Esprit de suite et d'exploration.

Quand les articles du journal font réagir.

Hypnocratie : Trump, Musk et la fabrique du réel

Le capitalisme dont Trump 1 est l’irruption au sommet et Trump 2 le couronnement, génère d’âpres débats sur ce qu’il a d’inédit. Tout particulièrement sur sa propension à travestir le réel lui-même, sa puissante hégémonie culturelle imposant l’ère de la « post-vérité », et sa capacité de sidération anesthésiant la résistance et se renforçant de toute contestation jouant sur son terrain. Est développée ici une hypothèse plus radicale : une hypnose socio-politique des consciences et une colonisation de notre inconscient pour endormir l’esprit critique et dissoudre la réalité par un flot continu d’informations fragmentées et des suggestions permanentes dans l’ensemble des sphères de nos vies. Exemples de fétiches hypnotiques : Trump et sa logorrhée vidant les mots de sens et les saturant d’émotions, et Musk, captant nos imaginaires dans une transe futuriste perpétuelle. Pour le capital l’essentiel ce n’est plus tant la propriété des moyens de production que le contrôle des moyens de reproduction de nos esprits. La moitié du livre détaille l’état présent à partir d’une expérience à l’Université Libre de Berlin : un groupe de chercheur publie un livre philosophique fictif « L’État crépusculaire numérique » par un auteur fictif Hiroshi Tanaka, donnant lieu à de vifs débats sur le livre et sur la vie de l’auteur ! L’emballement universitaire et médiatique avant la révélation de l’expérience montre qu’à l’ère du numérique la vérité relève moins de faits vérifiables que de réseaux de significations interconnectés et autovalides en boucle dans un présent infini ! La seconde partie s’intéresse à l’insuffisance de nos arts de résistance face aux ruses déployées : limites du fast-checking ; l’omnipotente matrice du plaisir ; fragmentation de nos identités multiples et liquides obérant toute cohérence globale ; assimilation de la dissidence (esthétisation, quantification, personnalisation, marchandisation et aseptisation) ; et critiques sectorielles manquant le cœur du cible.

Le plus important ici n’est pas l’argumentaire mais le livre lui-même ! La postface nous révèle que J. Xun n’existe pas ! Pas plus que l’expérience de Berlin ! L’expérience c’est ce livre lui-même menée par une équipe (journaliste, poète, écrivain, homme politique et philosophe) autour d’Andrea Colamedici. Elle procède d’une méthodologie d’écriture collaborative et d’un dialogue maïeutique avec deux IA génératives. Dans ce travail itératif Colamedici a joué le rôle éditorial axant le livre sur un enjeu contemporain fondamental : comment le pouvoir agît désormais davantage par la maîtrise et la gestion de nos perceptions plutôt que par la coercition. Pour cela il a fait exister l’auteur fictif par la création d’un profil sur Academia.eu avec un article, d’un site web où les IA interagissaient avec le monde social, des références judicieusement placées dans l’écosystème informationnel, et la création d’une agente littéraire fictive avec qui des dizaines et dizaines de personnes ont dialogué ! A la sortie du livre une analyse du discours d’investiture de Trump par Xun attire cent mille lectures en deux jours, des demandes de traduction affluent de partout, le Figaro publie un entretien avec Xun, et l’Opinion fait part de l’intérêt de Macron pour ces analyses ! L’objectif de cette expérience d’épistémologie expérimentale est de nous interroger sur notre coresponsabilité dans la production de sens et notre lucidité critique et partagée. Cette compétence essentielle relève d’un engagement et d’une vigilance au quotidien.

Makan Rafatdjou

Jianwei XUN : Hypnocratie, Trump, Musk et la fabrique du réel, Philosophie Magazine Éditeur, 2025, 153 pages, 13,00 euros
(Voir le dossier de Cerises, Intelligence artificielle : boite de Pandore ?)

Partager sur :         
Retour en haut