Aux enjeux à la fois locaux, régionaux et internationaux, la crise qui sévit en Ukraine crispe l’attention sur le danger de guerre qu’elle charrie dans le temps court. Trancher le nœud gordien de cette confrontation majeure et envisager une sortie de crise implique donc de tenir compte à la fois de ces dimensions spatiales et temporelles.
Sur l’Ukraine proprement dite l’accent est mis sur le Donbass où, suite à une levée de boucliers contre la révolution de Maidan – un désaveu cinglant pour le Kremlin qui est intervenu militairement de manière déguisée dans ces régions – se sont installées, aidées par la Russie, deux républiques autoproclamées de Luhansk et de Donestk. D’où depuis un contexte de guerre entre loyalistes et séparatistes. Toute solution de la question, sous réserve d’accord avec la Russie, ne pourra donc faire l’économie d’une réponse à cette situation. Acceptation de la sécession ? Adoption d’un cadre fédéral ?
On le voit, pour intérieur qu’il soit, ce niveau d’intelligibilité de la crise implique la Russie qui se pose en protectrice des russophones qui, dans le Donbass, risquent, dit-elle, un « génocide » (sic). Elle a d’ailleurs distribué dans ces régions plus d’un million de passeports. Pourrait-elle cesser d’intervenir ? Difficile à envisager ! D’autant plus qu’elle apparaît comme un acteur incontournable pour deux autres raisons. Poutine, qui n’a jamais accepté l’éclatement de l’URSS (n’a-t-il pas dit qu’il s’agissait de « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier »), conteste l’existence même d’un peuple ukrainien distinct du peuple russe, un peuple à part entière et ayant le droit de disposer de lui-même. Voudrait-il en faire un état inféodé comme la Biélorussie ? Serait-il à l’inverse à même d’accepter ce fait national ? On peut en douter. Mais ce serait une façon de sortir de la crise.
Il y a cependant probablement plus ! Le fait que l’Ukraine soit une démocratie, certes loin d’être aboutie (voir entre autres le rôle des oligarques, des forces d’extrême-droite, la corruption etc.), n’est-ce pas une épine dans le pied d’un régime autocratique ? Mais l’acceptation d’une démocratie à sa porte, ne suppose-t-elle pas que la Russie devienne elle-même un régime démocratique ? La démocratie serait donc l’une des clés de la situation.
La crise en Ukraine, d’après les objectifs avoués de Poutine, a aussi des ressorts internationaux. L’avancée de l’OTAN jusqu’à ses frontières fait cruellement ressentir le recul depuis la disparition du bloc de l’Est et l’éclatement de l’URSS. Que l’Ukraine aspire à y entrer c’est inacceptable pour Moscou, d’où cette revendication de garanties juridiques données par l’Occident par-dessus Kiev, au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans l’immédiat une désescalade pourrait se faire en acceptant de part et d’autre un retrait progressif. Mais sur le fond, une sortie durable de la crise supposerait que disparaissent les peurs réciproques, celle de la Russie craignant l’OTAN et celles des peuples de la région redoutant la Russie, et que se constitue un système continental de sécurité incluant la Russie.
Sortir de la crise, cela impliquerait deux conditions incontournables, mais dont on a peine à croire qu’elles pourraient se réaliser à court terme, la dissolution de l’OTAN qui depuis la disparition des « blocs de l’Est » n’a plus aucune raison d’être et l’avènement d’une démocratie en Russie. Autant dire que ce n’est sans doute pas pour demain.
Jean Paul Bruckert et Henri Mermé
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