’ajoute : c’est le mouvement d’un peuple qui est aux postes de commandement ! Trinquand souligne de même la résistance importante des unités territoriales. S’il n’en parle pas, nous savons nous le rôle qu’y joue les syndicats indépendants de même que certains courants du mouvement ouvrier, dont les socialistes radicalisés et les libertaires. Il s’agit de défendre localement les infrastructures… un pont, un hôpital, une usine… etc. Il fait un sort au passage au bataillon Azov animé par des individus qui se réclament du nazisme et qui obsède tellement l’extrême gauche française. Il les considère comme une milice privée qui, intégrée aux forces armées, doit se plier aux règles sur lesquelles fonctionne l’armée ukrainienne. Azov c’est donc très peu de choses ! Il dit en fait, à partir d’une compétence militaire fondée sur une analyse des rapports politiques et sociaux, que le peuple ukrainien vaincra et posera la question d’une reconstruction démocratique.
La veille des manifestations qui se sont déployées dans le pays, sous-estimées par Mediapart, à Paris bien sûr mais aussi dans un certain nombre de ville de province, Clémentine Autain publie un entretien dans le Journal du Dimanche. Thème général : « Pour que Poutine abandonne sa guerre en Ukraine ». Elle fait partie du « quarteron » d’opposants « factieux » aux yeux de Mélenchon-Bonaparte et de ce fait exclue de la direction de France Insoumise. Députée de Seine Saint Denis, elle fait partie de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. Elle déclare :
« … imagine-t-on sincèrement un face-à-face diplomatique entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelenski ? C’est à mon sens plutôt du côté d’une régulation globale, d’un règlement opéré par la communauté internationale qu’il faut porter nos efforts. Faire abandonner sa guerre à Poutine, voilà l’objectif. Pour y parvenir, nous devons aider les Ukrainiens à tenir le choc militairement et parallèlement, faire monter la pression internationale. Cela suppose de ne pas nous enferrer, nous enfermer dans une opposition entre la Russie versus l’Occident et d’aller chercher le basculement des pays émergents, dont la pression sur Poutine peut devenir déterminante.
Au point de départ, souvenons-nous : une violation caractérisée du droit international au service d’un projet impérialiste et réactionnaire. Nous n’avons pas voulu la voir venir alors que, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, depuis l’intervention brutale en Syrie, nous aurions dû prendre davantage au sérieux le projet poutinien. »
Regard rétrospectif pour le moins significatif : tant que le groupe Autain, Corbières, Coquerel et même Ruffin, hélas, a fait partie de l’imperium mélenchonien, ils se sont accommodés de l’absence de démocratie dans la France Insoumise et surtout de l’omerta frappant durant les deux campagnes présidentielles et législatives le peuple ukrainien sous les bombes. Prise de position pour aider les ukrainiens à « tenir le choc militairement ». Très bien, on ne peut que s’en féliciter, c’est donc reconnaître pleinement les droits d’un peuple à chasser un envahisseur par la résistance unie de son armée et de son peuple.
Pour le reste, encore un effort reste à faire pour rompre avec la conception mélenchonienne du monde mutipolaire. La solution n’est pas entre la logique des blocs (US, Europe occidentale) et les pays émergents, sur lesquels il conviendrait de s’appuyer pour aider à une solution de paix. La question est celle d’une politique internationaliste, dans la tradition qui avait toujours été celle du mouvement ouvrier et avec laquelle il faut renouer. Elle déclare :
« Si l’enjeu devient une guerre entre l’Occident et la Russie, le pire est devant nous. La pression, les puissances de persuasion pour que Poutine abandonne sont aujourd’hui à chercher en dehors des pays occidentaux. La mauvaise direction, c’est le schéma binaire qui ferme et enferme les positions autant que le jeu diplomatique pourtant si indispensable : d’un côté la démocratie, “le camp du bien”, qui serait incarnée par l’Occident et de l’autre, le reste du monde appréhendé comme un tout sous le prisme de la dictature, du “camp du mal”. »
Les manifestations du samedi 25 février sont l’expression du fait que le mouvement ouvrier cherche à renouer avec l’internationalisme, grâce à une petite avant-garde militante, s’appuyant sur l’unité syndicale, mais qui a le grand mérite d’exister. Certes, les appareils syndicaux ont appelé aux manifestations, mais ils n’ont pas mobilisé. La fourchette relevée par LCI de 5000 à 10 000 manifestants, plus la mobilisation en province, c’est déjà autre chose que les 500 que nous étions en avril 2022 devant l’ambassade de Russie. Ce retour de l’internationalisme s’affirme dans une situation de très forte poussée du prolétariat sur les retraites et contre l’ensemble de la politique du régime haï de Macron. Clémentine Autain est encore loin de la rupture avec les conceptions du chef de France Insoumise sur les questions internationales.
On notera avec intérêt la présence dans le carré de tête de la manifestation parisienne de Raquel Garrido, élue de Saine Saint Denis, faisant partie du « quarteron » de « factieux » exclue de la direction avec son mari, Alexis Corbières, député de Seine Saint Denis et fidèle lieutenant de Mélenchon durant 20 ans, au piquet lui aussi. Certes sa présence à cette manifestation a fait l’objet d’un accord avec la responsable de groupe, Mathilde Panot. C’est ainsi, l’histoire mord la nuque de ces cadres politiques, formés dans la mélenchonnerie. Donc à suivre.
France insoumise, l’armure du commandeur commence t’elle à se fendre ?
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