Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Pour un féminisme intersectionnel et universaliste

La situation des femmes dans le monde a connu de grandes avancées au cours du 20ème siècle, sous l’effet des luttes féministes. Pourtant depuis une trentaine d’années, les progrès ont fortement ralenti alors que les inégalités entre les femmes et les hommes restent à un niveau inacceptable. Ces dernières années, le mouvement Me too a permis de prendre conscience de l’ampleur des violences envers les femmes… mais leur meilleure visibilité médiatique ne se traduit pas concrètement.

L’émancipation des femmes semble être au point mort, pourquoi ? Certes, la tâche est énorme : il s’agit d’abolir des millénaires de domination patriarcale qui imprègne encore, plus ou moins fortement, les cultures, religions, mentalités, voire institutions et juridictions. Mais les progrès féministes sont aussi freinés du fait des politiques néolibérales menées depuis les années 1980, qui ont des conséquences néfastes, particulièrement pour les femmes [1].

Face à cette réalité, alors que l’union des féministes serait un atout majeur pour plus d’efficacité, on déplore l’émergence de divisions. En particulier, entre deux courants dénommés féminisme universaliste et féminisme intersectionnel. Cette division affaiblit de manière considérable notre capacité à lutter contre les régressions sociales, économiques et sociétales en cours, les discriminations, la menace de l’extrême droite, lutte qui fait partie des urgences. Pourtant le clivage entre universalistes et intersectionnelles est en grande partie artificiel, du moins si l’on s’accorde sur le sens des concepts, alors qu’ils sont souvent utilisés de manière confuse [2].

D’un côté, l’intersectionnalité est un outil d’analyse indispensable pour la prise en compte des différents rapports de domination [3] – classe, genre, « race » -. On regrette qu’une certaine application aujourd’hui de ce concept mène à hiérarchiser ces dominations au lieu de les croiser, et que l’objectif de lutte contre les discriminations – juste bien sûr – mène à cultiver les lectures identitaires se concentrant sur une identité discriminée, voire en l’essentialisant. Ce glissement conduit à privilégier les postures individualistes. 

De l’autre côté, l’universalisme part du caractère commun à tous les êtres humains pour affirmer le principe de droits universels. Il garantit – en théorie – le respect de la diversité des identités, en particulier religieuses, en refusant de privilégier ou de discriminer une catégorie de personnes. Mais cette vision abstraite de la citoyenneté a souvent abouti à occulter les inégalités et discriminations qui y sont liées, d’où le reproche fait à l’universalisme d’être aveugle à la couleur ; color blind. L’universalisme doit être entendu comme un processus et mis en œuvre sur la base d’objectifs concrets à atteindre.

Il est ainsi possible de s’approprier dans l’intersectionnalité comme dans l’universalisme la perspective d’émancipation qu’ils portent. Une large plage de consensus existe pour des luttes communes des féministes, c’est par notre capacité à affronter tous les rapports de domination et d’exploitation, sans les hiérarchiser et sans succomber aux logiques d’affrontements identitaires, que nous pourrons stopper les régressions sociales, économiques et sociétales en cours et construire une société plus juste et émancipatrice.

Christiane Marty,
Fondation Copernic et Genre et altermondialisme.

[1] Cf. Quand les femmes se heurtent à la mondialisation, Coord. E. Jeffers et C. Marty, Mille et une nuits, 2003.
[2] Voire Dépasser le clivage entre féminisme intersectionnel et féminisme universaliste.
[3] Le terme intersectionnalité a été importé des États-Unis, mais le concept d’appréhender ensemble les différents rapports sociaux avait aussi été développé par la sociologue Danièle Kergoat sous le nom de consubstantialité : les rapports sociaux sont multiples, aucun d’entre eux ne détermine la totalité du champ qu’il structure, ils sont consubstantiels.

Image: ©noustoutes.org

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

Elles s’émancipent, nous nous émancipons ?

Samedi 23 novembre 2024, partout en France, les femmes manifesteront contre les violences sexistes et sexuelles, les violences sociales et violences d’État. Alors que l’égalité des ...
Partager sur :         
Retour en haut