Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Intelligence avec l’ennemi… En un demi-siècle, avons-nous tout oublié ?

20 janvier 1978 : Simon Nora et Alain Minc remettent leur rapport au président Giscard, « L’Informatisation de la société » (la Documentation française).

En termes précis, sociaux, économiques, géostratégiques, les conséquences du mariage des ordinateurs, des réseaux et du libéralisme sont au rapport ! Ni gaullisme ni programme commun, au large, dégagez le chemin pour les autoroutes de l’information, le marché libéral gonfle les voiles.

50 ans après, ou presque, tout est accompli, en gros et dans le détail. Aucun effet de surprise, le plan de bataille libéral est précisé, publié. La résistance au libéralisme informatique ? Bah … 

L’emploi ? « Les conséquences d’une informatisation massive sur l’emploi résulte d’un solde. C’est le résultat d’une course de vitesse entre le dégagement de main-d’œuvre liée au gain de productivité, et l’accroissement des débouchés pouvant résulter d’une compétitivité ainsi améliorée. Or, le premier effet est certain, et à court terme. Le second sera conditionnel, et plus long à réaliser. » (Rapport janvier 1978, p 35)

Vrai, l’emploi dégage, mais les gains de productivité … en stand-by.

Réactions de l’époque ? Ben oui, « Les dégâts du progrès », soupire la CFDT en son colloque de juillet 1977. C’est la marche inéluctable en avant, que voulez-vous y faire, quoi … faut bien s’adapter.

La CGT s’en fout, des noces de l’informatique et du libéralisme, à quelques rares exceptions. Non, l’heure est au programme commun, savoir quel est le seuil de nationalisations qui estampillera du label rouge la vraie lecture dudit programme partagé par le PCF, le PS et … les radicaux de gauche (Aa ah, Robert Fabre).

Printemps 2023 : ChatGPT émerveille la galerie. Pour se laisser berner par l’intelligence artificielle, consentirons-nous à éradiquer la mémoire collective ?

1 Langage

Le bastringue numérique, comme le cirque Bouglione (ou Zavatta), est un sinistre capitalisme pourtant toujours renouvelé. Écoutez Nora et Minc, janvier 1978 : 

« Que deviendra l’écriture traditionnelle, alors qu’une langue informatique, plus frustre, mais suffisante pour exprimer l’essentiel des messages de la vie quotidienne, s’offrira à chacun ? Or, le langage traduit et génère un mode d’organisation : y toucher c’est faire vibrer la société elle-même. Il produit et reproduit en effet la hiérarchie sociale : le parler des classes populaires est sans doute aujourd’hui plus éloigné que celui des couches dominantes que ne le sont leurs modes de vie respectifs. » (Rapport, p.114)

2 Libéralisme informatique et dépassement du marxisme :

« L’analyse marxiste reconnaît les conflits, mais elle rattache leur mouvement aux seuls antagonismes de deux classes organisées par les rapports de production. Née des affres de l’accumulation primitive du capital, elle repose sur une vision simpliste, englobante et rigide des rapports de pouvoir, incapable d’intégrer le foisonnement des sociétés modernes. Il n’est pas étonnant que l’avènement de la société sans classe soit la fin d’une histoire à laquelle doit conduire, de son seul fait, l’appropriation collective des moyens de production, c’est une vision au moins aussi mystifiante que la société post-industrielle.

La société d’information échappe à ces analyses, à ces prévisions. Débordant le monde de la production, elle façonne les besoins nouveaux en fonction de son projet de ses modes de régulation, de son modèle culturel. » (Rapport, page 120)

Giscard, Nora et Minc ont décliné en français le projet informatique et de libéralisme en tant que programme politique. Un demi-siècle plus tard, admettrons-nous encore que le « numérique » existe indépendamment du darwinisme social à l’œuvre dès le grand retournement des années 70 ?

Au fait, où est notre classe ?

Jean Gersin 

Cet article fait partie du dossier :

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