Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Être à la hauteur

Glissement à droite de la société ?
« Glissement » évoque une mécanique.  « La société » est une fiction. Cela donne une vision hors sol, déconnectée de la lutte de classes, désespérante.

L’analyse des années de « compromis » passé par le capitalisme (1945-fin des années 70) montre qu’il n’y a jamais eu de compromis. En 1946, l’accouchement de la Sécurité sociale s’est fait dans un climat insurrectionnel. De Gaulle a raconté dans ses mémoires qu’il avait inclus les communistes dans son gouvernement pour obtenir le désarmement des F.T.P. Les colonies, quant à elles (que l’on pense par exemple aux massacres de Sétif et Guelma) n’ont pas vu passer le compromis. Dès le début des années cinquante et sans discontinuer depuis, les attaques contre la Sécurité sociale et les retraites n’ont jamais cessé. C’est en 1967, pendant l’été, que De Gaulle a signé les ordonnances mettant fin à la gestion de la Sécurité sociale par les travailleurs au travers de leurs organisations syndicales. En 1968, Chirac allait aux négociations de Grenelle avec un revolver dans la poche.

Enfin comment oublier que les Trente « Glorieuses » furent surtout les Trente Pollueuses et que, s’il n’y eut jamais de compromis mais des conquêtes, le grand retournement des années 80 avait débuté dès l’après 68 : mise en place d’une caisse antigrève par le C.N.P.F (devenu le MEDEF depuis) invention du chômage, division et isolement des travailleurs. Ainsi, dès le début des années 70, a été créée (certes très encadrée juridiquement au début) la possibilité pour le patronat de recourir à des travailleurs à temps partiel et à des intérimaires.

Enfin ce début de dissolution des liens collectifs et du sentiment d’appartenance de classe est allé de pair avec le démantèlement des concentrations industrielles (mines, textile, métallurgie, sidérurgie) et le développement de l’habitat individuel (tous propriétaires !) et les débuts du cloisonnement par les médias (diffusion de la télévision, chaîne unique, dès les années 50).

Droitisation par le haut (partis politiques, médias, votes), maintien d’une volonté d’égalité et de justice par les citoyens ?

Nulle contradiction. Le grand retournement sus-évoqué a cumulé désarmement des travailleurs (horaires et salaires individualisés, évaluations individuelles déconnectées des grilles de conventions collectives et soumises à l’arbitraire patronal annuellement renouvelé, recul de l’âge de la retraite, destruction progressive des institutions représentatives du personnel, de la médecine du travail, de l’inspection du travail, des prud’hommes) et armement des employeurs (licenciements sans risques juridiques et financiers, impunité quasi-totale sur le non-respect de ce qu’il reste de droit du travail).

Dans ce contexte, après avoir compensé la diminution de la durée du temps de travail par son intensification, les employeurs sont passés à l’augmentation de la durée du travail (sur la semaine, dans l’année – forfait jours, sur la vie entière) en maintenant l’intensification.

Alors pour prévenir les explosions sociales inévitables, les capitalistes invitent désormais partout les fascistes à table, manière de s’assurer la violence qu’ils estimeront nécessaire, et de détourner la colère vers des boucs-émissaires : les juifs hier, les musulmans aujourd’hui, et toujours les étrangers, les « assistés » et autres « profiteurs » de tout poil.

La droitisation d’en haut n’a pas besoin d’autres éléments d’explication : 10 Millions de grévistes en mai 68, des images de voiture enflammées par des « sauvages » en boucle sur l’unique chaîne de télévision et un mois plus tard l’élection d’une des assemblées nationales les plus réactionnaires de l’histoire.

Offre politique et changement de société
L’offre politique – et syndicale – souffre de deux maux. Le premier est le manque de combattants bien insérés dans le corps social comme le firent les militants du PC jusqu’en dans les années 70. Le deuxième est, en France, la présidentialisation du régime. Les programmes, pour ce qu’il en reste, n’intéressent plus grand monde (« Ils ne tiennent pas leurs promesses »). Caisse de résonance médiatique à l’appui, l’ardente volonté de changement total, jusqu’à la rage (Gilets jaunes), conduit par la déception toujours renouvelée à sortir de « la politique » (« Tous pourris ») ou à s’en remettre à une sauveuse suprême (« On n’a pas essayé »).

Pour autant la lutte « hors système » n’existe pas. Même au temps de MARX, l’affrontement capital-travail ne s’est jamais réduit au face à face entre grands capitalistes et ouvriers industriels. David GRAEBER, dans un article de 2014 écrivait que « les quartiers ouvriers comptaient déjà beaucoup plus de bonnes, de cireurs de chaussures, d’éboueurs, de cuisinières, d’infirmières, de chauffeurs de taxi, d’instituteurs, de prostituées et de marchands à la petite semaine que d’employés des mines de charbon, des usines textiles ou des fonderies ». Travail invisibilisé, notamment celui des femmes, dès qu’il n’apparaît pas comme directement productif de biens.

Au début le soulèvement des Gilets Jaunes l’a montré ; peu de membres de la classe ouvrière organisée, mais tout le peuple travailleur !

C’est que le peuple cherche la sortie.

Le capitalisme a atteint sa date de péremption et bute sur des limites infranchissables (les massacres de masse ne lui offriront qu’un répit) : la limitation des ressources (sol-sous-sol), la limitation des « ressources humaines » (la grande « démission » par la désertion, la maladie et/ou la révolte des travailleurs esclavagisés a commencé), le dérèglement climatique.

Nous avons l’obligation d’être à la hauteur    

Richard Abauzit

Image : ©Photothèque.org

A suivre

Considérons que nous sommes loin d’avoir épuisé le sujet. Nous sommes à la recherche de nouvelles pratiques politiques. Les Gilets Jaunes avaient commencé à explorer d’autres voies que le système délégataire, représentatif, le mouvement s’est arrêté avant d’avoir pu déboucher (à part le référendum d’initiative citoyenne), mais la question de trouver des formes alternatives aux partis reste ouverte. Pour un prochain dossier…

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

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