Mars 2022, face à la reprise de l’inflation, la Fed a commencé à relever ses taux. Elle les a depuis augmentés 11 fois. La BCE lui a emboîté le pas en juillet 2022. Elle a augmenté 10 fois le principal taux directeur, référence pour le crédit en zone euro, le portant ainsi à un niveau historiquement haut. À l’échelle mondiale, les banques centrales ont procédé à un resserrement monétaire d’une ampleur et d’une brutalité inégalées depuis les années 1980. Ces hausses de taux directeurs se sont accompagnées d’une réduction de la liquidité disponible, qualifié de quantitative tightening (resserrement quantitatif) de façon à réduire la taille de leur bilan, c’est-à-dire le contraire du quantitative easing mis en œuvre les années précédentes. But déclaré : une guerre incessante contre le retour d’une forte inflation.
Dans une situation où la croissance est très faible et l’inflation forte, les hausses successives des taux des banques centrales résoudront-elles le problème ?
Au lieu de banques centrales accrochées coûte que coûte au dogme de 2 % de cible d’inflation, n’aurait-il pas fallu d’abord comprendre les raisons de cette hausse de l’inflation ? Est-elle due à une surchauffe de l’économie qui a pesé sur le marché de l’emploi où les salaires se sont tendus comme l’ont affirmé les banquiers centraux pour justifier leur décision d’augmenter les taux ? Ou n’est-elle pas due, dans un contexte de ralentissement des gains de productivité, à la volonté des entreprises d’augmenter les prix afin de maintenir leurs taux de marge ?
Et, dans le cas de la zone euro, comment une hausse uniforme du taux directeur de la BCE serait-elle la solution alors qu’il existe une forte hétérogénéité des taux d’inflation entre les pays européens ? Le resserrement monétaire, avec des taux supérieurs aux États-Unis, n’a-t-il pas entraîné une baisse de l’euro face au dollar, renchérissant notamment les prix des importations d’énergies payées en dollars ?
Le choix par la BCE d’une cible d’inflation de 2 % conduit à durcir la politique monétaire et à élever les taux d’intérêt dès que cet objectif est dépassé, au détriment des autres objectifs de la politique économique, en particulier l’investissement et l’emploi. Même Olivier Blanchard, ex-économiste en chef du FMI, en est arrivé à recommander aux banques centrales de relever leur cible d’inflation, de 2 à 3 % pour gagner des marges de manœuvre, plutôt que de s’arc-bouter coûte que coûte sur le retour sous la barre des 2 % (Les Échos. 3/7/2023). La hausse brutale des taux d’intérêt à partir de 2021 a contribué non seulement au déclenchement de la crise du secteur bancaire de mars 2023 mais également à freiner l’ensemble des investissements et notamment ceux nécessaires à la transition écologique et l’emploi. Ces limites et ces conflits d’objectifs montrent la nécessité de mettre en œuvre conjointement l’ensemble des leviers de politique économique, à commencer par les politiques budgétaire et monétaire. Or la BCE ne dispose que d’outils de politique monétaire et celle-ci ne peut être le principal instrument de lutte contre l’inflation actuelle dans la mesure où les causes de l’accélération récente de l’inflation ne sont pas monétaires, mais sont liées à des facteurs réels tels que les conditions de production et de productivité, la hausse internationale des prix de l’énergie et les tensions géopolitiques.
Or, dans le même temps, les programmes de stabilité des gouvernements vont tous dans le sens de la rigueur budgétaire. L’économie subit ainsi un double choc. Le premier, celui des taux élevés et investissements freinés, et le second, celui de la baisse des dépenses publiques et notamment celles consacrées à la protection sociale. Il est donc nécessaire et urgent d’abandonner non seulement le dogme des 2 % de cible d’inflation, mais également les règles du Pacte budgétaire qui limitent à 3 % et 60 % du PIB respectivement les déficits et les dettes publics.
Il faut renouer avec une conception de la monnaie qui donne à cette dernière un rôle d’institution publique au service d’un développement économique écologique et non productiviste. Et donner à la banque centrale le rôle de contrôle, par sa politique de refinancement, des crédits accordés par les banques pour financer des investissements propres. Lorsque c’est nécessaire, la monétisation des investissements publics par la banque centrale permettrait de lever la contrainte financière de l’État et d’anticiper les bénéfices à long terme pour la société grâce à ces investissements.
Esther Jeffers, Professeure à l’Université de Picardie
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