Nous ne sommes très certainement pas au bout des convulsions capitalistes. Mais il se pourrait bien qu’une phase se termine. Celle où la croyance en une économie hors sol était possible. Après un demi-siècle de marchandisation généralisée, de financiarisation, de dérégulations, de précarisation du travail et de prédation sur la nature, le résultat est sans appel : la crise capitaliste est produite par la conjonction d’une crise sociale majeure et d’une crise écologique inédite faite de réchauffement du climat, de détérioration de la biodiversité, d’épuisement de certaines ressources et de multiples pollutions. L’un des signes les plus évidents de cette conjonction est le fait que la productivité du travail ne progresse plus dans le monde, ou si peu qu’elle est insuffisante pour satisfaire les appétits de rentabilité du capital.
Cette évolution a démarré il y a cinquante ans et les dirigeants capitalistes ont cru pallier le déclin potentiel de la rentabilité par la financiarisation de l’économie mondiale, c’est-à-dire par un régime d’accumulation passant moins par la case productive réelle que par la concentration et de la centralisation des capitaux pour capter les rentes, optimiser fiscalement et spéculer sur les actifs financiers, fonciers et immobiliers. Mais cette stratégie n’est pas extensible à l’infini parce qu’elle se heurte aux limites planétaires et aux résistances sociales. Ainsi, on ne peut aller au-delà d’un certain seuil d’exploitation de la force de travail et d’exploitation de la nature sans que cela ne finisse par des coûts de production de plus en plus élevés.
Le fléchissement de l’investissement productif, les licenciements et la désindustrialisation européenne sont la conséquence de ce mouvement général. La crise financière déclenchée en 2007 provient du fait que ce régime d’accumulation postulait la valorisation permanente et quasi infinie des actifs financiers. Mais, comme le disait Marx, l’anticipation des plus-values financières se heurtait à la limite de la plus-value réelle produite par la force de travail. Plus le capital financier grossissait, plus son caractère fictif s’accentuait. L’éclatement de la crise financière anéantit le rêve dément de l’auto-engendrement du capital.
Aux États-Unis, Trump s’est fait réélire avec le soutien financier des puissances d’argent états-uniennes, mais celles-ci n’ont aucun intérêt à ce que la politique de fermeture des frontières annoncée par lui soit appliquée. Les profits des firmes multinationales américaines sont liés aux échanges avec les pays dont les produits seraient frappés de droits de douane élevés ou érigeant eux aussi de tels obstacles.
En France, les branches du patronat qui ont une activité productive sont demandeuses de subventions publiques, d’allègements d’impôts et d’exonérations de cotisations sociales, qui s’élèvent à environ 190 milliards d’euros par an. Mais les branches du capital dont l’activité est soit directement financière (banques, assurances, fonds spéculatifs), soit engagée dans des activités productives internationales (les deux étant souvent imbriquées) ne voient pas les choses ainsi : elles auraient objectivement moins besoin du soutien public, mais elles exigent un respect de l’orthodoxie budgétaire en réduisant les dépenses publiques. Le « quoi qu’il en coûte » de la Banque centrale européenne et de l’État est désormais terminé, place à la discipline du marché au détriment des services publics, de la protection sociale et de l’écologie.
La violence de cette discipline est à la hauteur des contradictions de tous ordres dans lesquelles s’enferrent les classes bourgeoises tout en enfermant les classes populaires dans une cage d’acier.
Jean-Marie Harribey, Économiste, Université de Bordeaux
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