Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Travail : ce qui mûrit

Qu’est-ce qui a bougé dans le rapport au travail et que révèle le mouvement contre la contre-réforme des retraites ? 

Une crise politique profonde née au cœur du monde du travail

Le gouvernement n’est plus en capacité de construire de majorité politique et a été obligé de faire passer sa contre-réforme à coup de 49-3 et de référendum empêché. Nara, syndicaliste à Solidaires, observe que « cette crise politique profonde ce n’est pas au Parlement qu’elle a eu lieu, cette crise politique profonde c’est nous les travailleurs et les travailleuses qui l’avons provoquée par cette mobilisation ».

Les chercheur.e.s, militant.es syndicaux et associatifs, expert.e.s et professionnel.le.s, citoyen.nes, regroupés au sein de l’atelier Travail et démocratie ont rédigé une contribution collective (voir encadré). Muriel qui participe à ce groupe, fait part de leurs réflexions : « On était un certain nombre à travailler sur la question du travail et on ne comprenait pas pourquoi cette crise politique n’arrivait pas. Le travail c’était une problématique partagée par tous, mais complètement invisibilisée ».   

Le travail a fait irruption dans le mouvement nous dit-elle. Le refus du travail tel qu’il est organisé aujourd’hui figure sur les pancartes :« -Métro boulot caveau-, -La retraite avant l’arthrite-, -La vie n’est pas la survie-, -Moi je veux travailler plus longtemps dans mon potager-, et donc on voit maintenant les gens revendiquer non pas en termes d’emploi mais en termes de travail, cette distinction est déjà énorme, c’est-à-dire qu’on arrête de mélanger emploi et travail ».

La crise se prolonge avec le refus de considérer que ce qui est légal serait légitime et le mouvement n’est pas fini. Nara considère qu’il s’agit là d’une victoire idéologique : « on a une victoire essentielle (…) dans notre camp social et dans nos organisations syndicales plutôt légalistes, on allait plutôt vers les tribunaux et cetera, là c’est une victoire collective, (…) cette loi est promulguée, elle continue à être considérée comme illégitime et on continue de lutter ensemble pour l’abrogation et ça c’est une victoire pour cette lutte et celles à venir ».

 

La place du travail requestionnée

La crainte de devoir effectuer un travail aliénant, ou la volonté de démissionner d’un métier épuisant parce qu’on pense être incapable de poursuivre deux ans de plus, sont autant de témoignages significatifs.

Ainsi Antoine, jeune travailleur, pense : « qu’il y a une certaine peur de rentrer dans des CDI, une certaine peur de s’aliéner au travail surtout quand on voit que l’on parle beaucoup de la réforme des retraites, quand on voit que de plus en plus on va devoir travailler tard etc. Moi je pense qu’on a vraiment ce truc-là : comment garder son identité propre tout en  participant, grâce au travail dans la société. Comment donner envie aux jeunes de s’investir dans un monde où on devra travailler de plus en plus tard ? ». 

Marylène, syndicaliste à la FSU : « Avec la réforme des retraites, c’est là où l’on mesure la souffrance du métier, la souffrance au travail, l’impact de faire 2 ans de plus, 64 ans mais c’est une catastrophe pour nous enseignants. (…) J’ai animé en tant que syndicaliste un stage sur les retraites, sur la réforme. Il y avait beaucoup d’actifs et peu de retraités : sur 26 actifs, il y en a qui ont dit « mais Marylène pour moi il n’en est pas question, je démissionne, il n’est pas question que j’aille jusqu’à 64 ans ».

Ophélie, syndicaliste à Solidaires : « Le débat sur le travail et la réforme des retraites alimentent la question de la place et du rôle du travail, de son organisation, de son sens profond, et du fait que ce soit l’affaire de chacun et de chacune.  On ne peut pas en ignorer les enjeux ».

Antoine poursuit : « Et donc il faut essayer de lutter pour qu’on redonne du sens à l’éducation, aux soins, aux métiers on va dire plus basiques, ça fait écho à ce que vous disiez par apport aux livreurs, aux éboueurs etc. Et cette réforme des retraites a en partie contribué à développer cette réflexion-là chez bon nombre de personnes. Je pense qu’il faut que l’on continue à lutter pour le sens ».

Nara renchérit : « ce sont les moments où on fait grève, les moments où on est en lutte, où il y a une réflexion très profonde des collectifs de grévistes sur le travail, une vraie réflexion sur comment mieux travailler, et d’autre façon ».

Le gouvernement a dû prendre en compte les aspirations à travailler autrement, et s’applique à proposer un « nouveau pacte de la vie au travail ». Muriel souligne : « c’est tardif c’est comme si aujourd’hui seulement nos gouvernants découvraient qu’il fallait mener une politique du travail et commençaient alors à dire qu’il faudrait parler du travail et pour nous c’est un profond décalage que le travail ait été sous-estimé, invisibilisé dans la volonté de mise en œuvre de la réforme des retraites ».

Les indispensables ne sont plus les investisseurs

La crise Covid l’avait fait émerger, le mouvement l’a amplifié. Pierre souligne que « Quelque chose a commencé à changer avec le mouvement contre la réforme Macron des retraites. Il y a encore peu de temps, les indispensables dans l’opinion étaient les « investisseurs », les « employeurs », maintenant ils sont de plus en plus les éboueurs, les salarié/es des raffineries, les soignants, les enseignants, les électriciens… On retrouve la prise de conscience de son identité de travailleuse ou de travailleurs – un début de conscience nouvelle de soi ».

Pour Muriel : « si on raisonne en termes de travail et de santé au travail, on est bien sur cette idée qu’on ne peut pas continuer à travailler en exploitant le travail au nom d’une exigence extravagante des actionnaires ».

 

Et ce qui n’est pas mûr ?

Pierre observe que « Les mouvements s’arrêtent à la protestation parce qu’on ne se sent pas qualifié/es pour dire ce qu’il faut changer dans l’entreprise ou plus largement et comment le changer. On laisse cela aux experts ».

Et Olivier se demande s’il n’y a là pas une victoire d’une certaine façon du capital qui arrive à transformer le travail en une prestation complètement déshumanisée : « Je trouve que c’est là l’enjeu politique. C’est juste de dire que le travail, il n’est pas qu’une prestation qu’on fait contre un salaire. Je pense que par rapport aux enjeux auxquels on est confronté aujourd’hui par rapport aux enjeux humains, l’environnement et cetera, si on ne met pas cette question centrale, on ne sera pas en capacité d’y faire face. Notamment par exemple dans le domaine de l’énergie, je pense qu’on est dans la situation aujourd’hui de la France en sortant de la guerre. C’est-à-dire qu’on a devant nous un mur par rapport à ce qu’on a à faire, et je pense que si on ne pose pas la question de l’organisation du travail et donc du management, on ne sera pas en situation de faire face à ça ».

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