Depuis le 4 mars, artistes et technicien-ne-s du spectacle occupent les théâtres pour tenter d’obtenir une réouverture des droits sociaux. Jour après jour, AG après AG, les luttes convergent, les manières d’agir ensemble s’affinent, le désir de refonder le secteur culturel s’affermit.
Alors que le secteur culturel semblait fortement soutenu durant cette crise, les précaires se rappellent aux bons souvenirs du ministère et des directeurs de lieux. Les scènes nationales et conventionnées (et les compagnies associées à ces lieux) ont réussi à jouer majoritairement la solidarité de branche. La mise en place d’une première “année blanche”, renouvellement mécanique des droits au chômage des intermittent-e-s, a presque rendu invisible les baisses de revenus de ces derniers. Seulement voilà, les artistes et technicien-ne-s ont très peu profité du chômage partiel et ont parfois vu leurs ressources diminuer de moitié. Des milliers de personnes sont passées complètement à côté des différents soutiens et de la redistribution. Les occupations de théâtres ont permis de rendre visible cette détresse sociale par la demande d’un renouvellement de l’année blanche et un “plan de relance” axé vers l’emploi salarié intermittent. Dès les premiers jours, les occupant-e-s demandent également le retrait de la réforme du chômage et une année blanche pour tou-te-s les précaires. Notons que cette convergence est une “tradition” dans le secteur où certain-e-s demandent l’intermittence pour toute-s.
Une occupation, c’est du temps passé ensemble à s’organiser (manger, dormir, se laver…) mais aussi à agir sur le mouvement en cours. Devons-nous rester dans les théâtres ? Comment ne pas apparaître uniquement “festifs et joyeux” ? Comment converger sans diluer notre lutte ? Comment cohabiter avec les équipes des lieux et parfois des résidences ? Quelle place pour les syndicats ? Le public ? Qui décide ?
La nécessaire clarté des mots d’ordres amène aussi une volonté de voir plus grand, plus loin… Ici on veut passer du ruissellement à l’irrigation par la racine, là on s’interroge pour mettre en “communs” les théâtres. Faire œuvre en 2021, oui mais comment ? Pourquoi enfermer les représentations dans ces bâtiments clos ? Comment faire art avec le réel, sa complexité et sa beauté ? Comment porter les droits culturels en actes ? L’ouvrage semble immense mais aussi exaltant.
Si ce printemps n’a pas encore offert la nécessaire victoire sur le terrain social, il fait germer un essentiel au cœur d’une profession : participer à sa mesure à l’urgente transformation du monde. Rien ne sera plus comme avant.
Laurent Eyraud-Chaume
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