Plan ruralité, plan camping, prise de parole violente contre l’élitisme supposé de Radio France, les orientations de Rachida Dati au ministère de la culture sont disruptives et provocantes.
Il faut bien le dire, son habileté politique est de haut niveau et son sens de la “triangulation” assez développé. En lançant ses différents chantiers, comme autant de contre-feux sous financés pour cacher le désastre en cours dans nos milieux, elle donne des signaux à différents électorats. Elle souhaite dire “Vous voyez bien que les “cultureux” ne s’intéressent pas aux classes populaires, aux ruraux, aux gens comme vous ?”. Elle conforte une situation devenue tragique dans la population, tant ses conséquences politiques sont néfastes, et qui fait du rejet des “intellos”, des “artistes”, des “élites” un sport national mêlant confusion et montée du fascisme.
Partout, du ministère aux collectivités locales, des écoles d’art aux conservatoires de musique, du pass culture aux compagnies de théâtre, toute un secteur est attaqué et fragilisé. On parle à présent d’un vaste plan social à bas bruit. L’absence de soutien en période d’inflation et les baisses (ou suppressions) de financements provoquent autant de festivals annulés, de compagnies en faillites, de fermeture de lieux (comme à Grenoble ou Bagnolet…). Cette attaque est justifiée par un discours classique, mais de plus en plus consensuel, autour des contraintes budgétaires d’une part et d’autre part de la nécessaire “rentabilité” des projets. Le capitalisme transforme tout en marchandise et les actions et biens culturels ne sont plus une exception. Le secteur musical fait office de laboratoire et les rachats de grands festivals par des multinationales a été récemment cartographié par le Syndicat des Musiques Actuelles. Les grands groupes (Pigasse, Lagardère, Krétinski ou Bolloré…) cherchent ici à capter des marges bénéficiaires, un gain d’image mais aussi, et c’est plus inquiétant, une influence politique. Les privatisations ont également lieu dans le spectacle vivant et le nombre du théâtres gérés par des sociétés de productions privées se multiplient notamment dans les communes de droite et d’ED. Cette marchandisation provoque la disparition pure et simple des directeur-trices artistiques et de leur liberté de programmation.
Dans ce contexte national et international de montée des courants dits “trumpistes”, le monde culturel est face à l’émergence d’une censure de plus en plus brutale. De l’annulation de la publication de la BD de Jul par la ministre de l’Éducation Nationale à la déprogrammation des chansons de Zaho De Sagazan sur les ondes de Bolloré, les pressions contre les libertés de création et de programmation sont nombreuses et sur tous les territoires. Les concentrations dans le domaine de l’édition provoquent les mêmes craintes parmi les auteur-ices.
Rachida Dati, même si elle le nie, est bien consciente de cette situation. Elle accompagne depuis toujours le déploiement d’un capitalisme prédateur. Il lui reste comme ministre la force des symboles et la volonté de marquer de son empreinte “l’histoire du ministère”. Elle s’appuie sur des “lieux communs” et sur des intuitions, pas toujours infondées, pour attaquer un secteur autour de sa prétendue incapacité à s’adresser aux classes populaires. En faisant cela, elle oblige les professionnel·le·s à déployer un argumentaire défensif et ainsi à conforter le préjugé de départ. “Vous voyez, ils se battent pour leurs privilèges !”.
Elle méconnaît et méprise le travail d’infusion culturelle sur tous les territoires porté autant par les lieux labellisés que par les associations et compagnies de proximité. Elle n’envisage pas un instant que l’art n’est pas un produit qu’on diffuse comme si on distribuait des baskets ou des bonbons à des habitants en attente. Elle ignore le temps long de la concertation pour inventer des projets culturels de territoires avec l’ensemble des partenaires (et pourquoi pas les campings…) pour construire patiemment et sur-mesure une vie culturelle digne pour tous les habitant-e-s.
Il nous faut à présent une visée politique autour des enjeux culturels, une visée émancipatrice qui dé-marchandise la vie et les biens culturels, une visée qui défendent les droits culturels de chacun et notamment de ceux et celles qui se sentent aujourd’hui éloignés des propositions culturelles, une visée qui donne sens aux combats du quotidien et assume son antifascisme, son rôle dans la défense du savoir, du poétique et de l’hospitalité. Nous avons besoin que le projet culturel de la gauche donne un sens émancipateur au reste du programme, invente un nouveau récit pacifiste et écologiste où chacun trouve du désir pour demain.
Rachida Dati veut du chiffre, de l’efficace, des photos sur les réseaux sociaux.
Nous voulons du sensible, du lien, de l’art qui nous bouscule et nous aide à habiter le monde.
Laurent Eyraud-Chaume
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