Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Pour une communalisation du Public

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Face à l’offensive néolibérale qui se perpétue depuis plus de quarante ans et dont l’actuelle réforme des retraites n’est que le dernier acte, le retour en force de la souveraineté de l’État est souvent invoqué. C’est oublier comment la « puissance étatique » n’a pas subi le processus de privatisation des institutions qu’elle aurait été censé protéger de la logique du marché et de la financiarisation du capital. Elle ne s’en n’est pas désengagée, mais en a souvent été un acteur stratégique. Cette évolution n’est aucunement le fruit d’une fatalité. Elle repose en grande partie, sur la manière dont la propriété publique de l’État s’est construite sur la même logique absolue et exclusive de la propriété privée et en fonction de sa protection. Preuve en est que, sur le plan juridique, alors que l’expropriation et la nationalisation d’un bien privé prévoient toujours une indemnisation, la privatisation d’une propriété publique n’implique ni consultation, ni dédommagements pour la collectivité.

La puissance et la force d’invention dont a fait preuve, en parallèle, le mouvement de résurgence des communs et qui nous a conduit à parler du commun au singulier, comme un mode de production en voie d’émergence, peut contribuer à sortir de cette fausse alternative État/marché. Les formes d’autogestion de la production, de propriété commune et de démocratie directe mises en œuvre par le mouvement des communs ne se bornent qu’à revivifier l’économie sociale et solidaire et la tradition non-étatiste hégémonique au sein du premier mouvement ouvrier jusqu’à la Commune de Paris. Elles nous livrent aussi des enseignements essentiels pour penser ce que nous pouvons appeler la communalisation du public où par ce concept nous désignons une configuration dans laquelle les principes de la démocratie du commun et de l’inappropriabilité pénètrent au sein même des institutions macroscopiques du public et transforment, de l’intérieur, le mode de fonctionnement de l’administration et des services publics.

Pour étayer cette thèse, dans l’espace à notre disposition, deux éléments majeurs peuvent nous aider, sur le plan historique et théorique, à surmonter la conception du public aujourd’hui encore dominante.

Le premier nous renvoie à l’institution en 1945 du régime général de la Sécurité Sociale en France. À l’origine, la collecte des cotisations sociales ne dépendait ni de l’État ni du patronat, mais d’une caisse dont la gestion était confiée aux représentants des travailleurs, d’abord nommés par les syndicats, puis élus directement par les salariés. En ce sens, le premier modèle d’organisation de la Sécurité Sociale peut être compris comme une institution macroscopique du commun et constitue aujourd’hui encore une référence incontournable pour penser une alternative au duopole État-marché. Il n’est pas inutile de rappeler aussi à ce propos que le stratagème adopté pour faire passer l’actuelle réforme des retraites par la voie d’un projet de loi de finances rectificatif de la sécu n’a été possible que grâce à processus progressif de recentralisation qui trouve ses étapes principales dans les ordonnances Jeanneney qui, en 1967, ont imposé le paritarisme et ont supprimé l’élection directe par les salariés des administrateurs, puis, en 1996, dans l’institution des lois de financement de la Sécurité Sociale qui parachèvent son étatisation. 

Le second élément tient à la réflexion qui s’est développée en Italie au sein de la Commission Rodotà (2007). Dans le cadre d’un projet de réécriture du Code civil, elle a proposé l’introduction de la notion juridique de « biens communs », mais aussi une réorganisation globale du régime des biens publics appartenant à l’État. Les biens communs sont définis comme « des choses qui expriment des utilités fonctionnelles à l’exercice des droits fondamentaux et au libre développement de la personne » et qui doivent être protégées « y compris dans l’intérêt de générations futures ». Ils sont indissociables des processus d’autogouvernement qui en assurent la reproduction, conformément à des règles d’« usage civique collectif » qui s’opposent à la logique exclusive de la propriété, qu’elle soit publique ou privée. Une autre proposition de la Commission Rodotà fut de retirer à l’administration étatique le pouvoir de disposer des biens publics comme si elle en était le propriétaire exclusif, et de concevoir des dispositifs juridiques renforcés pour établir l’inaliénabilité et l’inappropriabilité de ces biens. En conclusion, l’administration publique, une fois sa position transcendante supprimée, doit donc être repensée comme un simple mandataire et non plus comme la propriétaire de biens et de ressources collectives dont elle serait libre d’abuser en les aliénant et en les privatisant. 

Francesco Brancaccio, Alfonso Giuliani, Carlo Vercellone

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