Prologue
Les personnels hospitaliers exigent les moyens humains et financiers pour que l’hôpital public réponde aux besoins de santé. Ils dénoncent la gestion managériale, la souffrance au travail et la dégradation des soins. Les urgences et les hôpitaux psychiatriques sont au bord de l’implosion. La mobilisation grandit. Mais le gouvernement, bien que sur la défensive, ne répond pas pour autant aux revendications. Une des causes principales de la dégradation de nos systèmes de soins et de protection sociale vient du fait que depuis 20 ans les gouvernements successifs ont détourné l’argent du service public de santé et de sécurité sociale en fermant des hôpitaux et maternités, en supprimant des dizaines de milliers de lits d’hospitalisation, de postes de soignants et en exonérant les actionnaires des cotisations à la sécurité sociale. Mais il y a un autre aspect, celui d’une médecine tournée vers la réparation et insuffisamment vers la prévention. Plus généralement Il faut ouvrir la réflexion sur une autre conception de la santé qui ne se réduise pas à l’absence de maladie ou à la médecine mais permette à chacun d’agir sur soi et sur son environnement. (dans ce dossier, lire aussi La santé tuée par la finance, De l’arrêté municipal à la loi, Sécurité sociale, les moyens sont là)
Table ronde
- Sylvie Faye Pastor, médecin généraliste, installée en zone rurale depuis 28 ans
- Julie Ferrua infirmière, Sud Santé Sociaux
- Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, CGT
- Patrick Silberstein, médecin généraliste de 1977 à 2015
Les personnels peuvent-ils reprendre la main sur leur travail? Où trouver les moyens financiers ? Ne pourrions-nous pas développer des initiatives ayant pour objectif de trouver l’argent nécessaire pour financer les besoins ?
Christophe Prudhomme
Le mouvement des EHPAD début 2018, puis celui des urgences qui s’étend actuellement à l’ensemble de l’hôpital ont mis largement en avant la question des conditions de travail, de leur dégradation et de la perte de sens justement de son propre travail. En effet, la logique de l’hôpital entreprise productrice de soins, gérée selon les techniques du lean management ou travail à flux tendu a déstructuré les collectifs de travail. La tarification à l’activité, sélectionnant les patients rentables et survalorisant l’ambulatoire, a été l’outil de mise en œuvre de cette logique.
Les mots ont leur importance et le passage de l’appellation de direction du personnel à celle de direction des ressources humaines prend tout son sens. Les agents ne sont plus des personnes mais des « ressources » pour améliorer la productivité que les gestionnaires mettent dans des cases sur des tableaux Excel. Le summum dans ce domaine est la nouvelle organisation du temps de travail imposé dans le plus grand hôpital de France qu’est l’Assistance Publique -Hôpitaux de Paris. Le directeur général, Martin Hirsch, a en effet imposé ce qu’on appelle la « grande équipe » soi-disant dans un souci d’équité contre l’avis de l’ensemble des syndicats, hormis la CFDT qui représente à peine 15 % des salariés dans cet établissement. Cela consiste à ne plus avoir d’horaires fixes mais à être affecté sur une des équipes (matin, après-midi, nuit) d’un jour à l’autre en fonction des besoins des services. Auparavant, les personnels pouvaient gérer leurs contraintes horaires sur l’ensemble de l’année en connaissant précisément leurs horaires de travail, ce qui est particulièrement important quand on est jeune et qu’on a des enfants, ce qui est le cas dans les métiers de la santé, par ailleurs très féminisés. Nous sommes loin en fait du principe d’équité mis en avant par Martin Hirsch qui met constamment en avant sa pseudo-fibre sociale issue de son passage à la direction d’Emmaüs. L’objectif dévoilé dans une interview au journal Les Échos était clair, il s’agissait de faire 150 millions d’économies en limitant le recours à des équipes de remplacement ou à l’intérim en rappelant les personnels chez eux pour effectuer les remplacements au pied levé. Les conséquences de cette décision sont catastrophiques pour les agents avec une explosion des arrêts de maladie.
La question centrale est celle des fameuses exonérations de cotisations sociales
La question qui se pose est donc bien celles des effectifs, donc des moyens pour former et embaucher des personnels. L’enjeu est de desserrer les contraintes imposées par les lois de finances de la sécurité sociale qui alignent des budgets d’austérité depuis maintenant plus de 20 ans. Pour cela la CGT met en avant une proposition très simple à effet immédiat qui est de supprimer un impôt prélevé sur l’hôpital qui s’appelle la taxe sur les salaires et dont le montant dépasse 4 milliards d’euros. Mais la question centrale est celle des fameuses exonérations de cotisations sociales octroyées aux entreprises qui se montent aujourd’hui à plus de 50 milliards d’euros et qui, depuis l’arrivée au pouvoir d’E. Macron, ne sont plus compensées intégralement par L’État. Il faut donc en finir avec une politique de l’emploi s’appuyant sur le fameux « allègement des charges des entreprises » et que la Sécurité sociale encaisse l’ensemble des cotisations qui lui sont dues.
Sylvie Faye-Pastor
Depuis 20 ans, les politiques de santé ont priorisé les équilibres budgétaires au détriment du soin aux usagers. Depuis 2004, la tarification à l’acte dans les hôpitaux a entraîné le fait que les ressources financières des hôpitaux se sont mises à dépendre du nombre d’actes produits. Le virage vers la chirurgie ambulatoire (plus de 50% des actes chirurgicaux actuellement), l’encouragement à l’hospitalisation à domicile vont dans le même sens. S’il existe bien des raisons scientifiques et médicales à ces mutations, elles ne sont pas principales.
Comme l’indique Christophe, l’organisation du travail des soignants a été modifiée dans le sens de la rentabilité du personnel et de la maximisation de son exploitation. Le passage généralisé au travail en 12h, la polyvalence, les sous-effectifs, génèrent pour le personnel stress, anxiété, maladies et arrêts de travail qui retentissent évidement sur les soins des patients hospitalisés.
La crise de l’hôpital public cristallise la dégradation de toute la chaîne de la santé dans le pays. Pourquoi il y a une attente de plusieurs heures dans les services d’urgence ? Parce qu’il y a moins de possibilités d’accès aux soins primaires en amont. Moins de généralistes.
Était-il si compliqué de calculer il y 10 ans, le nombre de généralistes nécessaires actuellement, en fonction du vieillissement de la population et de la féminisation de la profession ?
La dégradation des conditions de vie des patients en EHPAD, l’augmentation des actes de chirurgie ambulatoire est aussi un motif de retour via les urgences à l’hôpital. Or on sait que l’attente aux urgences augmente la mortalité.
Il s’agit bien ici de politiques publiques, mises en place par des acteurs informés des conséquences à terme de ces processus. Les personnels soignants et la population le savent. Le rejet des personnels politiques et des partis est une des conséquences de cette prise de conscience.
On nous rebat les oreilles depuis des dizaines d’années de l’impossibilité de trouver des ressources nécessaires pour les politiques publiques. Nous ne sommes pas obligés d’y croire.
Sans parler des homards, faut-il évoquer les 66 milliards d’exonération des cotisations sociales, la non compensation intégrale par l’État de ces exonérations ? Ou bien les 57 milliards de profit que les entreprises du CAC 40 ont versé à leurs actionnaires en 2019 ? Ou les 100 milliards d’évasion fiscale ?
Des actions dans le sens de la mobilisation de ces ressources sont donc à poursuivre.
Julie Ferrua
Infirmière dans un grand CHU de France, je ne peux que confirmer les propos de Sylvie et Christophe sur les conditions de travail dégradées à l’hôpital public, polyvalence, sous-effectifs, passage généralisé au travail en 12h, tout cela génèrent pour le personnel une perte de sens, du stress, anxiété, maladies et arrêts de travail qui retentissent évidement sur les soins des patients(es) hospitalisés(es).
Je vais plutôt revenir sur la seconde partie de votre question, sur les moyens financiers.
L’expression « trou de la Sécu » est une sorte d’« obstacle verbal » qui « pousse à une pensée autonome » et tend à fournir « une fausse explication à l’aide d’un mot explicatif ». Elle invite à penser les finances de la Sécurité sociale sur le modèle du budget d’un ménage. Hors le trou de la sécu n’est qu’une illusion parce que la Sécurité Sociale n’est ni une société, ni une entreprise, mais un organisme paritaire, soumis à des règles comptables, inapplicables en entreprises, tout comme les règles comptables d’un organisme paritaire ne peuvent être comparées aux règles comptables entrepreneuriales.
L’hôpital n’est pas une entreprise, la santé n’est pas une marchandise.
Si toutes les exonérations de cotisations patronales étaient compensées par l’État, si l’intégralité des taxes tabacs, alcool, industrie polluante était reversée à la Sécurité Sociale comme cela le devrait, elle serait excédentaire et quand bien même elle ne le serait pas, je rebondis sur les propos de Christophe : l’hôpital n’est pas une entreprise, la santé n’est pas une marchandise.
Les réformes des gouvernements successifs ont fabriqué une situation ambiguë, complexe, sur laquelle se sont engouffrés les ultra-libéraux et le patronat en tête, pour dire Stop à la Sécurité Sociale et bienvenue à la privatisation ! La guerre menée par le patronat contre la Sécurité Sociale ne s’est jamais démentie, le patronat n’a jamais déposé les armes contre la Sécurité Sociale, bien au contraire, il s’est raffermi, l’UE et Maastricht leur offrant plus que jamais, l’occasion de reprendre leur guerre de tranchée et leur revanche.
Plutôt que de développer des initiatives ayant pour objectif de trouver l’argent nécessaire pour financer les besoins, il faudrait d’abord récupérer tout l’argent que le patronat et l’État volent à la sécurité sociale chaque année.
Patrick Silberstein
L’actualité sur le sujet est riche, dominée par la catastrophe de Rouen, la crise des urgences – qui est au cœur de la situation de l’hôpital public –, l’affaire du Médiator du laboratoire Servier – qui est au cœur de la domination des trusts pharmaceutiques sur la politique de santé. Les dégâts occasionnés par les politiques libérales sont connus. De même que les exigences immédiates. Ayant été dans les années 70 parmi les rédacteurs de la revue Fracture, dont le sous-titre parlait de lui-même « Santé, critique-pratique, autogestion », j’ai pensé qu’il ne serait pas inutile de me replonger dans celle-ci pour en exhumer quelques idées pour cette table ronde. Au-delà du temps qui a passé et des situations différentes à tous points de vue, on y trouve des propositions alternatives et, bien plus que des propositions, des pratiques et des mises en œuvre – en rupture avec l’ordre des choses qui fait de la santé une marchandise.
Faut-il dénoncer les politiques des gouvernements successifs ? Faut-il dénoncer le laxisme néolibéral ? Faut-il dénoncer l’argent-roi dans un secteur qui devrait échapper à son emprise? Faut-il réclamer plus de moyens ? Faut-il monétiser le risque en ponctionnant les bénéfices des groupes pharmaceutiques, des fabricants de matériel médical, des assurances? Oui, évidemment, mais est-ce suffisant quand on prétend vouloir changer le monde? Il faut aussi et en même temps, me semble-t-il, s’appuyer sur les luttes en cours pour formuler – ou plutôt reformuler – certaines des problématiques alternatives oubliées, négligées, voire volontairement enterrées, qui ont pu voir le jour en d’autres temps et en d’autres lieux et qui éclairent un autre possible que le capitalisme.
Les personnels peuvent-ils reprendre la main? La réponse est « oui ». Évidemment. Il me revient à ce propos en mémoire l’action des travailleurs de la Montecatini en Italie qui avaient imposé leurs propres normes de sécurité et élaboré leurs propres outils de mesure et de gestion. C’était même devenu une orientation et une pratique alliant mouvement syndical et mouvements citoyens.
Les soignants veulent bien faire leur travail et nous voulons être bien soignés, comment construire des solidarités entre personnels et usagers? Si la santé ne se limite pas aux soins et que d’autres enjeux rejoignent une politique de santé, n’y a -t-il pas de nouvelles convergences à penser ?
Sylvie Faye Pastor
Par la prise de conscience puis le refus ferme des uns et des autres d’un système de santé volontairement détérioré par les conditions économiques mises en place par les dominants. La domination capitaliste au profit d’un petit nombre de privilégiés, qui dans sa version du XXIème siècle ne fait plus de place au compromis, conduit à la dégradation des conditions de vie et à des pertes de chance face aux enjeux de santé.
L’expertise des patients et des soignants dans une zone géographique donnée devrait devenir une boussole des politiques de santé.
La solidarité entre soignants et usagers doit exister car une des tactiques des dominants est de rejeter sur chaque individu la responsabilité de ses conditions de vie et de mort.
La solidarité doit exister aussi entre les soignants qui sont opposés par le gouvernement les uns aux autres dans la responsabilité de la crise sanitaire actuelle. Le gouvernement parle de manque d’organisation. Les soignants devraient affirmer tout au long de la chaîne des soins, qu’il s’agit en priorité d’un manque de moyens délibérément organisé.
L’expertise des patients et des soignants dans une zone géographique donnée devrait devenir une boussole des politiques de santé. Il faut aussi relativiser les avis d’experts souvent orientés qui nous ont conduits à la situation actuelle.
Julie Ferrua
Ces 3 dernières années plusieurs mouvements de soignants(es) en colère ont vu le jour : Hôpitaux en lutte contre l’austérité, mouvement des EHPAD début 2018, suivit par celui du Printemps de la Psy la même année et depuis le printemps dernier celui des services d’urgence qui est en passe d’élargissement à tous les services.
La grève, déclenchée dans les services d’urgence en mars, a non seulement réveillé les consciences, mais elle a aussi redonné l’espoir aux soignants(tes) pour améliorer leur condition de travail, revaloriser leur salaire et retrouver l’essence de leur métier. Cette mobilisation secoue profondément le monde hospitalier en portant très haut ce que tous(tes) pensaient tout bas : des effectifs, des lits, du salaire… Les médecins les ont rejoint : d’abord l’AMUF ensuite à travers un appel qui recueille aujourd’hui plus de 8000 signatures, médecins chefs de service, PUPH, praticiens hospitaliers, attachés, mais aussi cadres de santé, infirmiers et infirmiers spécialisés, internes et étudiants en médecine…
Si les soignants(es) ont toujours un soutien inconditionnel de la population, celle-ci se mobilise peu lors des manifestations, sauf lors de manifestations pour sauver les hôpitaux et maternités de proximité. Aujourd’hui les « usagers(es), » dans le très médiatico-people « appel des 108, » appellent à rejoindre le mouvement mais aussi leurs représentants(es) aux conseils de surveillance de nos établissements… Le mot d’ordre de tout ce petit monde est de sauver l’hôpital public mais aussi les établissements du social et médico-social de mission de service public en leur donnant les moyens financiers qui leur permettent notamment d’embaucher, de mieux rémunérer ces agents, d’ouvrir et de ré ouvrir des lits.
Dans le contexte, il semble que le temps est venu de revenir au terrain. Les constats sont partagés, les perspectives plus ou moins, l’enjeu est à l’établissement du rapport de force.
Il ne s’agit pas de « solidarité », mais d’intérêts communs.
Il est aussi d’autres convergences qu’il convient de construire :
- avec le mouvement féministe en plein essor qui revendique un service de santé public et gratuit sur tout le territoire : quand des hôpitaux de proximité ferment, ce sont des centres d’IVG qui ferment aussi, quand la politique est au tout ambulatoire, ce sont les femmes qui, la plupart du temps, sont obligées de poser des RTT pour s’occuper de leur proche
- avec les luttes pour l’environnement et le climat
- avec toutes les luttes contre la précarité.
Patrick Silberstein
Bonne question, mais il ne s’agit pas, à mon sens, de « solidarité », mais d’intérêts communs et donc d’alliance entre agents du service public et « usagers) ». Je rejoints Sylvie à propos de l’expertise des patients et des soignants. En effet, qui est plus à même de déterminer les besoins de soins de proximité que les personnels d’un site hospitalier, les professionnels(es) de santé et les résidents(es) d’une zone géographique donnée? Qui est plus à même de déterminer les besoins et les zones concernées et de planifier la distribution des ressources qu’une commission reposant sur des structures de ce type ? On appelait cela autrefois planification et autogestion. C’est cela qu’il faut politiquement formuler dans ce formidable révélateur qu’est la crise des urgences. Ce faisant, en demandant à Madame Buzyn les ressources supplémentaires, on pourrait lui indiquer de les prélever sur les profits des industriels de la santé. On montrerait ainsi l’incurie du gouvernement et de l’État-patron en formulant un projet d’alternatives. Il y a de nombreux précédents sur lesquels s’appuyer: les centres de santé municipaux tels qu’ils étaient conçus à la Libération, le National Health Service britannique avant sa liquidation, les unités sanitaires de base du Québec et d’Italie des années 1970, les tentatives élaborées par les médecins du Syndicat de la médecine générale après mai 1981 et abandonnées à leur sort par la gauche de gouvernement, etc.
Comme il est malgré tout assez difficile d’avoir une politique de santé sans médecin, une politique alternative devrait prendre à bras le corps quelques questions:
1) la médecine ambulatoire qui peine à répondre aux besoins est basée sur le paiement à l’acte – d’ ailleurs mis en cause dès 1967 par le ministre de la santé du général de Gaulle et de plus en plus écorné, quoi qu’on en dise – alors que le financement de la santé est socialisé;
2) les médecins – notamment les jeunes généralistes, largement féminisées, cherchent à résoudre l’équation impossible dans le libéralisme médical : « revenus, conditions d’exercice et de travail, formation professionnelle continue indépendante, temps libre »… Il faut répondre à cela.
Christophe Prudhomme
Les soignants(es) savent bien que leurs grèves ne sont que des effets d’annonce visant à obtenir le soutien de la population afin d’organiser la pression sur le gouvernement pour faire avancer leurs revendications.
Depuis des années, des convergences ont montré leur efficacité, notamment avec les luttes menées en commun avec la Coordination des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité.
Les personnels, avec leurs syndicats, ont bien compris que les luttes qu’ils menaient, dépassaient largement les portes de l’hôpital et posaient la question de l’aménagement du territoire, donc de la présence des services publics en proximité dans ces territoires. Cette approche est également essentielle en ce qui concerne la médecine de ville. En effet comment attirer des médecins dans un territoire quand il n’y a plus de train, d’école, de poste et d’hôpital !
Il est intéressant de noter que la convergence s’est déjà faite en dehors des établissements entre le personnel hospitalier et les pompiers, notamment lors de la journée d’action du 15 octobre. Les deux services publics les plus appréciés des Français sont aujourd’hui en lutte pour obtenir des moyens pour assurer leurs missions et la reconnaissance de leur engagement dans le cadre du service public, 24 h sur 24 et 365 jours par an.
De la conception des soins, à un nouveau projet de société, quels cheminements? Faut-il demander aux « politiques » de prendre le relais ou faut-il considérer que les mobilisations pourraient devenir « puissance politique » ? Comment ?
Sylvie Faye-Pastor
L’état de santé d’une population est dépendant de son environnement: conditions de travail, nombre, qualité et accessibilité des services publics, alimentation, exposition à des facteurs de pollution etc…
Elle est centrale dans un projet de société. S’il existait une protection sociale permettant aux gens de faire face aux aléas de la vie sans difficultés, des conditions de travail améliorées (baisse du temps de travail) permettant une activité citoyenne et politique , un système réellement démocratique permettant des discussions et des choix concernant l’orientation de la société, les convergences sur les enjeux de santé seraient plus faciles.
A noter que les mouvements sociaux de ces dernières années (retraites, femmes, climat…) même s’ils sont thématiques portent des visions de projets de société.
Passer le relais aux politiques nous a conduit dans la situation sanitaire actuelle.
L’agence Santé publique France a rendu publique en septembre une étude réalisée entre 2014 et 2016 sur 1.100 enfants et 2.500 adultes mettant en évidence la présence de perturbateurs endocriniens chez tous les sujets et plus particulièrement chez les enfants. Nous n’en sommes plus au stade de la prévention. Toute la population est contaminée et les politiques publiques de santé devront en tenir compte à l’avenir.
Il faut que les mobilisations deviennent « puissance politique. » Passer le relais aux politiques nous a conduit dans la situation sanitaire actuelle. Le rôle des politiques devrait être de permettre que la population puisse démocratiquement choisir ses conditions de vie.
En tout cas la pression sur les politiques, élus, responsables d’ARS, de caisses de sécurité sociale devrait être augmentée et organisée. Les responsabilités sont au niveau des décisions politiques prises qui orientent le système de santé vers la pénurie et au niveau de ceux qui en assurent rigoureusement la mise en œuvre et non pas au niveau des soignants(es).
Christophe Prudhomme
Dans le contexte de conflits qui s’étalent sur plusieurs mois, les discussions s’enchaînent entre les salariés. Au-delà des revendications immédiates et souvent catégorielles, on glisse rapidement sur la recherche des causes de cette situation et sur les choix politiques des gens qui nous gouvernent. Choix politiques en termes de budget, donc de répartition des richesses. Sans le savoir, très rapidement les salariés arrivent sur le terrain politique au sens premier du terme, c’est-à-dire l’organisation de la vie dans la cité.
Très rapidement se pose la question du rêve ou du possible. Il s’agit alors d’apporter les arguments, dans le cadre d’une véritable éducation populaire, pour ouvrir le débat sur le fait que le champ des possibles est aujourd’hui complètement ouvert et qu’il dépend de la mobilisation citoyenne, notamment des premiers concernés, les salariés dans leur domaine d’activité.
Avec notre engagement l’avenir nous appartient.
Les valeurs humanistes qui fondent la médecine nous aident pour avancer dans le débat. Quelles sont en effet les valeurs sur lesquelles il faut s’appuyer pour faire évoluer notre société? L’individualisme forcené des libéraux, tenants du libre marché ou les valeurs collectives du vivre ensemble et de la solidarité.
A nous de rendre possible ce qui aujourd’hui semble inatteignable. Faire de la politique, c’est aussi montrer qu’un autre monde est possible avec cette belle formule qui dit qu’avec notre engagement l’avenir nous appartient.
Patrick Silberstein
« Faut-il demander aux politiques de prendre le relais ? » Oui. Mais ça dépend de ce qu’on attend d’eux. La « puissance politique », ce sont les mobilisations. Il faut donc demander aux élus de formuler les exigences des mobilisations en termes de politique de transformation et de favoriser tant leur expression que l’auto-organisation. Sinon, au mieux ils demanderont des « sous », au pire, ils parleront à la place du mouvement populaire au nom de leur conception du « bien commun ».
La planification et l’autogestion sont là aussi des démarches stratégiques.
Bien entendu, une politique ne santé ne se réduit pas à la distribution des soins. Mais peut-on se contenter de ressasser la sempiternelle formule de l’OMS, comme le font les « politiques », avant les échéances électorales ? Une fois encore, ce sont des déclarations qui n’engagent que celles et ceux qui y croient. Comment élaborer une politique de santé ? La planification et l’autogestion sont là aussi des démarches stratégiques qui permettent de mettre en œuvre une critique pratique de la réalité capitaliste en matière de santé et de mettre en avant des axes de réponse: des commissions réunissant experts(es)s indépendants(es)s du pouvoir et des trusts, professionnels(les) de santé, usagers(es), représentants(es) des salarié(es), représentants(es) élus(es) de la Sécurité sociale, salariés(es) des PMI, délégués(es) de CHSCT, parents(es) d’élèves, etc. permettraient de définir des « politiques de santé adaptées aux populations concernées.
Pour en revenir aux « politiques », pourquoi ne remettent-ils pas sur la place publique les élections démocratiques à la Sécurité sociale (dont le seul et unique épisode date de… 1983? Pourquoi ne demandent-ils pas l’exclusion du patronat des conseils d’administration de la Sécu? L’argumentaire est pourtant simple: la part dite patronale versée à la Sécu, faut-il le rappeler, n’étant que du salaire différé, les patrons n’y ont pas leur place. Pourquoi « nos » élus ne pipent-ils pas mot sur un « office » du médicament qui, à défaut de s’attaquer à la propriété privée des trusts, pourrait au moins encadrer et décider des choix de production?
La révolution démocratique que nous voulons construire et promouvoir trouverait au travers de telles réformes révolutionnaires des points d’appui parfaitement explicites pour celles et ceux qui se mobilisent pour la défense des hôpitaux de proximité, pour des services d’urgence adaptés, contre les déserts médicaux, contre les pollutions et les catastrophes industrielles… ou pour le RIC.
Julie Ferrua
Si l’on veut réfléchir à de véritables réformes progressistes de notre système de santé, il est essentiel d’inclure dans la réflexion les politiques médico-sociales et sociales qui sont aujourd’hui atomisées entre une multitude de responsabilités et de financements.
Des contre-réformes successives et des luttes qui nous y ont opposé, nous devons tirer les enseignements qui permettent de moderniser le projet de société dessiné par la Sécurité Sociale de 1945 et le grand processus de construction de notre système de santé dans les années 60 et 70. L’élaboration de la notion d’Hôpital Public comme lieu de soin, et non plus de contention sociale, est en effet adossée au fonctionnement d’une Sécurité Sociale gérée en grande partie par les représentants(es) des salariés(es).
Il n’est donc pas inutile de rappeler que le système tel que nous le concevons s’appuie sur un socle solide, celui d’une Sécurité Sociale réaffirmée sur ses bases de 1945 : une Sécu autonome, financée par la cotisation sociale. Les contours du système que nous voulons dessiner sont donc simples : public et socialisé, égalitaire et géré démocratiquement. Il est respectueux des usagers(es), mais aussi des salariés(es) qui le font vivre au quotidien.
L’existence de nombreux comités citoyens, notamment de défense des Hôpitaux Locaux, ou Notre Santé en Danger, a montré la vitalité et la pertinence de l’implication citoyenne dans la défense de l’Intérêt Général. La leçon à en tirer nous paraît évidente. Notre système de santé doit prolonger dans l’administration de ses instances et établissements locaux la philosophie de la gestion socialisée de la Sécurité Sociale, et en confier les clés à un tripartisme nouveau : représentants(es) de la Sécurité Sociale, en tant que financeurs, usagers(es) et salariés(es). De la même manière que la Sécurité Sociale nommait ses propres administratifs, elle pourrait nommer les responsables territoriaux et directeurs ou directrices d’établissement.
Dans notre conception, c’est aux usagers(es) de déterminer les besoins : qu’est-ce qu’un service public de santé de proximité ? Quels services et plateaux techniques cela implique-t-il ? Quel périmètre géographique une maternité peut-elle desservir, sans mettre en danger les mamans et les nouveau-nés par de longs trajets?
Instauration d’une Sécu à 100%, sans ticket modérateur, et avec tiers payant intégral.
De leur côté, les salariés(es) doivent déterminer de par leur expérience des ratios de personnels acceptables dans les différentes spécialités, tant pour une prise en charge sécurisée des patients(es) et usagers(es), que pour garantir des conditions de travail qui ne poussent pas à adopter des organisations sacrificielles.
Ces principes seraient même renforcés, par l’instauration d’une Sécu à 100%, sans ticket modérateur, et avec tiers payant intégral. Ces deux mesures sont les seules à pouvoir garantir un véritable accès universel et égalitaire aux soins. Il faudra au passage enfin accepter la fin des mutuelles complémentaires.
L’ensemble des établissements, et en particulier les établissements commerciaux, seraient socialisés. Notre autre système de santé serait donc de revenir sur ce statuquo, en posant le principe suivant : il s’agit d’un système entièrement public, dont les salariés(es) dépendraient d’un statut de la Fonction Publique étendu et rénové. Cela entraînerait la fin de la mise en concurrence entre établissements, pour s’arracher autorisations et financements d’activités à haute valeur ajoutée, et de le remplacer par une politique de coopération. De facto, statuts et normes sociales étant harmonisés, aucune structure ne pourra de toute manière plus arguer d’une “compétitivité” plus grande en employant l’arme du dumping social.
La Sécurité Sociale arrêterait du même coup de subventionner les profits des grands groupes lucratifs.
Il faut bien avoir conscience qu’une partie de ce que nous appelons de nos vœux a déjà été réalisé, ou bien les germes existaient de manière suffisamment avancée pour en montrer la viabilité.
Une partie de la méthodologie revient donc à abroger 40 ans de contre-réformes libérales, à commencer par l’introduction du paritarisme dans la gestion de la Sécu, et à reprendre la dynamique de transformation sociale initiée par le programme du Conseil National de la Résistance. Ce n’est certes pas une mince affaire, mais le degré d’intolérance qu’elles ont su développer au sein de la population rend aujourd’hui l’impulsion nécessaire bien moins compliquée à donner.
Ainsi un autre système de santé est possible: démocratisé, socialisé, accessible à toutes et tous c’est juste une question de volonté politique et qu’on abroge les privilèges des 1% les plus riches …
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