À la fin, l’Humanité détricota les cieux et le monde.
Et bien qu’il y eût une semblance d’ordre auparavant, l’Humanité mit tout sens dessus dessous, la nuit embrouillée dans le jour, et le jour dans la nuit. L’Humanité prit le charbon lové dans les entrailles de la terre et l’expulsa vers le ciel, l’embrasant dans un immense étouffement.
Elle dit : « Que le profit soit » et mon Dieu, il en fut ainsi ! Et bien que ça n’augurait rien de bon, et bien qu’elle eût été pleinement avertie des conséquences, l’Humanité laissa prévaloir le profit sans réserve sur la terre.
Et elle l’appela « Développement », et elle se versa un whiskey, tout en admirant le coucher de soleil depuis son bureau de direction. La nuit tomba, le matin se leva, une première journée d’affaires prometteuse.
Et l’Humanité scruta les cieux et songea comment ils pourraient être exploités avantageusement. Elle envoya des aéronefs pour se transporter au-delà des eaux, des engins spatiaux pour décupler son omniscience, une cacophonie de communications résonnant autour du firmament. Bien qu’on jugeât que tout cela valait certainement tous les dégâts occasionnés, il fallut admettre que la plupart des choses avaient une utilité limitée.
L’Humanité dit : « Trouvons un moyen pour lever des capitaux afin de faire fructifier nos projets futurs ! ». Elle l’appela : « la Bourse », et il en fut ainsi.
En soirée elle prit l’avion pour assister à une pièce de théâtre de l’autre côté de l’océan. La nuit tomba, le matin se leva, une deuxième journée d’affaires gratifiante.
Et l’Humanité assit son ascendant sur chaque portion de la Terre. Elle découpa le monde en nations, démembrées l’une de l’autre par des frontières ; là où c’était nécessaire, elle éleva des remparts et des fortifications, estimant que certaines populations étaient préférablement mises au ban. Et les territoires ont été parcellisées en propriétés privées, achetées et verrouillées derrière des murs, afin que tous les autres soient maintenu dehors.
Elle appela cela « l’État de droit » et ajouta : « Défense d’entrer sous peine de poursuites ! ». Elle vit à quel point c’était bon, que chaque propriétaire qui acquittait son crédit jouissait en seul et unique maître des lieux.
Puis l’Humanité s’accapara des aires à rassembler dans des plantations, elle extirpa la flore indigène en la remplaçant avec des monocultures. Elle étala des engrais pour hâter la croissance, et pulvérisa des pesticides pour éradiquer toute forme de vie malvenue. Et malgré le fait que les abeilles pollinisatrices furent empoisonnées, et que la plupart des espèces aient subi une hécatombe, juger si c’était bon ou mauvais était considéré hors propos.
Et l’Humanité dit : « Prohibons que les paysans conservent des semences pour des générations futures, car elles sont protégées par brevet », et il en fut ainsi.
Et bien que certains festoyèrent aux banquets, d’autres se coltinèrent la malbouffe. La nuit tomba, le matin se leva, une troisième journée d’affaires profitable.
Et puis l’Humanité entreprit de mettre le temps au pas, avec l’intention de se soustraire du tango tripartite qui lie la Terre au Soleil et la Lune à la Terre. Et bien qu’elle n’ait jamais pu sérieusement contrecarrer la balancelle de nuit et de jour, ni le carrousel des saisons, elle put les empaqueter dans une camisole de calendriers et d’emplois du temps, programmes et agendas.
Et elle ordonna que toute personne, toute chose, marche au pas, et que ceux incapables d’obéir, ou ceux réfractaires, fussent poussés de côté.
Et pour supplanter la lumière du jour si cycliquement instable, pour empêcher que l’obscurité nocturne rompe la conduite des affaires, elle ceignit la Terre avec un réseau électrique afin que ni l’espace, ni le temps, puissent se dérober d’un éclairage allumable à volonté. Et quand le monde devint synchronisé et global, quand la productivité fut libérée de ses entraves temporelles, elle vit que c’était beaucoup mieux que simplement bon !
Et elle dit : « Que le temps soit argent », faisant en sorte que chacun pointe en arrivant au boulot. Et il en fut que pas un iota de travail ne soit gaspillé.
En soirée l’Humanité vérifia son état de santé sur son application smartphone, et rêva de duper le temps en esquivant la mort. La nuit tomba, le matin se leva, une quatrième journée d’affaires productive.
Et tandis que les mers fourmillaient avec un foisonnement halieutique, et les profondeurs étaient comblées par une profusion de vie, l’Humanité envoya une flottille de pêche pour rafler cette richesse dans ses filets, sans se soucier de leur déplétion, ni leur extinction. Et bien qu’elle ait empoisonné les eaux avec des déchets industriels et ait étouffé tout vivant avec des plastiques, les dividendes annuels suffirent pour convaincre les actionnaires que c’était bon.
Puis l’Humanité sélectionna des volatiles aérodynamiquement trop bornés pour pouvoir s’enfuir via les cieux et les séquestra dans une promiscuité affreuse dans des vastes enclos, exilés du soleil et de la pluie, la terre expurgée de toute chose vivante. Et ils furent sélectionnés de manière contre naturelle pour croître à une vitesse record, engraissés avec du fourrage industriel et des médicaments, pour réduire au minimum le temps entre incubation et acheminement, emballés sous vide.
Et l’Humanité dit : « Que leur dessein soit accompli en satisfaisant notre consommation » et il en fut ainsi.
Puis elle dégaina sa carte de crédit, et bénit la profusion débordant des rayons de supermarché dans son caddie. La nuit tomba, le matin se leva, une cinquième journée d’affaires repue.
Et la destinée des animaux terrestres, ceux dont la docilité facilita le domptage, fut décrétée en fonction des matières qu’ils purent produire : lait et viande pour se nourrir, peau et laine pour se vêtir, os pour façonner outils, armes, instruments de musique, engrais ou colle. Que ce soit bon ou pas était hors sujet, étant donné que c’était incontestablement utile. Celles parmi les créatures aux attributs redoutables, crochets vénéneux, griffes aiguisées ou mâchoires tranchantes réussirent à lui tenir tête, avant que l’Humanité dît : « Inventons des technologies qui nous procurent un avantage écrasant ».
Et puis l’Humanité dit : « Faisons Dieu à notre image », avec comme conséquence qu’Il était égocentrique et revanchard, tout en étant entreprenant et rusé. À la suite de quoi l’Humanité abdiqua volontairement ses prérogatives auprès de Son autorité, consentant qu’Il dicte ce qui était permis ou interdit de manger, avec qui il était permis ou interdit de s’accoupler, et qui elle aurait le droit de tuer en Son nom.
Puis l’Humanité se multiplia et occupa, et organisa la suprématie servant à diviser les privilégiés des subalternes. Ceux possédant des capitaux dominant ceux obligés de travailler. Ceux avec des organes génitaux mâles dominant ceux autrement équipés. Ceux aux peaux blanches dominant ceux aux teints différents. Ceux colonisant dominant ceux indigènes. Ceux formés techniquement dominant ceux moins bien armés pour résister.
Et l’Humanité serra sa mainmise subjuguant la Terre tout entière, sur les champs et les pâturages, les forêts, les vallées et les montagnes, sur les fleuves, les milieux humides et la mer. Elle extraya des gisements de la terre, minerais et métaux, les transforma radicalement, fabriqua villes et réseaux de transport, armes de destruction massive et parcs d’attractions. La Terre dans son intégralité était dorénavant à son entière disposition, et mon Dieu, comment cela pourrait-il être autrement que bon ?
L’Humanité trinqua et dit : « À coup sûr Dieu nous exalte pour notre industrie et les conforts que nous avons façonnés ».
Et fermant les yeux sur le paradis en lambeaux qui gisait tout autour, elle ajouta : « Dieu merci, c’est vendredi ! » La nuit tomba, le matin se leva, une sixième journée d’affaires conclusive.
Le septième jour, l’Humanité déclara le boulot terminé, et très bien fait, pour tout dire.
Et elle bénit ce jour et le sanctifia, le consacrant aux activités de loisirs, ou à s’affaler, en se laissant être divertie. Et ces affaires-là étaient les plus rentables parmi toutes, et oui, c’était très, très bon, en effet.
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