Notre vision de la démocratie nous vient de siècles de pratiques où le pouvoir est « en haut » et le peuple « en bas ».
Hypocrisie : les gens ne seraient pas capables de choisir les solutions à leurs problèmes mais seraient capables de discerner qui peut le faire en leur nom ! La Démocratie serait le temps passé dans un isoloir pour dire à qui obéir ensuite. Ainsi nous faisons peuple non pas à partir de ce que nous sommes mais de notre dépendance à ce qui nous surplombe. Or le système représentatif ne satisfait plus personne : ni les dominés, privés de leur maitrise sur leur devenir ; ni les dominants qui considèrent les élus trop sous la pression du peuple – à l’image du vote du Sénat contre l’accord de libre-échange avec le Canada et du refus de Macron de faire se prononcer l’Assemblée nationale bien que la majorité soit la sienne. Entre glisser vers l’autoritarisme ou aller vers une démocratie réellement citoyenne, nous n’avons plus le choix.
Dépolluons le mot pouvoir : ici, il ne s’agit pas de domination, il s’agit du verbe « être capable de ». Viser que les « simples gens » exercent le pouvoir-accomplir n’est pas une projection abstraite dans un futur aussi flou qu’hypothétique mais découle du fait que le collectif est produit par des individu/es. Il n’existe que par les « chacun/es » qui participent à tout ce qui socialise. Je ne serai jamais femme, palestinien, ou beur mais en les écoutant, je nous ai trouvé des intérêts communs. Ils/elles font partie de mon individualité. Vivre en société c’est se construire en permanence en dégageant ce qu’il y a de commun dans la diversité humaine. Ou gare à la consanguinité identitaire.
Sommes-nous capables de produire des lois ? Est-ce une vision idyllique du peuple ?
Déjà certaines pratiques comportent des germes d’avenir- qu’il faut alors pousser. Rares sont celles et ceux qui n’ont rien à dire sur ce qui les touche.
C’est au niveau local et dans leur travail que les « gens ordinaires » peuvent se mobiliser et intervenir. C’est là qu’ils sont. Mais intervenir sur quoi ? Sur des faits locaux -bien sûr mais aussi sur ce que devient la Sécu, les coûts de l’énergie, le devenir de la planète, l’Europe, le sort des autres peuples, les menaces de guerre… Les capacités du peuple ne se limitent pas au « petit » ; être de terrain ne se confond pas avec l’illusion autarcique. Viser le global ne nous reconduit pas obligatoirement au système représentatif. Le cadre dans lequel se situent les pratiques ne peut être commun que s’il est conçu démocratiquement. Il n’y a pas de demi-mesure : si l’essentiel est décidé par des experts autant les laisser se débrouiller pour tout ! Il n’y pas plus démotivant que d’être déchargé d’une responsabilité.
Je ne crois pas à la spontanéité. La définition des problèmes et les réponses à élaborer ne vont jamais de soi. Elles supposent de s’arracher du point de départ, et demandent de la réflexion, du tâtonnement, de la confrontation, de la contradiction vivante. L’apport des militants engagés sur des principes n’est pas de se comporter comme des profs envers des ignorants mais d’instruire des débats au sens où un juge d’instruction instruit une enquête : d’abord écoute, puis questionnements, objections, propositions de pistes, d’expérimentations…
Si tout le monde n’ira pas à l’Assemblée nationale, se donner des porte-paroles à chaque fois avec des mandats précis et même « contraignants » n’est pas la même chose que d’avoir des « représentants ». Ces derniers deviennent vite autonomes vis-à-vis de leurs électeur/es, pensent, parlent et finalement décident à leur place. Une vraie démocratie suppose qu’il n’y ait ni haut ni bas, mais l’implication des personnes qui veulent pouvoir choisir ce qui fait leur vie.
Pierre Zarka
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