Mais qu’y a-t- il donc de commun entre le communisme explicité par Marx au XIXe siècle et le « communisme » de l’Union soviétique ? La réponse est évidente : rien. Pour Marx, l’exploitation et l’aliénation devaient disparaître avec le communisme, les producteurs s’appropriant les moyens de production en contrôlant ceux-ci, ce qui devait ouvrir la voie au dépérissement de l’État. Or dans les pays du « socialisme réel », faute d’appropriation de la production par les travailleurs eux-mêmes, l’État ne montrait aucun signe tangible de dépérissement.
Pour les thuriféraires du capitalisme et du libéralisme, le vers était dans le fruit : les écrits de Marx ne sont que des visées idéalistes qui ne pouvaient qu’aboutir au totalitarisme que nous avons connu. Dans son dernier livre, Penser avec Marx aujourd’hui, Tome IV, « Le communisme » ?, première partie, Lucien Sève nous emmène dans un parcours théorique et historique pour nous montrer que la démarche de Marx est une approche matérialiste dans laquelle le communisme ne peut exister qu’en fonction d’un certain niveau de développement des forces productives. Comme Lénine l’avait pressenti, ces conditions était loin d’être réunies en Russie et expliquent le tournant de la NEP (Nouvelle politique économique) en 1921 après la guerre civile : le communisme n’était pas pour tout de suite. La rupture avec la vision marxienne du communisme se réalise donc par la prise de pouvoir de Staline et cette fin prématurée de la NEP au profit d’un volontarisme économique d’une criminalité inouïe de la part d’un État omniprésent et totalitaire.
Ce livre se compose de deux chapitres, le premier portant sur le XIXe siècle, le second sur le XXe siècle. Une seconde partie est en cours d’écriture sur les perspectives du communisme au XXIe siècle. Outre la démonstration que la visée marxienne est dénuée de tout idéalisme, Lucien Sève montre que le communisme est « individualiste » car Marx met en avant « l’importance de l’individualité humaine » (p. 279). Ce premier chapitre couvre d’autres questions, notamment les divergences avec le socialisme lassalien et les apports respectifs de Gramsci et de Jaurès. Dans le second chapitre, l’auteur démontre en quoi le stalinisme a été une rupture profonde avec le marxisme, en y intégrant les conséquences sur les expériences chinoises, yougoslaves et cubaines sans oublier le parcours très spécifique des partis communistes qui n’étaient pas au pouvoir, notamment italiens et français.
Un ouvrage géant qui nous permet de comprendre en quoi appeler communisme les sociétés des pays de l’Est est une escroquerie intellectuelle. Est-il suffisant pour maintenir ce terme pour désigner une perspective post-capitaliste ?
Lucien Sève – Penser avec Marx aujourd’hui : Tome 4, “Le communisme” ? Première partie, La Dispute, 2019, ISBN 9-782843-033049, 670 pages, 40€
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