J’étais seule ce soir à l’Opéra Garnier ou presque seule ; on y chantait Mozart et Da Ponte aussi. Deux jours auparavant, j’obtiens un billet à l’arrache comme disent les lycéens pour une somme modique et l’on m’assure à la billetterie d’une visibilité réduite, que nenni, je suis placée au premier rang d’une loge, accoudée comme j’en rêvais, au rebord de velours juste au-dessus du parterre.
Le décor est austère, une ruelle grise sans beaucoup de lumière serait-ce pour signifier que la chair est triste hélas et qu’il ne reste plus rien à lire ? Pour la distribution, je n’écrirais pas parfaite mais Donna Anna et Leporello sont sublimes et seront les plus applaudis. L’orchestre? Je me retiens de battre la mesure mais l’émotion l’emporte. Don Giovanni en bad boy peine à me convaincre. La mise en scène, les costumes modernes réveillent une mémoire que le souvenir magnifie, Haneke avait, il y quelques années, usé de procédés semblables, je redoute la comparaison, d’autant que les 20 premières minutes, mis à part le bouffon coup de pistolet qui achève le père d’Anna, manquent un peu de dynamisme ; puis peu à peu je me laisse emporter par le jeu tragique du personnage principal dont la brutalité masque un désir vite réprimé par sa propre satisfaction. Les jeunes femmes admirables d’ambiguïté puisque écartelées entre attirance et impuissance ont des voix qui me bouleversent. Quelques outrances, Don Giovanni qui s’empiffre en attendant le gouverneur, m’agacent et puis il meurt et la vie revient avec un décor transformé : aux façades ont fleuri des jardinières et du linge bariolé. La morale est sauvegardée au final dans la chanson bien connue qui en rime les vertus ennuyeuses ? En conclusion pour cette dernière, quelques fausses notes, au figuré bien sûr dans la mise en scène, quelques voix inégales, la vie est faite ainsi, du tragique, du comique, de l’ordinaire ; néanmoins une très belle et très inattendue soirée.
Hélène Deutsch-Rome
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