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Uruguay : pas une sécheresse mais un saccage

L’Uruguay a connu une grave « crise de l’eau ». Eau « potable » devenue marron, salée, et donc en réalité non potable : les conséquences ont été importantes pour la population. Prolongeant le dossier du précédent numéro, Nara Cladera a interviewé Nathaniel Clavijo, à propos de la crise hydrique dans son pays. Nathaniel est militant syndical et social.

Comment se fait-il qu’un pays avec autant de ressources hydriques, avec un réseau hydraulique spectaculaire se retrouve avec une telle crise de l’eau dans sa capitale et principale ville, Montevideo, et ses alentours ? […] Il y a un problème de fond, en lien avec le modèle de production imposé depuis plus de trois décennies pour satisfaire une politique forestière, agricole, au service du patronat et des actionnaires d’entreprises de cellulose. […] L’Uruguay couvre environ 16 milliards d’hectares, dont 1,5 plantés d’eucalyptus, dédiés exclusivement à la production  de la cellulose pour l’exportation en Europe. Trois usines de cellulose se sont installées, l’une sur la rivière Uruguay, l’autre sur le Rio de la Plata, face à l’Argentine, et une dernière au cœur du pays, sur le Rio Negro.

Chacune de ces usines consomme plusieurs millions de litres d’eau par jour, ce qui équivaut au double de la consommation quotidienne en eau de la population du pays. Si les usines rejettent à la rivière l’eau une fois traitée, celle- ci est contaminée par les produits chimiques nécessaires à la fabrication de la cellulose. Par ailleurs, la plantation de ces arbres absorbe une grande quantité d’eau du sol qui dessèche les nappes souterraines ainsi que les ruisseaux et rivières et contamine l’eau. La culture du soja produit les mêmes effets. Pour ces deux raisons, des territoires entiers sont aujourd’hui à sec […]. Les niveaux de sodium ont doublé, ceux de chlorures sont bien supérieurs aux standards internationaux. Pour que l’eau soit potable la teneur en chlorures doit être inférieure à 200 mg par litre : ici, 400 mg ont été atteints.

[…] Le gouvernement, en pleine crise hydrique donc, a passé un marché avec quatre entreprises privées. […] Les luttes sont venues des quartiers. Pendant quelques semaines des manifestations, des rassemblements, des libérations de péage et blocages de routes ont eu lieu. Des assemblées de quartiers, à Montevideo mais aussi en province, ont élaboré des propositions intéressantes. […] Le gouvernement a misé sur la pluie, qui a fini par tomber, désamorçant ainsi la contestation puisque l’eau potable coule  à nouveau dans les robinets. Sauf que le problème n’est pas la pluie mais bien le modèle économique […]. Lors de ce mouvement, le slogan était « no es sequia es saqueo ». Au saccage de l’eau par l’ensemble du processus nécessaire aux usines de celluloses, ainsi que la culture du soja, va s’ajouter prochainement celui d’un Data center de Google.

Un plébiscite sur  l’eau a eu lieu en 2004 […] La consultation avait validé que la gestion des bassins d’eau soit effectuée par une instance collégiale, réunissant État, organisation des salarié∙es et population. Cette gestion collective n’a jamais été mise en œuvre.

[…] Après des pluies torrentielles au sud du Brésil de fortes chaleurs sont prévues. En Argentine, la rivière Parana était à sec. Il est clair que chez nous, dans le cône Sud, ce modèle productiviste capitaliste est la cause du dérèglement climatique. […] La seule solution, serait  l’arrêt de ce système d’exploitation forestière et de production de soja : cela ne peut venir que d’un mouvement populaire puissant […]. L’épisode que nous venons de connaître est une expression concrète des désastres humains que cause le capitalisme.

Nathaniel Clavijo, Propos recueillis par Nara Cladera

  1. Une version plus longue est disponible dans la revue de l’Union syndicale Solidaires, Les utopiques (n°24, éditions Syllepse, hiver 2024), dont le dossier a pour titre « Syndicalisme et territoires ».
  2. « Ce n’est pas une sécheresse mais un saccage ».
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