Dans le 66, les Pyrénées-Orientales, on a beaucoup de salarié∙es agricoles saisonnièr∙es (la grande majorité est masculine). La plupart viennent d’Espagne et plus précisément d’Andalousie. Militante de l’Union syndicale Solidaires, impliquée dans sa commission internationale, depuis quelques années je pratique aussi un « internationalisme à domicile » : j’essaie d’aider ces saisonnièr∙es espagnol∙es qui ne parlent pas du tout ou très peu le français, ne connaissent pas les lois françaises, etc. Ils et elles viennent presque tous et toutes du même village, Alcalá del Valle, près de Ronda. Certaines années, le nombre d’émigré∙es a dépassé un cinquième de la population du village.
Le maire, communiste, lui-même ancien émigrant, s’occupe beaucoup de ces travailleurs et travailleuses qui laissent tout 5 à 6 mois par an pour venir travailler à des centaines de kilomètres, dans un autre pays. Et cette mairie a décidé d’octroyer chaque année un prix “d’Aide à l’Émigrant“. L’Union syndicale Solidaires, membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes en était lauréat en 2024 ! Avec une personne travaillant au consulat espagnol de Perpignan, également récipiendaire, nous étions invité∙es le 15 août pour recevoir notre prix.
Je suis donc arrivée dans ce village de 5000 habitant∙es, où, malgré la présence de quelques personnes de droite, l’ambiance est plutôt de gauche et où la mairie et son maire font les choses assez correctement. J’ai donc vu l’énorme gymnase, la piscine, l’immense salle des fêtes, le camping, la résidence pour le 3ème âge (nommée Dolores Ibarruri), la coopérative agricole (“Europeos“) … Le tout appartenant à la municipalité et proposant des prix très abordables (et des prix spéciaux pour les familles les plus humbles). Un théâtre-cinéma est prévu pour bientôt et ils/elles ont récupéré un ancien couvent qui est en cours de réfection pour y faire des rencontres, des soirées et le louer à la demande. On nous a ouvert le couvent qui était fermé, pour cause de pont du 15 août et de “Feria” (Foire traditionnelle) et proposé un guide absolument extraordinaire.
En arrivant à la place de la mairie, un grand drapeau palestinien recouvre le balcon de celle-ci, drapeau mis à cet endroit dès le 7 octobre. On retrouve ce drapeau sur quelques autres balcons du village. Il y a aussi la Place de l’Émigrant, avec la statue de l’Émigrant, marchant avec un sac sur l’épaule.
Malgré un peu d’agriculture (céréales, asperges, oliviers) qui ne peut offrir du travail à tout le monde, le village vit surtout de l’émigration, depuis des décennies. Beaucoup de gens, de tous âges, sont venus me parler de la région où ils/elles avaient travaillé ou travaillaient encore, la majorité dans le sud-ouest, le sud-est et surtout les Pyrénées-Orientales. Encore aujourd’hui, la plupart de ces émigrant∙es arrêtent leurs études à 16 ans, (les plus anciens expliquent qu’ils avaient 14 ans quand ils sont partis) et partent en France pour la saison, laissant familles, conjoint∙es, enfants, ami∙es … puis repartent systématiquement tous les ans.
La première soirée, on nous a emmenés à la Feria, au stand du parti du maire, où on nous a officiellement présentés aux “camarades”. Le soir suivant, lors d’une petite cérémonie, devant une salle des fêtes comble, on nous a remis le prix d’Aide à l’Émigrant (une plaque très lourde de 30cm x 20cm !). Après cet hommage, beaucoup de ces ouvriers et ouvrières voulaient se photographier avec moi, c’était touchant.
Le maire nous a trimballés partout, voulait tout nous montrer …et nous n’avons rien payé bien sûr (ni hôtel, ni repas, ni “chocolate con churros” à 4h du matin avant d’aller se coucher). Rafi, le maire, m’avait demandé de présenter notre syndicat et nos activités; il a particulièrement apprécié qu’on soit allé∙es en Palestine ainsi que chez les sahraouis, qu’ils/elles aident beaucoup en Espagne. Moi qui voyage toujours avec un tout petit sac-à-dos léger, j’ai dû repartir avec, en plus de la lourde plaque d’hommage, sept litres d’huile d’olive de la coopérative, et je devais changer de train quatre fois !
Un monsieur du village est venu me dire qu’ils/elles étaient en train de reconstituer le syndicat SAT (Syndicat Andalou des Travailleurs – Sindicato Andaluz de Trabajadores/as) dans le village ; ils/elles nous contacteront quand ce sera fait pour tisser des liens.
Accueil très chaleureux, moment émouvant.
Aux camarades de Solidaires : si vous passez un jour dans le coin, allez,vous présenter à la mairie en tant que Solidaires, ils et elles seront ravi∙s, et vous serez bien reçu.es … Aux camarades qui ne sont pas de Solidaires : vous pouvez aussi y aller, bien entendu !
[ Le premier jour, à peine arrivée à l’hôtel du village, un saisonnier est venu me voir pour un gros problème et j’ai dû le recevoir dans le patio de mon hôtel transformé en bureau juridique…]Petit texte lu pendant la remise du prix (castillan puis français) :
Mi sindicato y yo misma, agradecemos el honor que nos hacéis dedicándonos este premio. Premio que no nos merecemos, en realidad, ya que lo que hacemos nos parece natural, para nosotr@s es una cosa normal, forma parte de nuestro activismo. Pero al mismo tiempo, también resume la aplicación del trabajo internacional, así que es un éxito en este sentido.
La Unión Sindical Solidaires hace de la acción sindical, parte de la solidaridad internacional. La solidaridad internacional es indispensable, permite a los pueblos confrontar desgracias; apoyarse mutuamente ayuda en muchos casos. Las trabajadoras y los trabajadores no pueden separar sus luchas de las de otros países del mundo.
Estoy muy contenta y conmovida, en nombre de mi sindicato y en mi nombre, de poder estar aquí hoy, con vosotras y vosotros, por todo lo que este acto puede representar.
Muchísimas gracias.
Mon syndicat et moi-même tenons à vous remercier pour l’honneur que vous nous faites en nous décernant ce prix. Un prix que nous ne méritons pas vraiment, car ce que nous faisons nous semble naturel, pour nous c’est une chose normale, cela fait partie de notre militantisme. Mais en même temps, cela résume la mise en œuvre du travail international, c’est donc un succès en ce sens.
L’Union syndicale Solidaires inscrit l’action syndicale dans la solidarité internationale. La solidarité internationale est indispensable, elle permet de faire face aux malheurs, de se soutenir et de s’entraider dans de nombreux cas. Les travailleuses et les travailleurs ne peuvent séparer leurs luttes de celles des autres pays du monde.
Je suis très heureuse et émue, au nom de mon syndicat et en mon nom personnel, d’être ici aujourd’hui, avec vous, pour tout ce que cet événement peut représenter.
Merci beaucoup.
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