Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Petit éloge de quelques cols pénibles

par Eric Fottorino

Une pente en entraînant une autre, une côte me fait forcément penser à un col. Et un col me ramène au plus grand adepte du sans faux col, le célèbre Monsieur Jadis qui plébiscitait les cols du soir. J’ai nommé Antoine Blondin, auteur, entre autres calembours fleurant l’alambic, du définitif « le col tue ». L’homme à l’humeur vagabonde savait mieux que personne boire la souffrance des coureurs pour recracher de la belle copie. Blondin savait apprécier la belle ouvrage en montagne (bien qu’il fût à titre personnel plutôt expert en bonne descente)… C’est un fait : les pics ont donné du piquant au Tour de France. Nul ne le contestera il y eut un avant et un après. L’intrusion des Pyrénées dans le Tour de France, en 1910 est de l’ordre de la vélorution et le passage du Tourmalet est quelque chose comme le passage du muet au parlant, ou du noir et blanc à la couleur au cinéma. La légende veut que les premiers « forçats » enchaînés à leur machine, mais désormais aussi à la chaîne des Pyrénées, virent des ours en liberté. Heureux temps de ces hommes qui virent l’homme qui vit l’ours ! Lorsque la course prend de la hauteur, l’épreuve gagne en drame, en épopée, en intensité, en majesté aussi. D’emblée la montagne fit peur, et la gloire tirée par les champions qui la vainquirent fut décuplée par le parfum du danger qui collait à leur exploit.

© Photo : Roger Krieger / Presse Sports

En 1910, un certain Alphonse Steines, collaborateur d’Henri Desgranges reconnut ces cols pénibles avec une idée derrière la tête. L’organisateur mit la main à la poche pour remettre quelque peu les pistes en état, et la course se lança dès le mois suivant… « Vous êtes tous des assassins, cria le crack Octave Lapize. Soyez tranquille je plaque tout à Eaux-Bonnes » fit-il avant, finalement de remporter cette première Grande Boucle posée sur le toit de la France. Tourmalet signifie mauvais détour, a écrit l’érudit Jean-Paul Ollivier dans son « Histoire du cyclisme »…..

Lorsque la course prend de la hauteur, l’épreuve

gagne en drame, en épopée, en intensité, en majesté aussi.

Monter, remonter, voilà des termes appropriés s’agissant des 19 km du Tourmalet. Par le prodige de la mémoire, fidèlement transmise par les anciens aux plus jeunes, on ne peut dissocier ce col mythique du vieux gaulois légendaire Eugène Christophe. Son aventure ou plutôt sa mésaventure est un résumé de la geste cycliste dans sa dimension chevaleresque et absurde, surhumaine et pathétique, où la classe n’a pas forcément raison de la malchance, mais où la privation de victoire pour des motifs injustes peut être largement compensée par une renommée qui traverse le temps. Pour toutes les générations de compagnons du Tour de France, gravir le Tourmalet fut et reste un véritable exploit, même si l’intrusion des « potions magiques » a pu déprécier le regard porté sur le Tour. Il n’empêche. Le Tourmalet n’est pas seulement marqué du sceau de la malchance. Je me souviens d’un jour de brume, pendant l’été 1970, où un maillot à damier déchira le petit groupe des rescapés de la Mongie pour tenter sa chance. Rictus volontaire, ruisselant de sueur, Bernard Thévenet battit le grand Merckx dans un exploit qui préfigurait sa première victoire dans le Tour 1975. Le champion français aimait la montagne. Elle le lui a bien rendu… Pour lui le Tourmalet ne fut jamais un « mauvais détour ».

Non loin de là se dressent le Soulor et l’Aubisque… Ils vont par deux comme Roux et Combaluzier Bouvard et Pécuchet et les cyclistes vous diront qu’il y a le gentil Soulor et le méchant Aubisque…. Aubisque bisque rage !

« Petit éloge du Tour de France » Gallimard

Éric Fottorino, après vingt-cinq années passées au quotidien Le Monde, qu’il dirige de 2007 à février 2011, cofonde l’hebdomadaire le 1, lancé en avril 2014, et des trimestriels América (2017), Zadig (2019) et Légende (2020). Il est par ailleurs auteur de nombreux romans. Ayant très peu de disponibilité, il nous a autorisé à utiliser des extraits de son livre « Petit éloge du Tour de France ». Qu’il en soit ici infiniment remercié.

La rédaction

Partager sur :         

1 réflexion sur “Petit éloge de quelques cols pénibles”

  1. mourereau michel

    Outre l ‘interrogation: Que fout Eric Fottorino sur Cerises ??? Contrairement à lui , moi je les ai grimpé en, vélo à une époque où, comme en 1950, une bicyclette pesait environ 15Kg, à traîner en plus de son propre poids ! Sur l’ascension de l’Aspin et du Peyresourde on ne croisait qu’une ou deux voitures et aujourd’hui ..?..

Laisser un commentaire

Retour en haut