Il y a en France 70.000 avocat-e-s. Dans le mouvement social en cours, ils et elles mettent en évidence un exemple très significatif de l’imposture gouvernementale, et de sa sottise doctrinaire dans l’improvisation de sa réforme. Cette profession, aujourd’hui massivement féminisée et dont beaucoup de membres peinent à tirer des revenus convenables (au point que le barreau de Paris dispose d’une assistante sociale à plein temps…) s’est dotée d’un « régime spécial » de retraites solidaire, efficace, et bénéficiaire, si bien qu’il distribue ses excédents au régime général. Son intégration dans le prétendu « régime universel » aboutirait à doubler le montant de leurs cotisations pour leur servir des retraites sensiblement diminuées pour celles et ceux dont les revenus sont les plus faibles, et sans bénéfice pour le reste de la population. C’est la survie de nombreux cabinets qui est en cause, la possibilité même pour les avocat-e-s d’exercer leur métier. On comprend dès lors leur forte mobilisation contre cette réforme.
Grève massive des audiences, participation en robe aux manifestations de rue, occupation de juridictions, happenings divers… On se rappelle les protestations spectaculaires auxquelles ont donné lieu diverses « rentrées solennelles » des tribunaux et cours d’appel, et ce geste inouï d’avocat-e-s jetant leurs robes devant leur ministre de tutelle. Et ce mouvement ne mobilise pas simplement les avocat-e-s politisé-e-s, « de gauche », comme ceux et celles qui forment le Syndicat des Avocats de France. L’ensemble de la profession se soulève, dans une unanimité jamais vue, en ce incluses ses institutions officielles, des barreaux de tous les départements (dont le puissant barreau de Paris) au Conseil National des Barreaux, en passant par la Conférence des bâtonniers et toutes les organisations professionnelles – qui n’ont pour beaucoup jamais eu la réputation d’être particulièrement contestataire de l’ordre établi. Le régime Macron aura réussi ce petit miracle : dresser contre lui une profession entière qui n’y semblait pas prédestinée.
Car cette attaque contre leurs retraites n’est qu’une étape de plus dans le lent délabrement du système judiciaire dont les avocat-e-s constituent un élément essentiel dans une démocratie, puisque c’est sur elles et eux que repose la défense ainsi bien souvent que le simple accès au droit, et qui porte la charge presque entière de l’aide juridictionnelle pour les plus démuni-e-s. C’est après avoir mis l’institution judiciaire dans son ensemble au bord de la faillite que le gouvernement s’en prend aujourd’hui à la profession d’avocat, au point que Nicole Belloubet réussit le tour de force d’être plus détestée encore par celle-ci que Jean-Michel Blanquer l’est par les enseignant-e-s.
La mobilisation des avocat-e-s est très populaire. Les cortèges de robes noires sont acclamés dans les manifestations. Pour l’avenir de la justice elle-même, une fois que cette bataille sera achevée parce que la victoire sera acquise, c’est d’un excellent augure.
Laurent Levy
Photo : Avocats à Rennes le 9 janvier
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