Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Redéfinir la politique 

Leila Shahid

Par rapport à ce qu’on a vécu dans les luttes des trois générations dont tu parles Gus, il y a un élément, nouveau et dangereux qui nous ramène à la guerre des civilisations. Elle est particulièrement dangereuse en Europe parce que l’Europe est aujourd’hui aussi faite des populations où les migrations ont été intégrées.

Il y a une dimension que l’un de vous a appelé la conception racialisée. Cette dernière est terrible. On vient de le voir des deux côtés : les Israéliens déshumanisent les milliers de gens qui meurent. Ce ne sont plus que des chiffres ; le Hamas a déshumanisé les familles, les enfants, les vieux qu’ils ont attaqués, assassinés. Mais il y a une autre dimension et ce qui est très rassurant, c’est que contre le suprémacisme, nous avons vu combien le mouvement Black Lives Matter a été efficace après des siècles de lutte et il a imposé une nouvelle vision de la société américaine. 

Nous sommes face à un suprémacisme  en Israël. 

Depuis 75 ans c’est l’armée qui est la sécurité nationale. Pour faire plaisir à  Monsieur Ben-Gvir qui était interdit d’élection il y a quelques années parce qu’il appartient au mouvement Khan qui est interdit même aux États-Unis ! Ils ont voté une loi en 2019 qui dit que 20 % de la population israélienne qui est arabe n’a pas le droit à l’auto-détermination, c’est uniquement la population juive qui a droit à être représentée par un État sur cette terre qui s’appelle Israël. Netanyahou a inventé le ministère de l’Administration civile en d’autres termes l’administration militaire. C’est comme ça que l’on appelle depuis 56 ans l’administration des territoires occupés. Ça a commencé avec l’assassinat de Rabin. Rabin n’a pas été assassiné uniquement par celui qui a tiré mais par cette tendance d’extrême-droite raciste et très pratiquante il ne s’agit pas seulement du changement de l’État, mais du changement de la nature de la société.

Il y a une pétition de juifs israéliens et américains qui s’appelle The Elephant in the room l’éléphant étant l’occupation et près de 3000 signatures de l’élite israélienne juive américaine pour déplorer que le mouvement contre les réformes de la justice n’a pas été accompagnées par une lutte pour la fin de l’occupation. Ils disent que les manifestations  n’étaient pas séparées de la question de la démocratie parce qu’il ne peut y avoir de démocratie quand on occupe un autre État.

Il y a malheureusement des gens qui font l’erreur de mélanger luttes religieuses et luttes de colonisation, qui pensent que c’est entre juifs et musulmans et qu’est-ce qui a manqué au printemps arabe, qu’est-ce qui manque aujourd’hui à Gaza ?  Maintenant ce sont les sociétés civiles qui s’affirment, ce ne sont plus les Etats, ni même les partis politiques. Mais il faut qu’ils se rencontrent pour penser l’avenir, pour l’action. Il faut aller au-delà de la dénonciation de l’injustice pour construire une alternative. Gus a parlé de luttes locales, j’ai toujours dit que nous sommes obligés de développer des actions locales. Cette pratique de proximité avec la population rend les gens beaucoup plus efficaces ; ils sont beaucoup plus populaires que ceux qui étaient assis dans leur Assemblée nationale ou dans leur ministère. Les Palestiniens ont survécu pendant 56 ans d’occupation et 75 ans de dépossession par la capacité à faire une Intifada, de créer au niveau local des petits foyers de résistance. Ce qui a tué les printemps arabe, c’est le rouleau compresseur des autocraties arabes..

Pierre Zarka

Cela conduit à redéfinir la politique. Gus disait à propos des mouvements populaires que l’État était mis en cause. En fait c’est toute la logique délégataire qui commence à être rejetée. Au fond on est citoyen le temps passé dans un isoloir pour désigner les maîtres auxquels nous n’aurons plus qu’à obéir ensuite. Le bilan des États a été à chaque fois de confisquer les élans populaires : En France en 1981 ou plus récemment ce qu’on a appelé les Printemps arabes. Gus évoque les déferlantes d’extrême-droite comme étant un phénomène « en trompe-l’œil ». Non pas qu’elles ne seraient pas dangereuses mais les vies politiques instituées sont coupées de la réalité de l’état d’esprit des peuples. Il y a un fossé entre ces deux réalités. Ce qu’aborde Aminata.

En France, le mouvement communiste a ignoré qu’entre 1792 et 1793 et lors de la Commune de Paris une autre forme de démocratie que délégataire avait été tentée.

Les organisations sont en général conçues sur le même modèle elles pensent et parlent au nom du peuple dont le rôle serait seulement de les soutenir. Voilà qui conduit à s’en défier et à un fossé irréductible entre ces conceptions et mouvements populaires.

Qui est alors le sujet du verbe construire des alternatives ? Que veut dire alors s’organiser collectivement, car bien évidemment c’est nécessaire.

 

Depuis le 7 Octobre

Dès le 7 : on va voir ce qu’on va voir ! La ministre des
affaires étrangères française : « Israël a le droit et le devoir
de réagir à la hauteur du massacre perpétré ». Une
fâcheuse tendance à confondre palestinien et Hamas.
Quelques semaines seulement après les discours tonitruants,
le ton change. Il est question d’épargner les
civils, de cessez le feu pour négocier et, cerise sur le
gâteau, d’ouvrir des négociations pour que 2 Etats
puissent exister. L’ONU (donc avec l’aval des USA) s’en
fait porteuse. Et d’évoquer le temps où Arafat et Rabin
se mettaient d’accord. Macron et Biden ne sont pas les
derniers. Sont-ils touchés par la grâce ?

Ne perdons pas de temps à supputer sur la sincérité des
uns et des autres. Chaque jour apporte ses rebonds. Interrogeons-
nous plutôt en termes de rapports des forces.
Non pas entre Etats mais entre peuples et Etats.

Pêle-mêle : manifestations en Europe qui distinguent
toutes les droits et les luttes du peuple palestinien des
actes du Hamas. En France, elles ont d’abord été interdites
puis se sont affirmées comme incontournables.
300.000 à Londres. Une étude annonce que la majorité
des jeunes américains s’oppose à l’embrasement et réclame
un cessez le feu suivi de négociations. Plusieurs
milliers de Juifs Newyorkais investissent le Sénat en
scandant « pas de massacre en notre nom », jusqu’à Tel
Aviv où une manifestation allant dans ce sens a été autorisée
et où un sondage révèle que Netanyahu est soutenu
par 4% d’israéliens.

Qui peut dire que les peuples sont impuissants ?

La rédaction

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