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Un système à bout de souffle

La trajectoire autoritaire du gouvernement face aux mouvements populaires oblige à aller sur le fondamental pour modifier le rapport de forces. Le fondamental ? Regardons ce qu’il se passe en Italie, en Grèce, en Grande-Bretagne, en Corée du Sud ou en Israël…partout l’évolution du capitalisme entraîne ce type de dérive autoritaire. Mais on ne combattra pas cette dérive en défendant le système parlementaire. Elle est rendue possible par le système représentatif où l’on a pris l’habitude que parlementaires et gouvernants soient de fait indépendants de celles et ceux qui les élisent.

Grave amputation de la citoyenneté que d’être dépossédé des délibérations et de la maitrise des enjeux du devenir commun. Et se réclamer de la « désobéissance » cela ne traduit-il pas que la normalité est d’obéir ? La dissociation des combats dans le champ social de ce qui se passe dans le champ politique découle d’une conception hétéronome du pouvoir. La structure étatique est conçue comme un organisme spécialisé rendant possible d’assembler abstraitement les diverses composantes d’un peuple tout en les mettant en extériorité des processus de cet assemblage. L’Etat ou les partis se substitue régulièrement au collectif. On évoque ainsi les politiques publiques comme un synonyme de l’Etat. Le mot « public » est abusivement assimilé à l’Etat particulièrement lorsque l’on parle de « puissance publique ». Pourtant, il suffit de parler d’opinion publique pour mesurer à quel point il n’y a pas de synonymie entre public et Etat.

Le système représentatif finit toujours et partout par confisquer l’élan et les exigences du mouvement populaire : c’est vrai de la Révolution française à la Révolution Egyptienne de 2010 en passant par la révolution Russe de 1917 ou la Libération. Dans la mesure où la politique est devenue synonyme de sphère réservée aux partis et qu’elle fait appel à une confiance qui se refuse de plus en plus, le système représentatif est devenu un obstacle au passage à l’élaboration d’alternative. Préserver sa liberté de décider de ce qui concerne son propre devenir apparaît devoir éviter la politique. Au risque d’en rester à la dénonciation et au ressentiment de voir qu’elle n’est pas suivie d’effets ce qui peut ouvrir sur une pente vers des formules d’extrême-droite.

Interroger la genèse.

La conception de ce système vient de loin. Il découle de la fondation de la République.

On oublie trop vite que Thiers et Mac-Mahon qui participent activement à la fondation de la Troisième République étaient des monarchistes ainsi que la majorité des élus qui optent pour ce choix. Les républicains « d’origine » étaient minoritaires. A ses pairs qui s’étaient étonnés qu’il s’engage sur la voie du suffrage universel masculin, Thiers rétorque : « outre que la demande est trop forte, 1830… 1848… 1871… n’en avez-vous pas assez d’être pris par surprise ? Le droit de vote sera le moyen de prendre régulièrement le pouls des classes dangereuses… ». Il poursuit en précisant que c’est aussi le moyen de dissocier les « élites républicaines » de ces « classes dangereuses ». Ce sont ces hommes qui optent pour le système représentatif. La stabilisation de la République est donc fondée sur l’éloignement du peuple de tout rôle délibératif et sur une dissociation de l’action sociale et de l’action politique qui va perdurer : en 1968, le mouvement impose la reconnaissance de l’action syndicale dans l’entreprise, mais évacue l’activité politique. Ce qui équivaut à intégrer comme normalité qu’on ne peut être citoyen et travailleur en même temps.

Mais déjà auparavant, les acteurs de Thermidor qui se débarrassèrent des acteurs de l’An II, participèrent au Directoire en 1794 et pour beaucoup au régime de Napoléon. Ils n’eurent de cesse de contenir le peuple en dehors des possibilités d’interventions. Ecoutons Joseph Sièyès, pilier du Tiers Etat déclarant durant les séances de la Convention : « le peuple ne peut parler par lui-même parce qu’il n’a pas d’existence politique propre, il ne peut parler que par ses représentants ». Lisons Boissy d’Anglas en 1794[1] : La Constitution de 1793 organise l’anarchie parce que « le pouvoir est trop faible et que les assemblées primaires [de quartiers] livrées au suffrage universel, sont une des principales sources d’anarchie parce qu’elles y concentrent un pouvoir important et que le peuple y est constamment délibérant (…) seuls les meilleurs [étymologiquement une aristocratie] sont aptes à gouverner. Ceux qui possèdent une propriété sont attachés aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois… » Ainsi le peuple est souverain mais seulement dans la mesure où tout se fait en son nom et sans lui. Selon Cabanis « le vrai système représentatif où tout se fait au nom du peuple et pour le peuple ; rien ne se fait directement par lui ; il est la source sacrée de tous les pouvoirs mais il n’en exerce aucun … le peuple est souverain mais tous les pouvoirs dont sa souveraineté se compose sont délégués… ». Ce qui faisait dire au Jacobin Pétion que selon eux, « on était citoyen juste le temps de désigner à qui on doit obéir ensuite ». Pour tous les Thermidoriens, il est grand temps que « la Révolution s’arrête ». Pour saisir les enjeux de classes, il faut savoir qu’en 1795, le gouvernement a abolit une loi de 1793 qui interdisait la création des sociétés financière.

A la différence de 1793 et 1848, l’innovation de la 3ème République a été la dissociation entre République et Révolution. La Révolution serait devenue inutile puisque la République était définitivement acquise. Après la Commune ce fut même la République CONTRE la révolution. Le corolaire a été de faire de toute conflictualité une anomalie, renvoyant le rôle politique du peuple aux seules élections. Toute autre forme d’accès à la politique n’est que de l’ordre d’un droit strictement individuel à avoir ses opinions. On retrouve toute l’ambiguïté de la République une et indivisible : à la fois terreau des services publics et terreau de la collaboration de classes avec les nantis. Contrairement à ce qu’avaient prôné les révolutionnaires de 1871 et ceux de Février 1848 et après leur défaite, la sphère du travail est isolée du politique.  L’historiographie gomme le fait que les grands moments qui ont débouché sur des transformations structurelles de la société ont toujours été des moments de rupture de la « normalité institutionnelle ». On s’arc-boute pour défendre l’héritage social du CNR en oubliant que la démarche du CNR est d’abord un modèle d’insurrection politique au sens où le peuple rassemblé se substitue à l’Etat et aux élites qui ont failli. Les formes de la subversion peuvent varier suivant le contexte mais ce qui demeure une constante est le fait que le mouvement populaire doive se substituer à l’Etat pour réaliser des changements politiques. Dès que le champ institutionnel reprend ses droits, tout rentre dans l’ordre et ces acquis sont contestés : la première attaque contre la Sécu date de 1947.

Après l’écrasement de la Commune de 1871, c’est sur fond de défaite du mouvement ouvrier que la normalité politique se développe et se poursuit encore aujourd’hui. Le regard du mouvement ouvrier sur ce qu’il considérait être l’échec de l’insurrection le pousse à choisir la voie parlementaire et étatiste. Lénine lui-même confond écrasement dans le sang de la Commune et échec de la Commune. Je ne sais pas ce qu’aurait donné la poursuite de l’expérience mais la Commune n’a pas échoué, elle a été écrasée. L’URSS n’a pas été écrasée dans le sang, elle a échoué. Regrettable confusion. Cette conception a finalement dominé lors de la constitution de la Seconde, la Troisième Internationales et de la Quatrième. Elle fait de l’étatisation de la politique l’évidence qui va servir de colonne vertébrale à la suite. Elle réduit la question du pouvoir à comment « prendre l’Etat », et sans vraiment aborder d’autres formes de pouvoir possibles. Pourtant Marx trouvait qu’un des intérêts de la Commune était de ne pas avoir cherché à prendre le pouvoir d’Etat tel qu’il est mais d’avoir exploré d’autres conceptions, à savoir comment le peuple à travers son intervention et son organisation autonomes pouvait lui-même se transformer en lieu et force de pouvoir.[2].

Ainsi nous héritons de la République sans la démocratie, « démocratie » disait le Conventionnel Cabanis « purgée de tous ses inconvénients dans la mesure où la classe ignorante n’exerce plus de pouvoir ». On ne le lui fait pas dire.

Dégager la politique de tout enfermement institutionnel et étatique est devenu un verrou et peut-être LE verrou de la situation actuelle.

 

[1]  Cité parMarc Belissa et yannick Bosc in lE directoire/ La République sans la démocratie ed. La fabrique

[2] Karl Marx : Les luttes de classes en France. Editions sociales

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4 réflexions sur “Un système à bout de souffle”

    1. Merci pour votre intérêt;
      Et maintenant Que faire ? Il n’y a évidemment pas de recette à appliquer. Ce que j’entrevois, c’est sans que cela soit intellectualisé, le sentiment que « là-haut » ils décident tout sans que l’on ait vraiment notre mot à dire grandit. Je pense qu’il est à la source de nombreuses abstentions. Je ne connais bien sûr pas tous les abstentionnistes mais parmi celles et ceux que je connais il n’y en a pas par indifférence mais par colère considérant que l’élection est devenue un jeu de dupes. Depuis il y a eu les Gilets Jaunes et ce que l’on peut lire et entendre dans les manifs particulièrement chez les jeunes. Il y a donc là un point d’appui qui pour l’instant ne mène nulle part mais qui peut rendre réceptif(ve) à des explorations concrètes de conception de la démocratie qui ne dessaisisse pas les « simples » citoyen/nes. Je pense qu’aujourd’hui une campagne référendaire ne règlerai bien sûr pas le problème mais rendrait possible de commencer à l’expliciter de manière audible. On pourrait alors-puisque l’on parle de « légitimité » évoquer que la démocratie est le respect de ce que le peuple exprime majoritairement et ici, la rue, plus précisément le mouvement que l’on dit social peut devenir un levier d’appropriation d’une « prise » de parole. J’insiste sur le mot « prise ». J’ai bien conscience que disant cela il restera un sacré bout de chemin à faire mais c’est à partir d’éléments nouveaux issus de telles tentatives qu’on pourra se demander « et maintenant que faire ? »

      1. Les abstentions ne vont pas cesser de croître, pour une raison très simple et irrémédiable, c’est qu’effectivement de plus en plus de gens ont compris/comprennent/comprendront que nous sommes définitivement dans un jeu de dupes dès lors qu’il s’agit de l’élection présidentielle et des élections législatives ; et que par conséquent, dans le système en place, il n’y a plus d’action possible pour une solution durable au profit de la satisfaction des besoins du plus grand nombre.
        Il restera bien sûr toujours un nombre irréductible de personnes jugeant inconcevable de ne pas respecter le « devoir civique » : ce seront 30 ou 40 % des 17 ou 18 millions de retraités, la part importante des inconditionnels de droite et d’extrême droite qui continueront de voter quoiqu’il arrive pour leur champion, et puis ceux – ils existent – qui ont la foi du charbonnier, ou bien simplement ceux qui veulent que les Poutou ou autres Arthaud aient un discours qui mérite d’être entendu, même pas fort et juste la durée d’une campagne !  Alors les moins naïfs n’iront plus au bureau de vote que pour y déposer un bulletin blanc ou nul.
        Tout cela fait que les élus d’aujourd’hui ne peuvent se prévaloir que d’une (très) faible représentativité eu égard au nombre d’inscrits et potentiels votants ; et c’est ce qui leur fait tenir un discours tellement formaliste à propos de la légalité du vote que de plus en plus de gens sont exaspérés… mais impuissants.

        Plusieurs causes ont généré cette situation, mais certaines sont emblématiques : par exemple le référendum de 2005 qui restera comme un exemple parfait de duperie ; c’est forcément un des éléments déclencheurs de ces dernières années. Mais beaucoup de citoyens étaient déjà de plus en plus méfiants après les années Mitterrand qui aura été un très grand expert en matière de manipulation (on peut du même coup être plus que circonspect à propos de ceux qui le gardent comme référence inégalable… Lol !).
        Sur le fond c’est sans doute aussi (pour une proportion qui reste à préciser) la méfiance presque instinctive d’un grand nombre à l’égard des structures organisées (syndicats et surtout partis) censées être au service de la défense de leurs intérêts (du grand nombre) et qui finissent par devenir des structures parasitaires accaparées par une minorité pour ses seuls intérêts… d’une minorité.

        En cessant d’être sectaire/binaire il convient plutôt de réfléchir plus par le ‘pas à pas’ que par le ‘grand soir’. Il convient de remettre tout de suite en perspective la recréation vitale de vrais Services publics indispensables (santé, sécurité sociale, école, culture, énergie, transports, audiovisuel, justice et sécurité,…).
        Et la communalisation est un mot peu employé mais qui pourrait peut-être remotiver un certain nombre de personnes ayant fini par se résigner.
        Bien entendu la défense des intérêts immédiats est la priorité du jour : retraites et salaires. Et en même temps c’est la réponse (et la méthode) que personne n’ose formuler pour combattre de façon réellement efficace le coup de force de Macron et du gouvernement. En d’autres termes, comment est-il possible aujourd’hui (et non dans 4 ans) de faire plier l’Exécutif ?
        Belle journée.

        PS : le ‘Que faire ?’ était un simple clin d’œil maladroit et prétentieux en rapport avec un célèbre texte de 1903 (qui traitait d’un autre problème… quoique).

  1. La question centrale, posée par P.Z. semble être le “Système Représentatif” en soi, plus que les modalités de sa mise en oeuvre, son mode d’expression: le VOTE, avec ses corollaires : majorité/minorité, qui vote (âge, sexe, cens….), suffrage direct ou indirect (bicaméralisme ou non), référendum (comme opposition, ou confirmation de tel scrutin), pour, éventuellement, contrer les représentants ? Le référendum de 2005, rejette le TCE. Il est “contré” à son tour, par une “adoption ” parlementaire, une manoeuvre qui rappelle celle du 49. 3 et suivant. Par ailleurs, le travail est seul créateur de LA valeur ajoutée dont dépend le sort de tous. Il n’est donc pas possible de siéger en permanence. Cet aspect “pratique” [: les citoyens délibèrent sur les questions qu’il peut résoudre (K. Marx)]souligne que le mode “représentatif “, à mon sens incontournable, présente surtout les tares que les divers modes de scrutins, dans lesquels il est encaserné, par les auteurs des lois promulguées à l’instant historique T. Ils sont donc institués par une “majorité”, soit X voix+ UNE !!!. Ce qui n’est pas un choix politique mais de l’Arithmétique (inventée par un mathématicien, Condorcet), d’où les multiples modalités de scrutin, évoquées ci-dessus, dont le but UNIQUE est d’obtenir Le Résultat que recherchent les gouvernants du moment, lesquels récitent, ensuite, qu’ils” n’ont pu, malgré leur bonne volonté(sic), réaliser ce qu’ils s’étaient engagés à réaliser”. Or le mode “représentatif” actuel à deux tours, repose sur une “alternance” qui, elle, fait consensus chez les possédants : la SAUVEGARDE du Capitalisme. En France ce système représentatif a pris les formes du “césarisme démocratique”, celles d’une monarchie élective. Quels que soient ses travers, il reste néanmoins, très préférable aux diverses monarchies, autocraties diverses, qui prospèrent sur la planète, souvent sur les décombres d’un système représentatif dénaturé. Ce, depuis Athènes et ses “tyrans”. Le vote peut s’exprimer à “un tour ” ( scrutin Proportionnel, 1ère Constitution de 1946, dit “au plus fort restes”, le seul où aucune voix n’est perdue). Le scrutin “à deux tours” présentant l’apothéose de la manipulation puisque ce mode qui EXCLUT la “minorité”, écarte un vote “POUR”, en faveur d’un vote de construction. Il CONTRAINT et limite à un vote CONTRE”, vote NEGATIF d’exclusion, donc de destruction, dont le résultat est d’inculquer dans les têtes l’inutilité du vote au point de suggérer de militer pour l’abstention. Celle-ci laisse aux Gouvernants en place : Pouvoir ET légitimité apparente. Il conduit à la crise politique grave et profonde où nous sommes plongés. Conscients de cet effet dévastateur du scrutin à 2 tours, d’autres ont proposé le mode “consensus”, inspiré des “conférences le consensus” qu’utilisent les scientifiques, notamment dans le milieu médical (sous le comparatif “bénéfices/risques” d’un traitement). A quel niveau se situe “Le Consensus”? A 60% ? 75% ?… Comme dirait un certain Blaise Pascal: “Nous sommes au rouet”, So what? Comment contrer les effets pervert(i)s du Système Représentatif (et non du “Système” comme le limite M. Le Pen). Il apparaît que le référendum peut en être l’UNE des diverses modalités, avec ses limites (Cf. la Suisse et sa Constitution de 1848). Référendum ajouté à l’autonomie de décision des Collectivités Territoriales et des structures de création de Valeur Ajoutée. Toutes pistes à examiner avec soin car le Conseil Constitutionnel, très discret jusqu’ici, quasi secret, est désormais en 1ère ligne. Les citoyens vont découvrir qu’il est un Conseil exclusivement politique puisque ses membres, Sages prétendus, sont désignés par des majorités politiques identifiées dont ils sont dépendants. Ils ont donc pour rôle de “conserver” le Libéralisme qui fait ” consensus” commun entre ses membres dont 3 viennent d’être désignés par Macron, FIN MARS 2023. Comme Trump.

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