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Menus plaisirs. Les Troisgros

Frederick Wiseman a planté sa caméra chez les Troigros, une institution de la  gastronomie de luxe « à la française » sur quatre générations. Au générique, le père, Michel, qui règne avec bonhomie sur l’empire, le fils ainé César, qui dirige la cuisine du trois étoiles « Le Bois sans feuille », le second fils Léo officiant à la campagne au « Bois Colombier » La gastronomie reste une affaire masculine même si la fille travaille dans la partie accueil et si la mère, Marie-Pierre, a la main sur le design.

Ce qui frappe d’abord dans ce film-documentaire, c’est l’incroyable beauté des images : campagne verdoyante, espaces luxueux et sobres, le tout baigné dans une lumière apaisante. C’est ensuite le calme même au moment du « coup de feu » en cuisine : pas une voix plus haute que l’autre, pas de bruit de casseroles qui s’entrechoquent, loin de ce qu’on attend. Le ton monte à peine quand on discute d’un nouveau plat ou des ingrédients d’une sauce. Le « chef » (Michel Troisgros) s’agace juste un peu en cuisine sur une affaire de cervelles mal préparées qui vont donner du fil à retordre à la cuisson. Mais pas de cris, juste une séquence pédagogique au milieu des « classiques » de la cuisine dans lesquels il est toujours bon de se replonger. Troisgros confiera, dans une interview à la radio, que c’est la manière de diriger de son fils César qui induit cette ambiance particulière : ferme mais en douceur. En cuisine, incroyablement lumineuse et propre, on coupe, on hache, on émince, on émulsionne, on prépare poisson, viande ou abats, on ajuste les garnitures… en silence ou presque. On expérimente à mots comptés. On se comprend au geste, au regard, plus simple que dans une langue que tout le monde ne parle pas forcément parfaitement car  il y a des cuisiniers étrangers mais nous ne saurons rien des raisons de leur présence. De même, nous ignorerons tout de la hiérarchie en cuisine : qui fait quoi, pour quelles raisons ? En salle, si nous assistons à l’ajustement au cordeau du couvert, aux consignes à propos du harcèlement, nous ne saurons rien des raisons de la sobriété qui confine à la laideur des uniformes de service ni de la division manifestement toujours sexuée du travail (aux femmes, jeunes, le service, aux hommes le vin). Pas de plonge même automatisée, pas plus d ‘épluchage, par contre une séquence de récolte de fleurs dans les champs  qui évoque « La partie de campagne »…

Wiseman filme donc la cuisine en train de se faire mais également les produits qui y concourent. Visite chez les fournisseurs : élevage de bovins ce qui nous vaut une explication détaillée sur la pâture, fabrication du fromage de chèvre, visite de l’affineur de fromages, sans oublier un tour chez le producteur de légumes ;  le tout culminant évidemment dans une cave. La bonne cuisine se fait avec de bons produits, naturels, de qualité… et cela se paie. Pas question d’argent non plus, sauf lors d’une réflexion d’un client ou lorsque Michel Troisgros discute du prix des vins à l’achat : faramineux !!

L’arrière plan social apparaît surtout à travers les clients qui ont droit à la visite en salle du chef. Clientèle argentée, évidemment, mais assez variée : des habitués, des groupes d’amis, le traditionnel repas-cadeau pour une occasion particulière. C’est souvent chaleureux, parfois cocasse. C’est le seul moment où Michel Troisgros avouera sa difficulté à passer totalement la main. Car c’est aussi, et peut-être même surtout, ce qui est l’objet de « Menus-plaisirs » : le travail, l’amour du travail bien fait, la recherche de , la passion du métier et à un moment la nécessité de céder la place. Et c’est ce qui rend également ce film passionnant.

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