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Migrations et Crise climatique

(Cet article est à rattacher au dossier “Migration(s)” dans le journal de janvier 2024 de Cerises la coopérative)

Le Courrier international du 22 juillet 2023 titrait : « nous allons vivre le siècle des migrations » cette affirmation a été corroborée par la Banque Mondiale qui dit que d’ici 2050 le changement climatique risque de contraindre 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays ou dans des pays de proximité ; les chiffres annoncés sont

  • Afrique 86 M
  • Asie du Sud Est 49 M
  • Afrique du Nord 19 M
  • Amérique latine 17 M

Le rapport DE LA BANQUE MONDIALE formule des recommandations stratégiques susceptibles de ralentir les facteurs sous-jacents des migrations climatiques et de se préparer à des flux migratoires inévitables :

  • Réduire les émissions mondiales de GES et tout faire pour atteindre les objectifs de limitation de la hausse des températures de l’accord de Paris ;
  • Intégrer les migrations climatiques internes dans la planification prospective d’un développement vert, résilient et inclusif ;
  • Se préparer à chaque phase de la dynamique migratoire afin que les migrations climatiques internes, utilisées comme stratégie d’adaptation, produisent des résultats positifs dans le domaine du développement ;
  • Investir dans une meilleure compréhension des facteurs des migrations climatiques internes afin d’éclairer des politiques bien ciblées.
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Déjà en 2017 L’écrivain Patrick Chamoiseau lançait un appel de solidarité avec les migrants. Il affirmait que « ne pas accueillir, même pour de bonnes raisons, celui qui vient qui passe qui souffre et qui appelle est un acte criminel ».

Les effets du changement climatique concernent l’ensemble des habitants de notre planète

Les effets du changement climatique concernent l’ensemble des habitants de notre planète ; Et même si nous vivons dans un continent plus épargné que d’autres, nous constatons tous les jours les effets du dérèglement climatique avec des tornades assez fréquentes, de fortes inondations ou la fonte progressive des glaciers dans les Alpes et les Pyrénées. Que ce soit en France ou dans l’hémisphère sud, des citoyens ne peuvent plus rester chez eux : extrêmes chaleurs et submersion des côtes comme ça a été le cas récemment à Ajaccio et à La Rochelle ou plus récemment dans le Pas-De-Calais. La disparition des îles comme les îles Tuvalu dans le Pacifique ou les Maldives sont annoncées dans un délai très proche, Le dérèglement climatique aggrave les famines dans le sahel etc.. Parce que si jusqu’à présent 20 millions migrent pour trouver de quoi vivre, ils seront 10 fois plus en 2050 à cause des conditions climatiques !

Or les déplacés pour raisons climatiques ne sont pas reconnus. Le pacte européen sur la migration et l’asile présenté par la commission européenne en 2020 a été adopté partiellement en décembre 2023 par le parlement européen ouvrant les négociations avec le conseil de l’Europe pour fixer les détails.

Mais rien ne concerne les déplacés pour raisons climatiques. Selon François Gemenne, politologue et chercheur belge, enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de l’Observatoire Hugo dédié aux migrations « L’enjeu du changement climatique est la capacité d’agir non pour nous-mêmes mais pour les autres sans voir de bénéfices immédiats dans notre pays ; on doit œuvrer à l’émergence d’une communauté mondiale ! nous l’avons déjà vécu avec l’exemple de la sécurité sociale : on cotise dans un système qui bénéficie à d’autres qui en ont besoin et que l’on ne connait pas ! L’empreinte humaine est une force de transformation de la planète qui a cassé les équilibres planétaires ; le concept d’anthropocène est un principe de gouvernement qui place tous les humains sur un pied d’égalité avec le déséquilibre lié à l’histoire industrielle et coloniale qui a fait que la majorité des humains est victime et non responsable ! on pourrait parler de capitalocène »

François Gemmene ouvre des questions qui nous intéressent fortement :

  • Rapport à l’universel et à la solidarité dont parlait Kant : oui mais quels sont les moyens de pressions pour exercer la solidarité ? passer de l’international ( l’entre soi des nations) au global (climat, migrations, pandémies) ! les pays industrialisés doivent reconnaître les pertes dans les pays du sud et les indemniser ! entrer dans une communauté mondiale en abandonnant une partie de sa souveraineté : les actions pour le climat vont dans le bon sens mais celles pour  les migrations vont dans le mauvais sens ! en témoignent la loi scélérate proposée par le ministre de l’intérieur votée par l’extrême droite et le pacte européen sur la migration et l’asile.
  • Justice réparatrice nécessaire : reconnaitre les responsabilités et s’engager à indemniser (COP 27, conférence de Charm-el-Cheikh et COP 28 avec un montant dérisoire, une aumône !)
  • Penser global/agir local : ancrer l’universalisme dans le local sans utiliser le national avec ses frontières, entraînant un renouvellement nécessaire des formes démocratiques (Bruno Latour)

François Gemene affirme que les gens aiment plus le climat que les migrants qui sont un groupe séparé de nous : ainsi le GIEC met en lumière le climat, mais le GIEM (Groupe International d’Experts sur les Migrations : Virginie Guiraudon (Sciences Po, CEE) Camille Schmoll (EHESS) Hélène Thiollet (Sciences Po, CERI)) est moins visible.

  • Le « développement » : les pays doivent avoir accès à l’énergie, à la nourriture et l’eau, à la santé et à l’éducation ; le développement est lié à la croissance économique qui est liée à l’extraction des énergies fossiles : contradiction avec l’injonction de ne pas y toucher ! quelle offre en face de ces nécessités « pour le climat »

Les politiques ne s’intéressent pas aux migrations internes avec des libres circulations intrarégionales qui font fi des frontières imposées artificiellement par les pays colonisateurs, mais seulement aux migrations intercontinentales, d’où la volonté d’ériger des barrières ; l’ouverture des frontières est inéluctable et doit faire partie des options politiques envisageables et nécessaires : permettre la libre circulation, les aller-retour (passeport Nansen) et les entrées sûres et légales pour assurer les besoins économiques des pays des deux hémisphères !

Nous devons nous interroger sur cette question récurrente qui stigmatise « l’étranger » présenté comme un danger pour la communauté. Le contrôle des frontières est devenu un enjeu politique majeur posant des questions morales quant au traitement fait aux réfugiés et aux migrants. D’ailleurs dans le langage courant un français qui vit au Maroc est un expatrié alors qu’un marocain qui vit en France est un immigré. Une dimension rarement étudiée de ce phénomène concerne les discriminations qui s’opèrent sur ces frontières en fonction de l’origine des exilés, de leur apparence, de leur religion. Pendant des siècles le groupe mis à l’index a été les juifs qui furent dès le 13ème siècle en Europe empêchés de posséder des terres et enfermés dans des ghettos.

Plus récemment nous avons connu en France des migrations internes (les bretons, les auvergnats, les « maçons » de la Creuse) et des migrations intra européennes à la fois pour des raisons économiques et politiques : les espagnols, les portugais, les italiens, les polonais et à partir des années 50 les populations venant d’Afrique du nord et d’Afrique sub-saharienne, car anciennes colonies françaises, où des industriels sont allés ou vont chercher de la main d’œuvre exploitable à bas prix !

Ça interroge aussi la notion de peuple, qu’est-ce qu’un peuple ? Cette notion est-elle fondée sur l’uniformité et une espèce de consanguinité culturelle ou n’a-t-elle pas toujours inclus des diversités et des différences ? Et lorsqu’un groupe est ainsi mis à l’index et privé de droits comme la suppression de l’A.M. E cela ne préfigure-t-il pas une mise en cause du droit à la santé qui ne cessera de s’étendre. Sommes-nous solidaires seulement pour des raisons morales ou parce que les sorts de toutes et de tous sont liés ? Ça interroge la notion de communauté et de communautarisme. Ça interroge la notion d’identité et d’universalisme. Ça interroge la résurgence à intervalle régulier des poussées chauvines et xénophobes (la France aux français et toutes ses variantes).

Nous vivons une époque où le sort de tous et toutes sur cette planète est lié. Les effets du réchauffement climatique vont avoir dans les prochaines décennies des conséquences incalculables.

Il faut s’emparer de ces questions avec hardiesse et travailler ensemble des solutions, des alternatives à ces logiques meurtrières. Plusieurs exemples récents nous montrent que les français font preuve d’empathie et de solidarité avec les migrants. Mais alors que faire quand un peu partout en Europe et dans le Monde des majorités électorales arrivent au pouvoir sur des bases nationalistes de rejet des migrants, de stigmatisation des populations immigrées et souvent sur fond de haine pour celles et ceux qui sont de confession musulmane car supposés terroristes en puissance. Ces mêmes majorités électorales contestent le réchauffement climatique et soutiennent les projets industriels les plus climaticides sous prétexte de préserver l’emploi, alors que les rapports du GIEC sont de plus en plus alarmants.

Allons-nous regarder nos valeurs humanistes reculer dans la cité, dans les réseaux sociaux, sans proposer de donner une réponse humaniste à la crise climatique et migratoire à venir ? nous le devons ! Car la réponse vient toujours d’une prise de conscience. Quelle est ma position face à ce problème ? Quel est mon regard sur l’autre ? Me fait-il ressentir de la crainte ? Où en sommes-nous, nous-mêmes avec notre part de noirceur ?

Le premier pas n’est-il pas cette prise de conscience de voir l’autre différemment pour pouvoir envisager une réponse humaniste à la question du climat et des migrants ?

Mais comment agir ? Telle est la question aujourd’hui ! Il s’agit de débuter cette réflexion ensemble dans un élan durable, de définir l’acceptable pour nous, pour les autres, pour le monde et de dénoncer l’inacceptable, ce qui va à l’encontre de nos valeurs les plus profondes. C’est notre engagement dans la Cité, notre implication citoyenne qui doit commander notre raison d’agir. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’agir sur le long terme, nous poser les questions pertinentes, pour apporter des réponses justes, en adéquation avec nos valeurs et non pas uniquement ce qui est possible dans le système néolibéral où nous vivons.

Nous pourrions imaginer ensemble 3 étapes :

  • Échanger pour comprendre les causes, les effets du changement climatique en fonction des cultures des populations touchées et des changements possibles dans l’habitat, la nourriture, les activités rémunératrices etc…
  • Préparer le lancement d’une convention citoyenne permettant de poser toutes les solutions possibles en regard des valeurs républicaines afin qu’elles ne deviennent pas une illusion
  • Questionner nos futurs dirigeants sur l’application envisageable de ces solutions dans le programme qu’ils nous proposent.
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sur le sujet du statut des refugiés

  • Faut-il que les déplacés dû au changement climatique soient reconnus par un statut ? déplacés climatiques, migrants climatiques, réfugiés climatiques ?
  • Serait-il possible de l’inscrire dans la future loi française ? De nombreuses ONG, en France par exemple, Greenpeace, la CIMADE, le GISTI ou encore France Terre d’asile se mobilisent pour la création d’un statut de réfugié climatique.
  • Faut-il revoir la Convention de Genève pour ajouter ce nouveau statut, qui pourrait comporter le risque de complexifier encore plus des démarches administratives longues et fastidieuses ?
  • Comment différencier réfugiés politiques, réfugiés climatiques ou réfugiés économiques, alors que tout semble intrinsèquement lié ? Un statut unique de migrant ne serait-il pas envisageable ? Comment imaginer ce nouveau statut ? Faut-il craindre comme François Gemenne l’écrit, qu’ « un nouveau statut de réfugié climatique n’apparaitrait, à tort, comme une solution miracle et permettrait surtout aux pays du Nord, de fuir leurs responsabilités ? »

Dernière question que nous pouvons tous nous poser : si on imaginait que Paris soit inondé en 2050 comme l’imagine Marc Lomazzi dans son dernier roman « France 2050 » : Et si le migrant c’était moi ? c’était vous ?

Daniel ROME

Pierre COLIN LDH Val de Bièvre

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