Journal de Jo. La suite, transmise par Sylvie Larue
Nous venons d’apprendre
que Mariam Abu Daqqa a été arrêtée par la police française de manière musclée, suite à l’annulation, par le Conseil d’État, de la décision du Tribunal administratif qui avait invalidé son expulsion du territoire français. Son avocat a pu la voir vers 4 h du matin : elle est en état de choc, on pourrait l’être à moins ! Les personnes qui l’accompagnaient lors de son arrestation ont porté plainte pour violences à leur encontre de la part des forces de l’ordre.
Sur des pressions à un haut niveau, une décision de justice vient donc d’être annulée au motif que Mariam Abu Daqqa est membre du FPLP, une organisation de la gauche palestinienne « radicale », considérée comme « terroriste par Israël et l’Europe ». Vers où est-elle censée être expulsée ? Vers Gaza. Ainsi, au moment où Macron organise une conférence pour l’aide humanitaire à Gaza (basée sur le constat qu’il semble quand même y avoir là-bas comme une petite catastrophe), il ordonne l’expulsion de cette femme… vers l’enfer !
Mariam Abu Daqqa, cette femme de 72 originaire de Gaza, photographe reconnue, grande défenseuse des droits des femmes et qui vient de perdre plusieurs membres de sa famille sous les bombardements, est donc accusée d’être une adepte du terrorisme et l’État français considère qu’elle représente désormais un danger dans le contexte post-événements du 7 octobre. Ce faisant, il déjuge aussi accessoirement les autorités consulaires françaises qui lui ont accordé un visa en août dernier.
Au nom de la lutte totale contre le terrorisme du Hamas, il s’attaque à une personne d’un parti palestinien dont tout le monde sait que l’idéologie politique… est à des années-lumière de celle du Hamas ! Si l’on voulait fournir une raison supplémentaire de pousser à l’unité de résistance du peuple palestinien, en imaginant qu’elle n’en ait pas trouvé d’elle-même, difficile de trouver mieux…
Donc, tout Palestinien, toute palestinienne
est supposément un.e terroriste et toute personne soutenant leurs droits (reconnus par l’ONU, je sais, je me répète : je fais exprès) devient, par le même mécanisme hautement intellectualisé, supposément aussi terroriste ou a minima soutien du terrorisme. Tout le monde parle donc de « terrorisme », sur tous les tons, toutes les ondes occidentales, avec tous les « spécialistes » possibles à l’appui et on condamne, aussi, au nom du « terrorisme ». Mais quelle est sa définition juridique au plan international ? Et bien en fait… il n’y en a pas ! Jamais les Nations Unies n’ont réussi à se mettre d’accord sur une définition juridique. Pourquoi ? Parce que les exemples pullulent, dans l’Histoire, de personnes qui ont été qualifiées de « terroristes » par leurs adversaires (souvent dans le but de les disqualifier pour justifier le refus de discuter avec elles et toujours par les dominants du moment) et qui sont ensuite devenues « respectables », voire ont été célébrées et sont devenues chefs d’État. On pense bien sûr aux Résistants, mais on peut également citer Nelson Mandela ou Menahem Begin, premier Ministre israélien, prix Nobel de la paix en 78, adepte dans sa jeunesse de Zeev Jabotinsky (lui-même admirateur de Mussolini), Begin qui coordonna l’attentat contre l’Hôtel King David en juillet 1946 (plus de 90 tués) et que Ben Gourion traitait de « Vladimir Hitler ». Alors, s’il n’y a pas de définition juridique, peut-être peut-on donner une définition étymologique ? Serait terroriste celui qui utilise la terreur comme moyen d’action politique sur des civils désarmés. Bon, OK. Mais alors, dans ce cas, l’État israélien l’est tout autant que le Hamas, non ? On pourrait même dire qu’ayant une très large antériorité historique et des moyens militaires démesurément supérieurs, il surpasse largement les seconds en termes de nuisance. Entre le 1er janvier 2008 et le 7 octobre 2023, l’ONU compte 6621 civils palestiniens tués et 156216 blessés pour 311 civils israéliens tués et 6338 blessés, (https://www.ochaopt.org/data/casualties ). « Les victimes des hostilités en cours dans la bande de Gaza et en Israël, qui ont débuté le 7 octobre 2023, ne s’y ajouteront que lorsque ces incidents auront fait l’objet d’une vérification indépendante »…. Un terrorisme contre un autre ? On sort comment de l’équation ?
On doit reconnaître que, depuis 2001, l’utilisation de ce terme a en gros servi à mettre le feu partout sur la planète, sans jamais jusqu’à présent régler aucun problème… et, pourtant, on continue, on recommence, on persévère ! Commençons par voir de quoi l’on parle, cessons d’agiter le terme de « terroriste » à tout bout de champ, pour n’importe qui, n’importe quoi et n’importe comment : seules les qualifications de « crimes de guerre » de « crimes contre l’humanité » et de « génocide » sont clairement juridiquement définies, alors utilisons-les. Mais, si l’on accepte ce principe, alors on doit aussi accepter que cela passe par des enquêtes et donc, dans le cas présent, il n’y a aucune raison pour que l’État israélien, au même titre que le Hamas, ne soit pas convoqué immédiatement devant une cour pénale internationale. Par ailleurs, il faut préciser que les textes internationaux font une différence entre les morts, y compris civiles, dues à la guerre elle-même (et qui, cela peut sembler sinistre, sont appelées « dommages collatéraux ») et celles qui sont le résultat de pratiques ciblées, volontaires et inhumaines ou dans un but d’extermination : une attaque militaire (même faisant des victimes civiles) n’est pas forcément qualifiée de crime de guerre ni de crimes contre l’humanité. Il convient aussi de savoir précisément si ces crimes ont été commis par les groupes armés ou les militaires eux-mêmes ou par d’autres, à l’occasion du désordre créé, et dans quelle mesure les armées, les groupes et les gouvernements les ont ou pas couverts. Les condamnations peuvent s’appliquer à des gouvernements, des groupes, des individus, des médias précis ayant incité à la haine (comme la radio des Mille collines au Rwanda).
Ça, ça concerne le traitement ultérieur de l’abomination et sa sanction et il est absolument fondamental de qualifier correctement les choses : quand on parle de « terrorisme intellectuel de gauche » ou « d’écoterrorisme », on brouille toutes les cartes et d’une certaine manière… on banalise les vraies horreurs ! Mais, si l’on veut se placer dans une perspective de traitement du problème et de prévention, il faut considérer le contexte : pourquoi et comment cela a-t-il pu se produire, quelles conditions auraient pu contribuer à l’éviter et quelles conséquences va avoir la guerre en cours ? Il ne s’agit en aucun cas de légitimer des faits inadmissibles contrairement à ce qu’insinuent certains policiers de la pensée, mais de tirer des leçons pour l’avenir : qu’est-ce qui a pu faire déraper les choses à ce point et qu’est-ce qui nous permettrait d’éviter que ça se reproduise ?
Dans le cas des enfants
victimes de traumatismes et de sévices, on sait que la première urgence est de les extraire du contexte qui les a détruits et de les entourer d’affection et de compréhension pour qu’ils puissent se reconstruire. Il faut surtout les assurer que plus jamais ils ne connaîtront de situations les plaçant en dehors de tous les cadres moraux et faire acte de pédagogie afin qu’ils réapprennent ce que sont les limites, les limites de ce qui est acceptable vis-à-vis d’eux et les limites de ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes. On sait bien que les violences extrêmes infligées à des enfants diffusent à l’intérieur des enfants eux-mêmes et que l’absence de cadres ne peut, dans un premier temps, que les conduire à reproduire ce qu’ils ont vécu, c’est-à-dire ce dont ils ont été eux-mêmes victimes (on va donc éviter de leur donner de petits couteaux pour qu’ils s’amusent avec leurs camarades dans la cour de récréation). La reconstruction sera un long processus qui devra d’abord passer par la justice puis par l’apprentissage d’un retour à une vie normale. Or, que ce soit dans le cas d’Israël ou dans celui de Gaza, la communauté a été totalement défaillante. Jamais la justice n’a été pleinement faite par les puissances européennes génocidaires pour les Juifs : on a laissé, en Allemagne comme en France, des collaborateurs voire des nazis notoires exercer des fonctions de haut niveau (exemple de Papon en France), les biens des Juifs ne leur ont pas été intégralement restitués et l’État français a mis bien du temps à reconnaître du bout des lèvres qu’il avait été partie prenante du génocide. On s’est finalement débarrassés à bon compte du « problème juif » en les expédiant à l’autre bout de la Terre, pensant qu’un non-interventionnisme systématique nous dédouanerait de toute responsabilité. Pour Israël tout était « open » : colonisation, répression des populations natives, non respect du cadre légal international, surarmement conventionnel, armement nucléaire (développé grâce à la complicité de la France) etc, etc. On a finalement laissé Israël utiliser le principe que nous avions nous-mêmes mis en œuvre contre les Juifs d’Europe : l’écrasement des plus faibles. Et on a savamment ignoré toutes les mises en garde qui pouvaient être faites, y compris quand elles provenaient de la société israélienne elle-même. Du côté des Palestiniens, jamais justice ne leur a été faite et toutes les promesses ont systématiquement été mises aux orties. Dans le cas précis de la Bande de Gaza, bien que déclarant le blocus totalement illégal, on l’a laissé faire son chemin, condamnant une génération entière à l’enfermement complet et à la misère (au moins 44 % de taux de chômage, 18 litres d’eau par jour contre 50 jugés le minimum indispensable, etc). Mieux, on a laissé la puissance occupante effectuer des bombardements répétitifs sur un territoire duquel il était totalement impossible de fuir (2001, 2002, 2004, 2006, 2008 – environ 1400 habitants tués, 13 Israéliens -, 2014 – d’après l’OCHA 2251 Gazaouis tués, dont 1462 civils, 60 Israéliens -, 2021). Là non plus, on n’a écouté aucune voix de sagesse et quand des actions pacifiques menées par la population étaient réprimées (comme en 2018 lors de la Grande marche du retour : plus de 150 tués et près de 10000 blessés d’après Amnesty International), on a fermé les yeux. Et on s’est imaginé que tout cela serait sans conséquence. Concrètement, la communauté internationale a fourni tous les petits couteaux nécessaires à tout le monde et elle fait semblant, ensuite, de s’étonner de ce qui s’est passé le 7 octobre dernier. Quand on se refuse à changer le cadre du traumatisme en ne rendant pas justice, aucun processus d’apaisement ni de reconstruction ne peut se mettre en place. Quand on laisse l’injustice perdurer sans rien faire, on nourrit toutes les haines. Quand on traite (ou laisse traiter) les gens comme des chiens et qu’on laisse faire un enfant roi, il ne faut pas s’étonner que les uns se mettent à mordre et que l’autre fasse n’importe quoi. Seul le cadre de la justice peut permettre d’aller vers la paix.
Dominique de Villepin
ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Premier Ministre de Jacques Chirac, ami proclamé d’Israël, acceptant l’idée d’une élimination ciblée des responsables du Hamas (ou leur exfiltration vers des pays tels que l’Iran) mais attaché au droit international sur France Info le 7 novembre : sa voix, quittant le ton neutre du diplomate et du ministre qu’il fut résonne avec une certaine colère devant des journalistes qui semblent ébahis ; il précise toutefois que, bien évidemment, sa parole est plus libre aujourd’hui que lorsqu’il avait des responsabilités. On trouvera sans peine l’intégralité de son intervention sur You Tube et sur le site de France Info, je n’en citerai ici que des extraits :
« Benyamin Nétanyahou… a failli parce que la force ne permet pas d’assurer la sécurité d’un peuple. C’est ça que tous les Israéliens doivent comprendre aujourd’hui. Or, le choix du gouvernement israélien, depuis le 7 octobre, c’est de surenchérir par la force… Ni la force ni la vengeance n’assurent la paix et la sécurité. Ce qui assure la paix et la sécurité, c’est la justice. La justice n’est pas au rendez-vous…
Puis, arrêtons de poser la question de la responsabilité,
voyons la réalité de ce qui se passe sur le terrain. La faute, nous la laisserons aux historiens. Nous voulons arrêter ces violences, ces massacres. Nous voulons aussi permettre véritablement à Israël de vivre en paix et en sécurité. La guerre menée aujourd’hui est une illusion d’une paix possible. Je vous le dis solennellement, cela n’arrivera pas. Israël se met en danger encore plus aujourd’hui avec ce type de guerre et ce type de frappes. La réponse d’Israël à l’attaque du Hamas, le 7 octobre, n’est ni ciblée ni proportionnée. Le gouvernement Nétanyahou est dans une politique de vengeance. Israël a droit à sa légitime défense, mais une légitime défense n’est pas un droit indiscriminé à tuer des populations civiles. Dans ce contexte, chaque enfant, chaque femme tués, ce sont plus de terroristes. Israël obtiendra l’inverse de ce qu’il souhaite. Il est essentiel aujourd’hui de changer cette logique…
(Gaza) Une guerre de bombardements massifs sur les populations civiles avec l’objectif d’éliminer le Hamas ; une deuxième guerre, une guerre de siège qui pose beaucoup de problèmes en droit international en termes de possibilité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité…
Il faut bien voir que ces “dommages collatéraux” ne sont pas des dommages accidentels, ils sont parfaitement prévisibles et assumés. Aujourd’hui, la communauté internationale propose un cessez-le-feu, une pause humanitaire, une trêve humanitaire. Je crois qu’il faut effectivement prendre en compte cette situation humanitaire et sous une forme ou une autre : pause, trêve, cessez-le-feu… Il faut permettre de venir au secours des populations civiles pour qui c’est la double peine : nous avons connu beaucoup de bombardements dans des villes, mais rarement dans une ville qui était en plus assiégée. Donc l’argument du gouvernement et de l’armée israélienne qui est de dire « on ne peut pas arrêter les combats parce que sinon ça permettrait au Hamas de se refaire » ne tient pas véritablement dans la mesure où personne ne peut sortir. Ils ont bouclé Gaza, ils assiègent l’ensemble de ce territoire…
L’étape suivante, c’est celle d’un véritable plan de paix
qui permettra aux Palestiniens d’avoir un territoire. Le problème, c’est que Benyamin Netanyahou fait tout pour que la solution politique ne vienne pas sur la table. Et c’est là où la communauté internationale, l’Europe, les États-Unis doivent dire à Benjamin Nétanyahou que cette guerre n’est pas acceptable. Du Hamas, on va passer à l’Iran, de l’Iran, on passera à d’autres cibles et on entrera alors dans une logique de guerre des civilisations. Quand Benyamin Nétanyahou dit qu’il y a “d’un côté le peuple de la lumière et de l’autre le peuple des ténèbres”, on voit bien dans quel engrenage nous nous situons…
L’important, c’est de pouvoir faire comprendre à Israël qu’une guerre contre des populations civiles – même si l’objectif affiché est celui des terroristes du Hamas – ce n’est pas possible au XXIᵉ siècle. Israël est en train de mener une guerre d’hier. C’est la guerre d’avant, cette guerre est dépassée, cette guerre est perdue d’avance…
Nous sommes également en train de perdre cette guerre, car l’Ukraine va payer aussi les conséquences de ce qui se passe aujourd’hui. Le deux poids, deux mesures trouve sa parfaite illustration aujourd’hui, entre ce que défend l’Occident et ce que nous faisons aujourd’hui au Proche-Orient : non-respect du droit international, non-mobilisation face au massacre des populations civiles. Benyamin Nétanyahou est engagé dans une politique qui, n’a pas pour but de mettre fin à ce conflit…
Il faut un certain courage pour aller contre cet esprit moutonnier qui est incapable de regarder la réalité du terrain… Si l’on veut prendre en compte les choses, il faut avoir le courage de se coltiner avec l’histoire.
Mais je vous dis qu’aujourd’hui
la direction qu’il faut suivre, c’est d’empêcher Benyamin Nétanyahou de continuer sa logique de suicidaire qui fera d’Israël un État assiégé. Et il ne faut pas croire que demain, on reprendra avec l’Arabie saoudite, avec les États arabes, une petite parole tranquille qui normalise la situation. Non, les blessures de l’histoire se réveillent…
La paix est toujours utopique. Mais il y a une raison d’y croire : tant que nous n’aurons pas fait cela qui est difficile, Israël ne vivra pas en sécurité et nous ne vivrons pas non plus en sécurité. Cette guerre, menée par Israël, accélère la polarisation du monde. Elle accélère l’antagonisme entre l’Occident et le reste du monde. Or, nous avons besoin aujourd’hui de bâtir des passerelles…
Malheureusement, dans le gouvernement extrémiste de Benyamin Nétanyahou, il y en a qui souhaitent aujourd’hui l’élargissement de cette guerre. Nous nous retrouverons non seulement avec un Moyen-Orient enflammé, mais avec d’autres conflits qui dépasseront et de loin, toutes les capacités que nous aurons à apporter des réponses. Les Israéliens ont compris, qu’ils ne peuvent plus vivre avec les Palestiniens. Il faut donc une politique de séparation. Elle doit être digne, elle doit conférer aux Palestiniens un État où ils pourront vivre, un État viable, un État véritable qui pourra se construire et qui sera d’autant plus en paix. 500 000 Israéliens colonisent la Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem Est. Ils doivent quitter la Cisjordanie. C’est le prix de la sécurité pour Israël. Tous ceux qui considèrent que ce ne sera jamais suffisant font la politique du pire ».
À la question “La France manque de courage en ce moment ?”, Dominique de Villepin répond : “Je ne dis pas ça. La France a pris des initiatives et essaye de gérer ce dossier d’une extrême complexité. Je parle avec plus de liberté que ne peut la France sur la scène internationale ». Langage diplomatique.
Macron parle du droit d’un État à se défendre (Israël) mais pas du droit international pour tous (dont le droit à l’autodétermination pour les Palestiniens et à l’existence d’un État palestinien indépendant et viable). Il applaudit l’offensive militaire israélienne sur Gaza (et sa volonté déclarée d’aller jusqu’au bout) puis réunit tout le monde pour savoir comment y faire entrer une bouteille de mercurochrome. Il laisse un de ses ministres qualifier les militants écologistes anti-bassines de « terroristes » et affirme que « le terrorisme » est aujourd’hui le plus grand danger pour les démocraties. Mais, dans le même temps, il annonce tout seul, comme un grand, la création d’une coalition internationale de lutte contre Daech et le Hamas sans avoir consulté le quai d’Orsay (ni même ses alliés), lequel est obligé de démentir. Privatisation totale de toutes les décisions, manque de connaissances et de culture, propos à l’emporte-pièce : tel est aujourd’hui le fonctionnement du plus haut responsable de l’État français. Si l’on ajoute à cela la censure et les restrictions ou interdictions de manifester (pas seulement pour la Palestine d’ailleurs : l’autre jour, à Rennes, les intermittents du spectacle n’ont pas été autorisés à défiler pour de meilleures conditions de rémunération et de couverture sociale), le tableau est complet. Impression d’être devant un gamin turbulent totalement immature dépassé par ses jouets. On hésite entre rire du grotesque, pleurer de désespoir et exploser de colère !
Ici, à Ramallah,
nous habitons dans un grand immeuble qui surplombe la route qui part vers le Nord. L’autre nuit, vers 2h du matin, un détachement de l’armée israélienne avait pris position au rond-point en contrebas. Il faut préciser que nous sommes en zone A « autonome », au terme des accords d’Oslo, et en Territoire palestinien au regard du droit international. Au matin, la mère de famille explique à ses filles : « Vous devez faire attention, quand l’armée est en bas, vous ne devez pas rester devant les fenêtres, ils peuvent tirer sur n’importe quoi et n’importe qui ». Aucun des membres de la famille n’a jamais participé à aucune action terroriste (sauf à considérer que la participation à des manifestations est une preuve de terrorisme !) et ils sont, sur le plan politique, très éloignés du Hamas. Pourtant, les villages sont régulièrement attaqués par les colons, de même que les villes et les camps de réfugiés avec l’appui de l’armée : c’est vrai depuis des années, ça l’a été de manière exponentielle depuis un an (donc bien avant l’action du Hamas du 7 octobre) et de façon totalement débridée depuis. Chaque jour ce sont des morts (on approche des 200), des blessés, des arrestations sur toute la Cisjordanie et la peur qui s’installe partout. Israël (« la seule démocratie au Proche Orient ») n’est pas épargnée : cette nuit et ce matin plusieurs citoyens israéliens, dont des responsables politiques anciens députés à la Knesset, ont été arrêtés (Mohammad Barakeh, Sami Abu Shehadeh, Mtanes Shehadeh, Haneen Zoabi, Yousef Tatour, Mahmoud Mawasi). On ne compte plus les militants anti-colonialistes (y compris juifs) battus, arrêtés ou obligés de se cacher.
Vers 9 h, la chaîne Al Mayadeen diffusait des images du camp de réfugiés de Jénine : on y voyait des rues vides, des rideaux de magasins baissés, des croisillons de fer disposés en chicane. Seules traces de vie : des groupes d’hommes silencieux aux carrefours, tous âges confondus, l’air grave et très tendus. Impression de calme écrasant avant l’orage. Les regards sont inquiets et balaient sans cesse l’espace des rues visibles, peu de paroles, tout se joue dans la tension des regards. De temps à autre un bref échange téléphonique. Et puis on entend les premiers tirs au loin. L’opération de l’armée va commencer.
15 h : 9 tués, l’offensive est toujours en cours. En cours contre un camp de réfugiés de l’ONU censé être défendu par l’ONU. Dans le même temps, l’armée attaque à Hébron, dans le secteur de Bethléem (à Beit Fajjar), au camp de Balata à Naplouse : partout on signale déjà des morts, au moins 13 à cette heure. Au téléphone, notre ami N. du camp de Deheishe, qui en a déjà vu d’autres, nous avoue que cette fois il a vraiment peur. Au-dessus de Gaza il y a tellement de fumées qu’on se croirait la nuit en plein après-midi.
Ici, là où on habite, il n’y a aucune surveillance de la route du Nord : la police de l’Autorité palestinienne est bien trop occupée, dans le centre de la ville, à mettre des PV aux voitures, y compris à celles des manifestants de la place Manara. En ce moment même l’armée vient de rentrer en toute tranquillité dans le camp de réfugiés d’Al Amari, à 2 pas des parcmètres qui ne sont pas correctement approvisionnés en piécettes..
Hier, Abu Obeida (le porte-parole de la branche armée du Hamas, les brigades Al Qasam) a fait une intervention à la télé
Dans ces cas-là, la vie s’arrête dans toutes les maisons et tout le monde écoute (même ceux qui ne sont pas du même bord politique) : il a longuement parlé des otages, proposant de relâcher immédiatement tous les étrangers mais il affirme qu’Israël fait des difficultés. Ensuite il a reproposé de procéder à des échanges, soit immédiatement et en totalité (tous les otages contre tous les prisonniers politiques palestiniens), soit par phases (les enfants et les femmes d’abord). Comme d’habitude, il y a les rituelles formules religieuses puis des vidéos filmées par l’organisation : des images d’otages vilipendant Netanyahou et des images de combat. On voit plusieurs tanks et un bâtiment explosés par des tirs de roquettes du Hamas venant de combattants circulant dans les ruines. Israël, de son côté, ne reconnaît que quelques pertes marginales de soldats. Stratégies habituelles de propagande en temps de guerre. Difficile de démêler le faux du vrai mais ce qui est sûr c’est que, contrairement à ce que Israël avait proclamé, et malgré l’écrasement du nord de Gaza sous les bombes, son armée se trouve confrontée à une résistance. Les tanks sont des engins aveugles qui foncent, écrasent et tirent droit devant eux mais, dans cet amas de décombres, leur progression n’est pas forcément aisée. Les fantassins suivent normalement derrière mais toute ruine peut représenter une cache, donc un danger potentiel, la résistance de Leningrad et de Stalingrad écrasées et affamées en ont fourni un exemple. Certes, on peut supposer que ce qui reste de l’armement des brigades du Hamas soit relativement dérisoire mais il n’en demeure pas moins que chaque bâtiment effondré peut devenir un abri pour des combattants isolés, d’autant plus déterminés qu’ils n’ont plus rien à perdre. De la même manière que la politique du gouvernement israélien met à terme en danger la paix d’Israël comme le souligne Dominique de Villepin, il n’est pas exclu que son action militaire actuelle ne mette en danger un grand nombre de soldats. Que pourrait-il se passer dans l’opinion publique israélienne si elle réalisait que son armée surpuissante, non seulement ne l’a pas protégée de l’attaque du 7 octobre, mais a ensuite jeté ses soldats vers la mort ? Tout est possible mais c’est en tout cas un élément nouveau qui, d’une manière ou d’une autre, ne va tarder à entrer en scène.
17 h 15 : Ici il fait déjà nuit et les gamins de Jénine n’ont toujours pas pu quitter leurs écoles ou leurs jardins d’enfants et on les voit terrorisés sur les réseaux sociaux.
19 h 15 : 12 tués à Jénine, 16 dans toute la Cisjordanie. Cri de désespoir entendu ce soir à Ramallah : « Mon Dieu, que la guerre tombe sur le monde entier ! ». Au Nord d’Israël les combats font rage des 2 côtés de la frontière avec le Liban : cette fois, ça a l’air de dépasser un ou deux pilônes explosés ici ou là.
L’autre jour, nous avons discuté de l’intervention de Nasrallah à la télé. Beaucoup (notamment parmi les jeunes, mais pas que…) comptaient sur l’entrée en guerre du Hezbollah libanais (« Ce sont les seuls qui peuvent nous sauver »), beaucoup ont été déçus. « Ça servait à quoi alors toutes ces vidéos ? On y croyait nous qu’ils allaient venir nous secourir » ou alors « Mais il n’a pas dit son dernier mot, vous allez voir ». D’autres, plus anciens, ou ayant une plus grande conscience politique et quelques années de militantisme derrière eux : « Nasrallah a été clair et sage. Le Liban est dans une situation économique et sociale au bord du gouffre et il est lui-même sous la coupe de dirigeants de droite, voire fascistes. C’est un pays divisé, pas seulement en religions mais en sous-religions et en une multitude de groupes et sous-groupes politiques, tous armés. Une nouvelle guerre serait catastrophique pour le pays et risquerait d’entraîner toute le région, voire plus, dans une spirale infernale. Nasrallah a été sage. Pour autant, il n’a rien exclu, c’est aussi une manière de faire pression… mais sans les armes ». Une femme précise : « Il faut pouvoir se dégager des réactions émotionnelles. Même si, comme tout le monde, nous fondons en larmes en voyant ce que subissent les enfants de Gaza, même si l’on a parfois envie de tout casser, on doit essayer de se dégager de certaines images pour survivre, survivre coûte que coûte, être forts. Il faut être responsables face à la catastrophe, à tous les niveaux. Je crois que, pour survivre, il faut avoir une force, une force spirituelle, quelle qu’elle soit, religieuse ou politique ». Nous faisons remarquer que c’est un peu ce que disait Marx. « Yes ! Of course ! Pour l’instant, il faut tenir, quel que soit le moyen choisi individuellement. De toute façon, les Israéliens peuvent détruire, tuer, ils ne parviendront pas à tout éradiquer. Il faut être prêts pour ce moment-là, il faut trouver la force de nous préparer dès maintenant… même si on ne sait pas trop bien comment ».
Quelqu’un parle de cette femme de Gaza qui vient de perdre 17 membres de sa famille et qui l’autre jour était obsédée par le fait de trouver du lait pour son chat. « Ça aussi c’est un acte de résistance : refuser de se voir enlever son humanité. Le problème c’est le recul des consciences, nous avons pris des années de retard. Par exemple, il y a eu de très grosses mobilisations des enseignants en Palestine cette année, pendant des semaines, pour les conditions de travail, les rémunérations et la couverture sociale ; les routes étaient bloquées, c’était vraiment un grand mouvement. Mais ils sont où maintenant tous ces gens-là ? Ils ont leurs appartements, leurs voitures à payer, ils ont oublié qu’on était sous occupation. Finalement, sur une ville comme Ramallah, nous sommes peu nombreux à manifester. Pourtant, le drapeau israélien montre clairement les choses avec ses 2 bandes, de la mer à la rivière. Et qu’est-ce que Netanyahou a montré comme carte à l’ONU ? Toute la Palestine historique, Gaza et Cisjordanie comprises ! Le projet de Netanyahou va bien plus loin que Gaza. Mais nous devons, nous aussi, nous remettre en question ».
Ce soir, nous sommes allés faire des courses en ville,
nous avons discuté avec une jeune fille et, au hasard de la conversation, nous avons parlé d’Hébron : « Nous n’aimons pas beaucoup les gens d’Hébron, enfin, leur façon de vivre. Ils sont, comment dire… trop stricts ? Les femmes n’ont pas le droit de sortir, les filles sont mariées à 15 ou 16 ans, elles ne vont jamais aux manifestations et il n’y a rien à faire. À Ramallah, c’est complètement différent, c’est comme à New York ou à Paris, les femmes travaillent, conduisent, font des études, on peut sortir et se distraire ». Pourtant, cette jeune fille est de toutes les manifestations, reprenant les slogans anti-américains. Mais en fait, depuis sa naissance, elle n’a eu que peu l’occasion de sortir de l’enclos de Ramallah : on l’a contrainte à ne pas connaître son propre pays.
En rentrant, nous avons appris qu’une nouvelle roquette était tombée sur la ville israélienne d’Eilat, au Sud, lancée par le Yémen.
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