Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Dominations plurielles et démarche unitaire

Le mouvement ouvrier et les féministes ont peu sollicité l’analyse marxiste pour penser la condition spécifique des femmes. Pourtant, la vague féministe des années 2000/2010, réactualisant les théories féministes-marxistes des années 70, pensent que la base matérielle de l’oppression des femmes est leur assignation à la reproduction de la force de travail. Celle-ci se perpétue aujourd’hui, en se métamorphosant, malgré les progrès de l’émancipation des femmes.

Le « travail reproductif » des femmes recouvre plusieurs activités : le travail domestique, l’éducation des enfants, la prise en charge des travailleurs âgés et malades. Le capital ne peut pas exister sans une force de travail disponible pour créer de la survaleur et cette force de travail est produite et reproduite en majeure partie par les femmes.

Ce travail de reproduction sociale, pourtant vital pour la société, reste largement invisibilisé et dévalorisé. Ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir ne souhaitent ni le reconnaître ni le rémunérer et cherchent constamment à le réduire faute de pouvoir le maîtriser.

Lise Vogel [1] explique : « La dissociation fortement institutionnalisée entre le travail domestique et le travail salarié constitue la base de structures idéologiques puissantes, qui tendent à s’autonomiser et à faire apparaître comme « naturels » la fonction « domestique » de la femme ainsi que la domination masculine. Le système de domination masculin, hérité historiquement des anciens rapports d’oppression, est, dès le départ, imbriqué avec le système de production et de reproduction capitaliste.

Depuis plusieurs décennies, le « travail reproductif » s’est en partie transformé en travail salarié, avec les services publics, les crèches, les soins et les services à la personne (Care), ainsi que le recours à la main-d’œuvre racisée surtout féminine. Pour Aurore Koechlin [2]  « Aujourd’hui les tâches relevant du travail reproductif peuvent être assurées par des hommes, mais demeurent majoritairement féminines (compétences construites socialement comme féminines). Or ces secteurs connaissent des luttes importantes en France ces dernières années, avec beaucoup de grèves victorieuses, comme la grève du nettoyage à ONET ou dans les hôtels Holiday Inn. 

Ces métamorphoses du travail reproductif qui vont de pair avec l’accroissement du rôle social des femmes, pourraient aider à penser ensemble les différentes dominations et favoriser une démarche unitaire. L’ensemble des systèmes de dominations sont imbriqués dans le travail reproductif. « D’emblée, le capitalisme est patriarcal et racial, parce que l’appropriation du corps des femmes et l’appropriation des racisé-e-s et colonisé-e-s sont allées de pair ». « Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles lient indissociablement le féminisme, la lutte antiraciste et celle pour l’amélioration de leurs conditions de travail. ». Pour des raisons analytiques et politiques, on les a conceptualisées séparément, mais la théorie de la reproduction sociale démontre que production et reproduction sont les deux faces d’une même médaille.

Josiane Zarka

[1] Lise Vogel, Le marxisme et l’oppression des femmes. Vers une théorie unitaire (1984). Théoricienne du féministe américaine, fondatrice la théorie de la reproduction sociale (TRS) redécouverte dans les années 2000-2010 avec une nouvelle vague du féminisme.
[2] Aurore Koechlin, La révolution féministe, Amsterdam, 2019.

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