La guerre commerciale des EU de Trump contre le monde a pris un nouveau tournant le 2 avril par l’ampleur inattendue des droits de douanes annoncés sur les exportations vers les EU : de 11 à 50% s’ajoutant aux droits déjà mis en place. Le reste du monde est taxé de 10%.
Tous les pays sont visés qu’ils soient « alliés » ou « hostiles », européens, américains, africains, océaniens ou asiatiques.
Les Etats-Unis victimes du monde ?
C’est ainsi que Trump présente sa décision :
« Chers compatriotes américains, c’est le jour de la Libération, attendu depuis longtemps. Le 2 avril 2025 restera à jamais dans les mémoires comme le jour de la renaissance de l’industrie américaine, le jour de la reconquête du destin de l’Amérique et le jour où nous avons commencé à rendre l’Amérique à nouveau riche. Nous allons la rendre riche, bien et riche.
Pendant des décennies, notre pays a été pillé, saccagé, violé et spolié par des nations proches ou lointaines, amies ou ennemies…
Ils [les travailleurs] ont assisté avec angoisse au vol de nos emplois par des dirigeants étrangers, au saccage de nos usines par des tricheurs étrangers et à la destruction par des charognards étrangers de notre rêve américain autrefois si beau ».
Démagogue, xénophobe, Trump n’hésite pas à inverser la réalité. Ce sont les EU qui vivent au crochet du monde grâce aux privilèges exorbitants du dollar. La désindustrialisation est une politique des multinationales et de leurs actionnaires – les amis de Trump – pour augmenter leur taux de profit jugé trop faible dans l’industrie.
Prenons l’exemple de L’industrie navale. Ce sont les EU qui ont abandonné leur industrie civile pour se concentrer sur la production de navires militaires. La Chine est passée de 3% du tonnage mondial en 1999 à 53% en 2024 alors que les EU sont tombés à 0,01%. La Chine en profite mais n’est pas à l’origine du choix.
Désormais Washington s’imagine pouvoir inverser la tendance en taxant les bateaux produits en Chine ou battant pavillon chinois ou appartenant à une compagnie ayant des bateaux produits en Chine ! La taxe peut s’élever à 1,5 million de dollars par escale, un hold-up. Les fonds recueillis serviraient à recréer une industrie navale civile aux EU !
Dans le Washington Post, un expert maritime plus lucide déclarait pourtant qu’il faudrait des décennies de soutien du gouvernement pour recréer une industrie navale civile. Dans l’impossibilité de remplacer les navires chinois, imposer des taxes d’escale dans un port ne fera donc qu’augmenter le coût du fret et déstabiliser les chaînes d’approvisionnement.
Le monde change, les problèmes états-uniens demeurent
Pendant des décennies l’impérialisme états-unien a tiré grand profit de la mondialisation et du libre-échange. Maintenant que les pays du Sud global pèsent de plus en plus dans l’économie, la croissance et le commerce mondiaux les EU veulent changer les règles du jeu s’imaginant arrêter ainsi leur déclin, retrouver leur hégémonie et particulièrement faire barrage à la Chine. Un projet voué à l’échec comme le montrent les progrès technologiques de la Chine notamment avec l’épisode DeepSeek.
Plutôt que de s’affronter à leurs sérieux problèmes économiques – déficit public colossal de 36,2 trillions (milliers de milliards) de dollars et en forte croissance d’année en année, déficit commercial d’un trillion de dollars ces dernières années… – les EU ont choisi de les rejeter sur le monde entier quitte à déstabiliser l’économie mondiale.
Il en résulte le franchissement d’un seuil qualitatif inédit. Les « alliés » traditionnels des EU n’ont plus confiance dans leur ancien parrain. Quoiqu’il arrive elle ne sera plus jamais rétablie comme autrefois. Et ce ne sont pas les menaces sur le Groenland, le Panama, le Canada, Gaza qui amélioreront les relations.
Pour faire face à ce changement d’époque les pays cherchent de nouvelles alliances pour diversifier et stabiliser leurs échanges malgré d’éventuelles pressions des EU.
La Chine, le Japon et de Corée du sud discutent d’un éventuel « accord de libre-échange trilatéral complet » pour « créer un environnement commercial prévisible, stabiliser les chaînes d’approvisionnement ».
Les EU s’isolent ce qui n’est pas un signe de force bien au contraire la tendance au déclin s’accentue.
La tentation de diviser pour régner
Le choix fait d’individualiser par pays les droits de douane est un marqueur de la méthode Trump, pas question de respecter les traités ni de mener une négociation globale ou multilatérale.
Chaque pays peut demander à revoir le taux qui lui est appliqué dans le cadre imposé d’une négociation bilatérale. Les dés sont pipés, le rapport de force étant tout à fait inégal. Certains pays ont rapidement annoncé supprimer les droits de douane des exportations des EU espérant ainsi s’attirer les bonnes grâces de Trump et voir réduire le taux qui leur est appliqué.
L’UE a protesté et veut rentrer en négociation avec Washington. La Chine, taxé de 54% (dont les 20% précédemment appliqués) a choisi immédiatement de riposter : 34% sur les exportations des EU en Chine, contrôle des exportations de terres rares moyenne ou lourdes, interdiction d’importer des produits de certaines entreprises agro-alimentaires pour raisons sanitaires. Trump menace d’augmenter les droits de douane sur les produits chinois de 50% supplémentaires pour la punir d’avoir osé riposter. Réponse de la Chine : Nous ne nous laisserons pas intimider, personne ne sortira gagnant de cette guerre mais la Chine continuera à se développer.
Trump voudrait empêcher un regroupement avec la Chine des pays qui ripostent, qui vont de l’avant en diversifiant les échanges et en limitant leur exposition au marché états-unien. Autrement dit en réduisant le poids des EU dans le commerce international. Le contraire de ce que veut Trump.
Reste encore le financement de la colossale dette fédérale. Que fera Trump des 800 Mds de dollars d’obligations détenues par la Chine ? Et que fera la Chine ?
Le boomerang de l’inflation et du risque de récession
Tous les produits importés verront leurs prix augmenter aux EU. L’entreprise importatrice répercutera cette hausse. Les entreprises états-uniennes qui fabriquent éventuellement le même produit en profiteront aussi pour augmenter leurs prix. Ce sont les consommateurs qui en bout de course en feront les frais surtout les classes populaires et la classe moyenne.
En clair les droits de douane vont nourrir l’inflation aux EU. Le contraire de ce qu’avait promis Trump pendant sa campagne électorale contre Biden et Kamala Harris.
Les produits exportés par les EU subiront aussi des droits de douane dans les pays qui auront riposté. Les échanges internationaux, les chaînes d’approvisionnement, seront déstabilisés avec des craintes de récession de plus en plus répandues aux EU surtout mais aussi dans d’autres pays.
Les EU ont une capacité de nuisance que subiront tous les pays à des degrés divers. Le renchérissement des produits exportés vers les EU entrainera une baisse des revenus des pays exportateurs, un recul de la croissance et des emplois. Stellantis va provisoirement fermer des usines au Mexique et au Canada pour une quinzaine et mettre au chômage des travailleurs aux EU. Les marchés financiers sont en forte baisse partout.
La tendance à la baisse de la part de l’industrie manufacturière dans le PIB des EU date des années Reagan. En 1980 elle était de 20,5%, en 1997 (soit avant l’adhésion de la Chine à l’OMC en décembre 2001) elle reculait à 16,1%. Le modèle de l’entreprise sans usine était applaudi.
Concomitamment les services financiers (finance, assurance, immobilier) passaient en 1980 de 15,7% à 18,8% en 1997.
En 2024 l’industrie manufacturière ne représente plus que 10% contre 21,2% pour les services financiers.
La financiarisation de l’économie des EU est une tendance lourde. C’est le capitalisme rentier.
Les causes à l’origine de la désindustrialisation sont toujours là et ne disparaissent pas par la grâce de « l’arme magique » concoctée par Trump.
Comment penser que les droits de douane pourraient à eux seuls obliger le capital privé à inverser cette tendance s’il n’y trouve pas son profit ?
Qui empêchera le capital de s’emparer d’une entreprise pour la vendre au détail ou vider sa trésorerie par des dividendes et rachats d’actions ?
Les moyens nécessaires sont considérables alors que les EU sont déjà en difficulté, affaiblis financièrement avec une dette fédérale qui augmente massivement : 1,6 trillions de dollars l’an dernier et sur un rythme de 2 trillions pour l’année courante.
La réindustrialisation des EU prendrait des décennies. Elle nécessite la reconstruction de toutes les chaînes d’approvisionnement, une intervention massive de l’Etat : dans la formation pour retrouver les travailleurs qualifiés « perdus » ; dans les infrastructures qui se sont dégradées par l’affaiblissement des moyens de l’Etat ; dans la recherche et développement où le capital privé rechigne à s’investir préférant attendre qu’une start-up s’y affirme ; dans le secteur de la santé etc.
Or rien de cela n’est prévu. Au contraire Trump a annoncé que les droits de douane perçus serviront surtout à diminuer les impôts des particuliers et des entreprises. Le Département de l’éducation a été liquidé par Musk. Les services publics ont été livrés au capital financier depuis longtemps. Deux exemples :
- Le montant total des prêts étudiants aux États-Unis a atteint un niveau record pour faire face au coût des études supérieures. La dette étudiante a dépassé les 1,7 trillions de dollars. De nombreux diplômés rencontrent des difficultés à rembourser leurs prêts, en raison de de la difficulté à trouver un emploi bien rémunéré et traînent leur dette pendant des décennies, une manne pour les banques. Pour l’heure il n’est pas question de gratuité de l’enseignement supérieur, ni de l’annulation de la dette.
- Selon le ministre des transports, Sean Duffy, les contrôleurs aériens sont d’une part en sous-effectif et d’autre part s’appuient sur des technologies obsolètes pour empêcher les avions d’entrer en collision. Il manque environ 3500 contrôleurs aériens selon la FAA (Federal Aviation Administration) alors que Elon Musk en licencie 400 personnes. Des dizaines de milliards de dollars sont nécessaires pour moderniser et recruter. Ces graves insuffisances ont coûté la vie à 67 personnes dans le crash entre un hélicoptère et un avion de ligne près de l’aéroport Ronald Reagan. Coïncidence : en 1981 Reagan avait licencié 11000 contrôleurs aériens en grève pour leurs salaires et contre l’insuffisance d’effectif. En 2025 la situation n’a fait qu’empirer.
Le protectionnisme invoqué pour réindustrialiser, qui exerce une formidable pression sur 185 pays, même les plus pauvres, pour qu’ils concèdent des avantages aux EU,( « They have to pay »), quoi qu’en pense Trump, est une voie sans issue.
Le 7 avril 2025
Robert Kisssous, économiste, militant associatif
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