Daniel Cueff a été maire de Langouët, village de 610 habitants au nord-ouest de Rennes, de 1999 à 2020. Il a mené, avec une conscience sociale et écologique affirmée, une politique volontariste d’autonomie alimentaire et énergétique, pour mettre cette petite commune rurale à l’heure du dérèglement climatique.
Comment êtes-vous arrivé à ce constat d’urgence écologique, sociale, etc. ?
J’ai un parcours en sciences humaines et un doctorat de sciences de l’éducation. J’ai dirigé pendant plusieurs années un programme européen auprès des enfants dans la rue, notamment en Pologne. En travaillant auprès d’eux, une évidence s’impose : leurs conditions de vie ne produisent ni des enfants équilibrés, ni en bonne santé. Donc il faut agir sur l’environnement et le social pour résoudre leurs problématiques.
Quand je suis élu maire un peu par hasard, car ce n’était vraiment pas un projet de vie initial, je suis donc sensible à cette question majeure de l’environnement et je mets sur la table la notion de développement durable, dont peu de personnes avait entendu parler dans la commune.
C’était un défi parce qu’on ne savait pas par quel bout prendre cette question à cette échelle. J’avais bien lu le rapport Brundtland évidemment, mais c’était un peu léger, quand même, en termes strictement opérationnels.
J’ai eu l’intuition qu’il était préférable de faire plutôt que de dire.
On a donc agi, brique par brique, mais en cohérence les unes par rapport aux autres. Ainsi la cantine 100 % bio mise place (la première en France), on s’est préoccupé des circuits courts jusqu’à créer une ferme permacole pour l’approvisionnement d’une partie des légumes de saison. Il en a été de même pour le logement social écologique, la production d’énergie électrique en autoconsommation collective, la récupération des eaux de pluies, l’école publique HQE, la création d’un tiers-lieu citoyen…
Tout ce qu’on a pu faire était ouvert sur le monde, à l’opposé du localisme porté par le Front National.
Nous avons fondé le réseau BRUDED, avec le maire de Silfiac de l’époque. Trois communes au départ, pour échanger nos savoirs d’expérience. Aujourd’hui, il y en a 270, avec une expertise très forte pour les maires qui, aujourd’hui, décideraient de continuer l’aventure ou d’aller plus loin, parce qu’il y a des marges de progrès assez importantes.
Nous ne sommes donc plus isolé·es sur ces questions sociales et environnementales comme en 1999. Mais que de chemin à parcourir encore !
L’affaire de l’arrêté a masqué ce qui avait été accompli auparavant. [En 2019, constatant la carence de l’État en matière de protection de la population s’agissant des produits phytosanitaires, Daniel Cueff prend un arrêté municipal interdisant leur épandage à moins de 150 m des riverain·es – NDLR] Les premières réalisations, justement, elles se font avec une méthode de travail qui va essayer d’impliquer les habitants ?
Je ne suis pas un adepte de la démocratie participative, je suis même assez réticent, je la considère comme conservatrice.
Je vais prendre un exemple concret : dans le centre-bourg, la route qui conduit à l’école, c’était auparavant la départementale. La voie avait été détournée, mais elle conservait son aspect routier, de grande voie, incitant à la vitesse. Et il y avait unanimité des habitant·es pour dire qu’il fallait ralentir la circulation. Donc on organise plusieurs réunions publiques. Résultat, beaucoup de propositions : chicanes, feux stop, coussins berlinois, dos d’ânes… des réponses routières à une problématique routière. Alors que moi, je souhaitais plus jouer sur la végétation, les arts plastiques, et mettre des poules dans le village, parce qu’on ne sait pas où ça va aller. Rien de tel pour ralentir les voitures. Les Langouëtien·nes m’ont dit « Monsieur le Maire, vous avez fait des réunions publiques, on vous a donné des idées et vous proposez autre chose ! Ce n’est pas normal ! »
Ils avaient raison. La méthode n’était pas la bonne : quand on leur demande leur avis, les gens proposent des solutions qu’ils ont vues ou dont ils ont entendu parler. Donc la démocratie participative qui peut apparaître a priori comme souhaitable, reproduit, dans les faits, l’existant.
On a donc changé de méthode, et j’ai proposé : « On est élu·es, la municipalité va fixer le cadre mais pas le contenu. »
Autre exemple concret. Décision de la commune (le cadre) : « la cantine sera 100 % bio ». On a provoqué plusieurs réunions sur le thème (le contenu) : « Maintenant comment on y arrive ? » Tout le monde s’est mis à bosser. Chacun·e est venu·e avec sa compétence (les parents, les enfants, les enseignant·es, les agriculteurs bio, la cuisinière, les élu·es…). Face à la même problématique « Mais comment on va faire ? On a aucun exemple à aller voir ! », on tâtonne, on travaille. Puis au bout d’un moment, on arrive à des solutions qui semblent tenir la route. Et au retour des vacances de Noël 2014, les enfants reviennent à l’école et là, ils mangent 100 % bio. Vous voyez, un cadre fixé, sans contenu préalable. J’ai théorisé ça un petit peu, en parlant d’une démocratie implicative plutôt que participative, une démocratie contributive à un projet politique constitué.
Tout a été ainsi mis en place dans la commune, y compris les aménagements urbains où on a exploré par exemple le processus de conception intégrée. La commune a fixé un cadre très écologique et social, et politique, en faveur du logement social. Les habitant·es aidé·es par un architecte ont conçu le programme définitif qui a été construit ensuite par la commune.
De même, quand j’ai pris l’arrêté dont vous parlez. C’était un cadre, mais le contenu appartenait aux agriculteurs : « Vos solutions seront financées par la commune. Faites des propositions. » Tout aurait pu bien se dérouler si la préfecture, inquiète de voir prospérer un arrêté qui pouvait faire jurisprudence, n’était intervenue. Les lobbies des pesticides se sont aussi activés et le Conseil d’État a fini par annuler l’arrêté. Légitimité d’un élu local contre légitimité de l’État ? Ou l’inverse ? Le débat n’est pas clos.
Propos recueillis par Emmanuel Chanial
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