Qu’est-ce que la radicalité en politique, me demandent les amis de Cerises ! Belle question, qui tombe évidemment à pic par les temps qui courent, où nous tentons de faire percer une option radicale et réaliste : le boycott de la présidentielle de 2022.
Je viens d’associer les mots « radical » et « réaliste ». C’est fondamental : prendre les problèmes à leur racine est réaliste, mais paraît souvent utopique si l’on s’attache à la surface des choses. Quoi de plus radical par exemple que cette démarche de Marx se demandant ce qu’est la valeur de la marchandise exprimée par son prix monétaire, et qui remonte au travail constitutif de cette valeur, mais pas du « travail » en général, mais le travail abstrait, socialisé sous la forme monétaire précisément, visant son auto-accroissement : forme spécifique au capitalisme. Par conséquent, sortir du capitalisme c’est sortir du travail. Voilà qui est très radical, voire utopique, et à quoi ne pensaient ni les bolcheviques, ni les sociaux-démocrates, en leur temps, mais qui demande à être envisagé aujourd’hui, quand le capital détruit la biosphère et nos conditions de reproduction les plus fondamentales.
Radical aussi, le fait de saisir que la reproduction des conditions de l’accumulation infinie et destructrice de ce capital requiert des États, et des pouvoirs centraux, des exécutifs, des « hommes forts », bureaucratico-militaires, dont la forme gaullo-bonapartiste que nous avons en France est assez typique de ce dont il a besoin. La vieille idée démocratique est antinomique à cette forme si on lui donne, radicalement, son plein contenu, ce qui demande d’être à l’écoute et d’apprendre des mouvements réels des opprimés, prolétaires au sens large, femmes.
Car la radicalité ne peut fonctionner qu’en prenant en compte le tempo, le timing ou le kairos des évènements. Je veux dire par là qu’on est souvent en retard d’une guerre. En 14, des socialistes se sont crus en 1871, en 40, des internationalistes se sont crus en 14, et aujourd’hui, beaucoup se croient au Vietnam ou en Irak au moment où il y a risque d’invasion russe de l’Ukraine. Cela est vrai aussi des mouvements sociaux. En 2022, beaucoup fonctionnent comme en 2017 (et avant). Ils craignent une défaite qui a déjà eu lieu, celle de la gauche éliminée, et n’intègrent pas l’expérience des Gilets jaunes et d’autres éruptions sociales. Tout cela est naturel : il faut un effort conscient pour être dans le tempo, voir le nouveau, ne pas s’en irriter parce qu’on ne l’avait pas prévu.
Je ne prétends pas ici avoir énoncé ce qu’est la radicalité en politique, mais avoir tenté de dessiner les dispositions qui la permettent, étant entendu que je l’ai appréhendée comme utile et positive, non pas en soi, mais parce que l’époque nous y force. Il va de soi, mais c’est mieux de le dire, que ceci ne peut se faire que collectivement, interactivement. Rechercher la forme adéquate à cette interaction, pour aider à la victoire des exploités et opprimés, relève aussi de la radicalité. Le problème est d’appréhender l’expérience historique, riche et même lourde, sans s’y subordonner. Elles nous donnent des « clefs en main », telles que la forme-parti ou la forme-assemblées de masse, qu’on ne peut effacer ni reproduire. Et là, la radicalité devient l’innovation dans la tradition …
La gauche en la matière, aujourd’hui, est ailleurs, c’est-à-dire nulle part. Mais très nombreux sont les individus qui en sont issus qui, elles et eux, sont en recherche, une recherche radicale …
Vincent Présumey
Syndicaliste Fsu
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie