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Nos enfants sont-ils vraiment des imbéciles ?

Notre amie Alex a un fils. Et, pour lui, elle a lu Sylvie Germain. Pour expier la faute de centaines d’adolescents. Y’aurait-il des raisons à leur colère ?

La rédaction

            J’ai lu Sylvie Germain.

            Comme ça, par curiosité, en attendant les résultats du bac de Français de mon fils, qui, comme tant d’autres, a sué sur Jour de colère il y a quelques semaines. Sans trop de colère, d’ailleurs…

« Tu n’as rien écrit, toi, sur Sylvie Germain ? » Question posée avec les yeux mouillants, inquiète de découvrir – peut-être – que j’avais donné naissance, moi aussi, à l’un de ces rejetons de l’Enfer capables de vouer les écrivains à tous les Diables.

« Non. Mais j’avoue… je suis allé « disliker » son livre. »

Ouf, l’honneur est sauf. Pas de menaces de mort. Mais, prise de remords, me voilà à courir acheter, direct, un Sylvie Germain, n’importe lequel, celui qui dormira sur les rayons. Une modeste obole pour racheter le crime d’un fils.

            Et c’est là que je me suis rendu compte. J’en avais déjà eu un entre les mains, un Sylvie Germain. Magnus, dont il ne me reste, à vrai dire, qu’un dégoût phobique des lumières vertes…

Couronné du Goncourt des lycéens en 2005. Par des élèves exactement du même âge, donc, que ceux qui planchaient cette année. Mais alors… serait-ce vrai ? Nos enfants seraient-ils moins sensibles à la littérature que leurs aînés d’il y a dix-sept ans ? Adeptes de « la médiocrité et la facilité », comme le dit le Figaro ? Des « scuds obtus d’imbéciles à pleurer », dont « la dextérité avec laquelle il(s) vous embelli(ssen)t sur un selfie » n’aurait d’égal que « le trou abyssal dans (leur) culture générale » comme se le demande Catherine Schwaab, le 28 Juin 2022 pour Paris Match…

Magnus, prix Goncourt des Lycéens 2005.

J’ai appris, en quelques années d’enseignement, que la colère d’un enfant est parfois mal dirigée… Nos enfants attaqueraient-ils vraiment une pauvre autrice dans la rue ? Ou y aurait-il d’autres raisons à cette ire maltraitante, mal employée, malheureuse ?

            Le choix du texte, par exemple ? Difficile de montrer qu’on a des connaissances en histoire littéraire sur un auteur contemporain. L’extrait est hors contexte (Sylvie Germain le dit elle-même) et l’analyse – à mon sens, et si on veut éviter la paraphrase sans rester sur le lien avec la nature – se construit non pas sur la présence d’éléments marquants, mais sur un manque par rapport aux techniques classiques du portrait… difficile au niveau du schéma de pensée car il faut avoir acquis les codes, repérer ce qui est absent. ça me rappelle la fac, quand, alors que j’exposais mon analyse d’un extrait de la Cantatrice Chauve, le prof m’a reprise : « Mais enfin, mademoiselle, vous ne voyez pas ?? Il manque Dieu, dans cette scène… » Ah, ben non… pardon, j’avais raté l’absence de Dieu…

            Les élèves ne sont pas des débiles. Beaucoup ont appris des tas de choses cette année. Ont fait de gros efforts. Depuis le nouveau programme, ils planchent surtout sur des œuvres intégrales, au pas de course pour respecter les délais, le nombre de textes à présenter. Il faut aller vite et faire du rendement. Ça laisse peu de place à la confrontation avec des styles variés. La disparition du sujet d’invention, qui était l’exercice le plus accessible aux élèves non littéraires, est un problème aussi. Et la place effarante prise par la dissertation ne laisse plus suffisamment d’espace aux apprentissages techniques nécessaires au commentaire.

            Combien parmi les gens de ma génération se jetaient sur le résumé discussion pour échapper au commentaire et à la dissert ? Combien préfèreraient ensuite le sujet d’invention ? Quelle échappatoire reste-t-il dans ce nouveau bac pour ceux qui ne sont pas de brillants littéraires ?

            Quant à la violence des réactions… Sincèrement… Avez-vous jeté un œil aux articles consacrés aux résultats du bac ? Les commentaires ? Des torrents d’insultes sur la jeunesse, sur l’épreuve « sans aucune valeur », et c’était mieux avant, et patati, et patata…

            Quelle honte d’en avoir ainsi après toute une génération, sans même savoir de quoi est fait l’examen ! Comment voulez-vous que les jeunes réagissent, ayant grandi à l’ombre du mépris, de toute cette littérature pestilentielle des commentaires internet, bercés par les réflexions courtes et paresseuses ? Même Sylvie Germain semble se laisser aller à la généralisation…

            Ne pourrait-on être plus sages que les enfants ?

            Et nous souvenir, nous, éduqués et sérieux, qui avons un bac sans valeur par rapport au certificat d’études, parfois même – O horreur – un bac littéraire ! – nous qui savons orthographier, instruits de grande littérature et de belles idées, que même le grand Victor Hugo a craché sur ses profs (surtout sur ses profs, d’ailleurs), sur ses études en rhétorique qui l’empêchaient de pécho, sur le système scolaire qui brime les esprits plus qu’il ne les éclaire.

Car si les vers sont plus beaux, le ton reste le même…

« Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues!
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l’air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! — Mon sang bout
Rien qu’à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j’étais en rhétorique !
Que d’ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! — gredins ! –»

Pardon à Sylvie Germain, qui récolte le fruit de mauvaises réformes, de coupes budgétaires et d’une époque aigre. Car « Qui t’eût dit, ô » Sylvie Germain,

« Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D’instruments de torture à d’horribles bonshommes »

            Nos jeunes ont eu tort. Ils ont perdu toute mesure. Baignés de « mêmes » qui laissent penser qu’une image peut tout résumer, ironie comprise, et de l’idée que le cynisme est la plus haute forme d’humour, élevés à une fausse conception de la liberté d’expression, ils ont hurlé sur une place publique ce qu’Hugo hurlait dans sa chambre… Ils sont le produit de ce que nous avons élevé.

Mais soyons plus adultes qu’eux…

Et laissons à la littérature le dernier mot !

« A propos d’Horace » in Les Contemplations, 1831, lu par Denis Podalydès.
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