C’est quand même pas normal que dans le pays de la bouffe, il y en ait qui n’en aient pas assez ! 1985, c’est avec cette phrase que Coluche lance les Restos du coeur. 40 ans plus tard, face à l’échec des politiques alimentaires qui n’ont pas été menées, un projet émerge : La SSA projet politique, systémique, alternatif.
Politique : pensé par et pour les citoyens hors des normes comptables, des priorités et du fonctionnement du capitalisme.
Systémique : les différentes mesures qui le composent sont en interaction et indissociables. Alternatif : il n’est né ni dans les cabinets ministériels, ni dans les cabinets conseil des lobbies du complexe agroalimentaire.
Ceux et celles qui l’ont conçu et qui le construisent, militant.es paysan.ne.s, ingénieurs, agronomes, chercheurs, militant.e.s associatifs, sont confronté.e.s à la réalité violente de la malnutrition des couches populaires et de la marginalisation de l’agriculture paysanne écologique.
Ils ont constaté que les initiatives locales réussies (agriculture paysanne bio, circuits courts, AMAP) étaient inefficaces pour enrayer cette double violence car l’État fait partie du complexe agro-industriel.
Du coup, la double dualité alimentaire et agricole est dans une impasse :
– alimentaire : une nourriture de qualité réservée à une clientèle solvable et sensibilisée à l’écologie et une nourriture industrielle à bas prix et de piètre qualité pour les plus nombreux.
– agricole : une agriculture industrielle polluante et conquérante, largement subventionnée et une agriculture paysanne écologique marginalisée, dont la réussite est liée à l’existence d’une clientèle aisée, une niche peu extensible.
Ils vont alors changer de stratégie passant d’une politique de l’offre à celle de la demande, ce qui amène à traiter la question non plus «de la fourche à la fourchette mais l’inverse» de la fourchette à la fourche (en 2017). Ils posent ainsi la problématique sur laquelle ils vont plancher : “comment permettre à tous et toutes d’avoir accès à une alimentation de qualité, choisie, en respectant l’environnement et le travail de ceux et celles qui nous nourrissent” ?
S’inspirant d’un déjà-là qui a fait ses preuves, la Sécurité Sociale, telle qu’elle fut construite en 1946 et dont l’histoire est racontée dans le film de Gilles Perret sorti en 2016 La Sociale, ils proposent de créer une nouvelle branche de la sécurité sociale : la Sécurité Sociale de l’Alimentation.
L’alimentation, comme la santé est un bien commun, pas une marchandise. Son accès doit être assuré à tous et toutes par un droit. Le droit à l’alimentation réaffirmé en 1996 au sommet mondial de l’alimentation à Rome.
Assurer le droit à l’alimentation, c’est permettre à chacun·e non d’être nourri·e, mais de se nourrir en fonction de ses besoins, de ses goûts, de sa culture. C’est non seulement choisir sa nourriture dans les rayons, mais aussi participer au choix du contenu des rayons, le choix des modes de production alimentaire : la démocratie alimentaire.
D’où la volonté d’articuler droit à l’alimentation et modèle agricole paysan écologique, en socialisant le financement par la socialisation d’une partie de la valeur ajoutée, produite par le travail. Qui finance, décide. Quand le discours officiel veut faire croire que la démocratie passe par le pouvoir de consommateurs formatés par la publicité, les promoteurs de la SSA donnent le pouvoir au citoyen de choisir en connaissance de cause. C’est passer de la démocratie de la carte bancaire à la démocratie sociale !
De fait, la SSA repose sur 3 piliers indissociables : universalité, cotisation sociale, conventionnement qui assurent sa cohésion et sa faisabilité.
L’universalité est garantie par le versement mensuel de 150 €, somme incompressible, à tout le monde, riches et pauvres, avec ou sans papiers, pour acheter des produits alimentaires conventionnés comme le sont les médicaments remboursés par la Sécurité Sociale.
Souvent remise en question par les opposants à la SSA elle est pourtant indispensable pour faire vivre un nouveau droit, faire participer les riches à la solidarité sociale et financer la transition agroalimentaire.
Qu’est-ce que ça change?
1) Passer de l’aide au droit c’est passer, pour les bénéficiaires de l’aide, du statut d’assisté au statut d’ayant droit.
Au-delà des bénéficiaires, c’est en finir avec l’angoisse des fins de mois dans les ménages les plus fragiles, chez qui l’alimentation devient vite une variable d’ajustement.
C’est en finir avec une aide discriminante, qui oblige 8 millions de bénéficiaires, dont 69% de femmes, à justifier de leur pauvreté, à se ravitailler dans des lieux à part, à des horaires fixés par d’autres1, à accepter ce qu’on leur donne, ce dont les autres ne veulent pas, souvent de piètre qualité. Terrible violence.
C’est en finir avec la frustration de ceux qui sont juste au-dessus du seuil, avec l’indignation des contribuables qui ont l’impression de payer pour les autres, sentiments dont se repaît l’extrême droite.
C’est remettre de l’égalité et de la fraternité dans une démocratie qui en a bien besoin. L’accès, garanti à tou-te-s, à une nourriture saine et choisie, renforce l’estime de soi et le sentiment d’être comme les autres, à égalité, dans le respect de sa dignité. Celui qui est aidé, est censé remercier, l’ayant droit est incité à revendiquer ses droits.
2) C’est aussi une mesure de santé publique. L’alimentation industrielle et surtout celle de l’aide alimentaire est pathogène : surpoids, diabète, anémies, maladies cardiovasculaires, cancers… sont sur-développés. La remplacer par une nourriture de qualité améliorerait la santé générale. La production alimentaire, assurée dans de bonnes conditions écologiques, contribuerait à à protéger la santé des paysans et à assainir notre environnement.
3) C’est enfin se débarrasser d’une aide devenue structurelle qui depuis la loi Garot 2016, sert à écouler les excédents défiscalisés de l’agriculture industrielle et des invendus des GMS : la défiscalisation fait reposer la responsabilité collective de bien nourrir la population, ce qui devrait être garanti par l’État, sur des comportements individuels. Elle révèle les objectifs de l’aide alimentaire fixés par les pouvoirs publics : la paix sociale au moindre coût, et crée un marché de la faim au pays de l’abondance. Cynique et criminelle contradiction !
Ce droit va assurer des débouchés payés collectivement à une agriculture paysanne écologique seule capable de rétablir la santé des hommes et des agro-écosystèmes.
L’alimentation est ainsi reconnue comme un bien commun, un droit, comme un moment de vie sociale essentiel, une source de convivialité, de plaisir et de santé.
Elle serait financée par les cotisations sociales
Les cotisations sociales sont la bête noire du capitalisme qui les a rebaptisées “charges sociales” et ne cesse de les démolir. C’est du salaire socialisé qui génère du financement socialisé. Il répond à la volonté de construire collectivement de la solidarité pour aider tout le monde à faire face, dans la dignité, aux aléas de la vie, volonté résumée dans cette belle formule « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ».
Prélevées sur la valeur ajoutée de l’économie créée par le travail, elles financeraient 120 milliards soit environ la moitié des dépenses alimentaires, soustraites à la sphère marchande et au libre-échange, réinjectées dans un secteur créateur de justice sociale qui permettrait la transition du système agricole et alimentaire. 120 milliards, c’est 7 fois plus que les 17 milliards d’aides publiques (dont 8-9 milliards de la PAC) allouées à l’agriculture
Ces cotisations permettraient de rémunérer les producteurs de toute la chaîne alimentaire et de financer des structures de production, de transformation et de distribution adaptées, sans prélèvements de dividendes ni d’intérêts bancaires.
Ainsi, dans le domaine de la santé, la cotisation sociale a contribué à passer d’un système de soins dual : cliniques privées pour les riches et mouroirs pour les pauvres à un système de soin accessible à touTEs, reconnu dans les années 2000 comme le meilleur du monde.
La cotisation sociale donnerait en effet, le pouvoir de participer au choix des produits conventionnés, et par là d’agir sur le modèle de production agricole ouvrant des perspectives à ceux qui sont empêchés de sortir du modèle industriel, faute de débouchés rémunérateurs et de moyens logistiques.
Le choix des filières conventionnées est donc au coeur du projet. La bataille s’annonce rude comme le montre la lutte autour du label “Haute Valeur Environnementale “ appelée aussi Haute Volonté d’Enfumage. Elle va être menée dans le cadre du 3e pilier.
Le conventionnement : conventionner repose sur des caisses de la SSA.
La caisse nationale définit les grands principes du conventionnement – respect du travail de ceux qui nous nourrissent, respect de l’environnement, absence de profits privés- . Ce dernier critère se justifie par le financement socialisé et par le pognon de dingue que coûtent les profits indécents de l’industrie pharmaceutique à la Sécurité Sociale.
Gérées démocratiquement et articulées à la caisse nationale, les caisses locales choisissent les produits locaux à conventionner.
Le contenu de nos assiettes ne serait plus dicté par l’agrobusiness, mais défini en connaissance de cause par la population : alors que le monde industriel souhaite réduire les coûts de production, donc le coût de l’alimentation, la population et les paysans souhaitent des prix rémunérateurs pour une production de qualité généralisée. Il s’agit de faire confiance à la démocratie, à ceux qui produisent et ceux qui mangent car qui se lève le matin en se disant : aujourd’hui je mets des pesticides dans l’assiette de mes enfants, ou je répands du poison dans mes champs ?
Cotisation sociale et conventionnement permettent une gestion démocratique échappant au pouvoir d’un Etat centralisateur et à celui de multinationales plus préoccupées par les retours sur investissement et la conquête de nouvelles parts de marché que par la santé publique ou l’écologie.
Les porteurs du projet SSA revendiquent la démocratie comme objectif et mode de fonctionnement. Sans être LA réponse à la double crise alimentaire et agricole, elle a le mérite d’être une porte de sortie du carcan mortifère imposé par le complexe agro-industriel qui dans l’affaire perdrait des parts de marché et une part de son pouvoir et serait concurrencé par une vraie alternative. La SSA permet de vraies améliorations : santé publique, réduction des émissions de GES et de la pollution, protection de l’eau, rétablissement des agro-écosystèmes et de la biodiversité, solidarité et égalité, démocratie, affaiblissement de l’agrobusiness…
Elle pose la question essentielle du pouvoir : qui, de la population ou des firmes va contrôler la chaîne alimentaire ?
Elle amène à des choix : investissements socialisés ou privés, sobriété ou escalade technologique, quel accès à la terre, aux biens communs, quel droit du travail, quelle agriculture avec ou sans paysans, avec ou contre la nature dans une perspective transhumaniste (perspective NBIC), quelle souveraineté alimentaire ici et ailleurs ?
Les enjeux sont immenses et les oppositions à la hauteur des enjeux. La SSA remet en cause des intérêts colossaux et ne peut aboutir que dans un contexte de luttes sociales pour une société plus égalitaire, démocratique et écologique.
Pour être mise en œuvre dans son intégralité, la SSA a besoin d’une loi instituant la cotisation sociale. En attendant, des initiatives locales se mettent en place inspirées par la SSA, mais qui demeurent partielles. L’expérience la plus aboutie est sans doute la caisse alimentaire de Montpellier, voire de Cadenet.
Portées par des associations, des collectivités, des chercheurs, des paysans, elles se réfèrent au socle commun du projet global, elles impliquent selon les principes de non discrimination des populations socialement diverses qui appliquent la démocratie alimentaire en connaissance de cause, le conventionnement avec les paysans et les magasins, promeuvent l’agriculture paysanne locale, la solidarité, mais se heurtent au problème des moyens, financées par des cotisations volontaires, de l’argent public et privé.
Ces expériences sont autant de déjà là, et servent d’appui aux réflexions sur la construction du projet et à sa diffusion.
La sécurité sociale a permis une embellie sans précédent de la vie des travailleurs au lendemain de la guerre et contribué à un allongement de l’espérance de vie d’une trentaine d’années. La sécurité sociale de l’alimentation porte des possibilités de progrès social écologique et démocratique réjouissant dans un contexte de reculs généralisés où la bête immonde relève la tête. Elle mérite une mobilisation populaire à la hauteur des enjeux.
C’est, depuis le programme des Jours Heureux, le premier projet global porteur de tant de possibles avancées, capable d’amorcer une dynamique vers une inversion des priorités mortifères des multinationales.
Danièle Mauduit
1 Il ne s’agit pas de sous-estimer le rôle essentiel des bénévoles de l’aide alimentaire, qui, au nom de la justice sociale résistent à la volonté d’invisibiliser les pauvres et refusent de les abandonner.
Merci Danièle d’avoir abordé ce sujet dans Cerises la Coopérative. C’est en effet une question politique très importante. Mon comité local Attac Montreuil a fait 3 soirées sur le sujet intitulé “les carrefours de l’utopie” nous avons eu à chaque fois beaucoup de monde et surtout beaucoup de jeunes et la participation très active de Bénédicte Bonzi qui a écrit un bouquin sur le sujet. Nous avons fait aussi une soirée avec l’atelier paysan et les marmites rouges.
Encore merci
amicalement
Daniel