Cet article fait partie d’un dossier que nous consacrons à la pandémie et à ses conséquences, voir les autres éléments de ce dossier URGENCES SANITAIRES, SOCIALES ET POLITIQUES:
- Les profits ou la vie ! (de Sylvie Larue, Henri Mermé, Danielle Montel, Josiane Zarka)
- Élections municipales et coronavirus, de Christian Mahieux
- Pandémie et Mondialisation, de Gus Massiah
- Le capitalocène contre la vie, d’Alain Bertho
- Une urgence : changer de société, de Pierre Zarka
- Le distingo entreprise/société de capitaux : un enjeu de la lutte des classes, de Benoit Borrits
- Le jour d’après : un enjeu politique fondamental, de Makan Rafatdjou
- Guadeloupe, entre Covid 19, colonialité, et situation hospitalière catastrophique, une interview d’Élie Domota
Sans oublier deux articles publiés fin mars :
- “Covid-19 : un virus très politique” de Patrick Silberstein
- “Sauver l’économie capitaliste ou sauver la planète” de Benoit Borrits
Démocratie sanitaire, cette expression apparaît dans la plupart des documents de nos institutions sanitaires, du ministère de la santé aux caisses primaires d’assurance maladie, en passant par les groupements hospitaliers de territoire et bientôt les communautés professionnelles territoriales de santé. Mais les politiques publiques menées ces dernières années ne semblent pas tant viser à améliorer notre santé, collective et individuelle, sociale et environnementale qu’à favoriser des intérêts individuels (minoritaires !) en privatisant et le système de soins et celui de la protection sociale. Pourtant la démocratie sanitaire pourrait être un formidable outil pour améliorer la justice sociale dans le domaine de la santé.
Une étape fondamentale de cette aventure serait de rendre aux intéressés-es ce qui leur appartient : la gestion de l’argent mis dans le pot commun et donc des caisses d’assurance maladie et plus globalement des fonds de la protection sociale. Cela signifierait décentraliser les prises de décisions et donc inverser la gouvernance (du plus près au plus loin et non du plus loin au plus près).
Les décisions prises au ministère de la santé, à la Caisse nationale d’assurance maladie, etc. et déclinées par les institutions étatiques telles les Agences régionales de santé deviendraient exceptionnelles. Des conseils de santé se formeraient sur chaque bassin de vie, composés à 50 % d’usagers-es, 25 % de professionnels-les de santé et 25 % d’élus-es et administratifs-ves. Ces conseils organiseraient les dispositifs de soins et de santé en gérant des enveloppes budgétaires au plus près des besoins de la population. Ils ne seraient pas chargés uniquement d’une gestion technique, financière mais bien de l’identification des besoins de la population et des propositions de réponses à y apporter. Divers champs d’élaboration s’ouvriraient, pouvant remettre en cause les rôles aujourd’hui institués des professionnels-les, en particulier le pouvoir médical, et pouvant également créer de nouveaux rôles, une nouvelle répartition des tâches, des responsabilités, des pouvoirs. Ces conseils enverraient des délégués-es dans des conseils départementaux, régionaux et nationaux, constitués selon les mêmes proportions. Cette idée jetée là à la va-vite n’est pas une solution clé en main. Elle pose en elle-même beaucoup de questions (elle nécessiterait par exemple des mécanismes d’équité entre territoires avec le transfert de certaines ressources d’un territoire à l’autre, le principe égalitaire « chacun-e donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » devant là aussi s’appliquer). Mais le changement de paradigme serait en lui-même une victoire et une force.
En finir avec le privé et renforcer le public est à portée de mains. Nous pourrions commencer par avoir une Sécurité sociale à 100 % pour toutes et tous (cf. le régime d’Alsace-Moselle[1]) et donc la fin des assurances complémentaires. On pourrait même y gagner de l’argent : coût de fonctionnement de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) = 6 % de son budget, versus 25 % pour les complémentaires. Le ticket modérateur (part des soins non prise en charge par l’AMO, qui n’a jamais modéré les dépenses de santé !) et les franchises (50 centimes par boite de médicament, 1euro par consultation, etc.) disparaîtraient de facto, allégeant d’autant le reste à charge des ménages.
Tout cela permettrait de rendre le pouvoir aux premiers-es concernés-es.
Nous aurions alors un véritable service public de santé (signifiant pour les professionnels-les un statut de fonctionnaire publique) avec la fin de la médecine privée et donc des dépassements d’honoraires devenue une évidence. Les moyens financiers récupérés pourraient alors être réinjectés tant dans les hôpitaux et leurs services spécialisés que dans les soins primaires.
Tout cela permettrait de rendre le pouvoir aux premiers-es concernés-es. Les différents niveaux de soins (des soins primaires à l’hôpital en passant par les spécialistes de ville) seraient coordonnés entre eux de façon verticale (du premier vers le second et/ou le troisième) et de façon horizontale, géographique. Le travail collectif entre ces différents niveaux serait facilité par la présence d’espaces de rencontre et de formation conjointes (entre les différents-es professionnels-les).
Les équipes de soins primaires intégreraient nécessairement des travailleurs-ses sociaux-les permettant de faire le lien avec les institutions sociales du territoire. Éducation, social et sanitaire seraient ainsi reconnus comme partie intégrante de la santé.
Ces dynamiques seraient renforcées par des collectifs d’usagers-es, structurés de façon autonome autour de problématiques propres, ayant le pouvoir d’orienter l’organisation des équipes professionnelles les accompagnant. Ainsi, la santé scolaire, au travail, etc., mais aussi (surtout !), celle de toutes les personnes minorisées dans notre société pourrait être mieux prise en compte et accompagnée. L’articulation avec la recherche d’une démocratie réelle dans l’ensemble de la société, permettrait aussi qu’en cas d’urgence sanitaire, des mesures puissent être décidées par les citoyennes et les citoyens, au lieu de devoir subir les atermoiements d’un gouvernement dont les priorités, par ailleurs, ne correspondent pas aux besoins collectifs.
Qui a dit que la démocratie sanitaire, ça ne faisait pas rêver ?
[1] Cordel n° 27 La sécu à 100% ?, c’est possible ! » http://www.outilsdusoin.fr/spip.php?article246
Marcelle Fébreau est une femme blanche trentenaire, médecin généraliste remplaçante travaillant en zone rurale. Elle est membre du Syndicat de la médecine générale (SMG) et du collectif Les Outils du Soin. Elle a rédigé ce texte avec l’aide et le soutien de copines camarades. Il prolonge notamment celui paru dans Les utopiques n°12, Editions Syllepse, janvier 2020.
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