Alors que le dérèglement climatique accentue depuis une vingtaine d’années le déficit en eau, la situation des nappes phréatiques continue de se dégrader lentement. Au 1er juillet 2023, 68%[1] des niveaux des nappes restent sous les normales mensuelles. Cela entraîne de gros problèmes pour l’agriculture et notamment pour les cultures qui demandent beaucoup d’eau comme le maïs. On peut noter que les surfaces irriguées ont augmenté de 14% en 10 ans. Pour tenter de trouver une solution la FNSEA et un certain nombre d’agriculteurs ont créé des réserves d’eau appelé « méga bassines ».
Les méga bassines qu’est-ce que c’est ?
Les méga bassines sont des ouvrages de stockage de l’eau aux allures de cratères plastifiés. Elles sont entourées de digues de 10 mètres de haut environ, érigées grâce à la terre décaissée (jusqu’à̀ 8 m). Ces ouvrages hydrauliques imperméables, sont remplis par pompage dans les nappes phréatiques (nappes de surface) ou dans les cours d’eau. Bien qu’elles symbolisent la fuite en avant d’un modèle agricole qui refuse de se transformer, les promoteurs des méga bassines utilisent l’argument du changement climatique. Appelées réserves de substitution par les organisations qui en font la promotion (FNSEA, CDJA), les méga bassines sont présentées comme des ouvrages qui permettraient de diminuer la pression sur la ressource en eau en « substituant » des pompages de printemps/été par des pompages d’hiver. Pomper en hiver n’empêche pas de créer une pression sur la ressource. La « substitution » pour chaque ferme qui irrigue se fait à partir d’un volume historique de référence très élevé qui peut, en réalité, créer des niveaux d’irrigation plus élevés qu’avant. Avec une pluviométrie parfois insuffisante et un rechargement des nappes de plus en plus tardif, la pression exercée par le remplissage des méga bassines sur la capacité des milieux aquatiques à se renouveler est donc énorme. Or ce sont d’abord les nappes qui doivent se recharger en hiver afin d’alimenter le réseau hydrographique, renouveler les milieux aquatiques et infiltrer les sols. La confusion entre méga bassines et retenues collinaires est parfois délibérément entretenue sur le terrain. Les retenues collinaires sont des ouvrages de plus petite taille, perméables avec le milieu naturel, nécessitant des investissements beaucoup plus faibles et se remplissant avec de l’eau par ruissellement sans système de pompage.
Les méga-bassines accaparent l’argent public pour privatiser l’eau
L’irrigation est largement subventionnée par un prix agricole de l’eau faible (voir article de Michel Sanciaud) et par les subventions publiques pour des ouvrages et du matériel d’irrigation. Ces financements entraînent ainsi la privatisation de l’eau au profit d’une minorité de bénéficiaires. La distribution de ces aides n’est pourtant pas en accord avec les attentes de la société qui souhaite une agriculture préservant les ressources naturelles et relevant le défi climatique. Ces subventions, comme pour la PAC, poussent les paysannes et paysans à investir pour se spécialiser et s’agrandir. C’est la fuite en avant, soutenue par le gouvernement – via encore très récemment avec les fonds publics du Plan de relance – et orchestrée par la FNSEA. Cette fuite en avant prend au piège de nombreux agriculteurs et agricultrices qui deviennent victime d’un modèle insensé.
Au lieu d’accuser d’éco-terroristes les milliers de gens et de jeunes qui s’opposent à ces projets, et de déployer une répression policière qui sombre dans la démesure comme lors des manifestations à Sainte-Soline, le gouvernement serait bien avisé d’entendre celles et ceux qui ont à cœur le bien commun et l’avenir de la planète. Nous devons sortir d’une vision mortifère qui opposerait les agriculteurs face aux « écolos » et aux « bobos » des villes pour promouvoir une politique agricole respectueuse et vertueuse.
Daniel Rome
[1] Source BRGM
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